La lettre hebdo de Daniel Mermet
BHL s’installe en Israël (2)
Le
Bernard-Henri avec des hommes de la « force conjointe », anciens combattants du Darfour affiliés à l’armée soudanaise. En route vers El-Fasher (photo : Marc Roussel)Face à la fuite des cerveaux, il propose le sien pour compenser
Nos révélations exclusives ont suscité de nombreux commentaires [1].
Beaucoup de « bon débarras » ! Des souhaits comme pourvu que « Finkielkraut, Goldnadel, Macias et tous les intégristes du même genre » le suivent (« Hugues ») ou bien des suppositions : le bruit court que « BHL va faire construire à Gaza » (« Bezolles »).
Mais le peuple d’Israël devra encore attendre la venue du grand philosophe. Sa résidence en Israël, dont le lieu reste secret, doit encore être aménagée par ses architectes et ses artistes choisis.
Aussi, en attendant, le maître a décidé de faire la « tournée des guerres oubliées ».
On connaît depuis longtemps son aspiration à « n’être plus grand-chose aux côtés de ceux qui n’ont rien » [2].
Sans attendre, avec garde-robe minimum et nécessaire pour brushing de reportage, le riche homme d’affaires Bernard-Henri est parti avec son équipe au Soudan se faire filmer et photographier au milieu d’un peuple hagard, anéanti par la guerre qui dure depuis 2023. 150 000 morts, onze millions de déplacés, famine, torture, viols de masse, il a tout bien noté.
Dans Paris Match, Bernard-Henri déroule sa « romanquête » dans les colonnes du journal de son ami Bernard Arnault. Choc des photos, poids des mots. BHL exhibe les plus pauvres du monde dans le journal d’un des hommes les plus riches du monde.
Mais pourquoi le Soudan ?
BHL s’explique : « au moins trois fois les morts de Gaza me dis-je – et personne, sur les campus américains, chez les Greta Thunberg et autres Insoumis, pour s’en soucier » [3].
C’est vrai ça, pourquoi donc ? Les journalistes de BFM, de LCI, de CNEWS qui le reçoivent en « invité exceptionnel » suite à cet article s’en étonnent. « Comment les médias peuvent s’intéresser à certains conflits et en oublier d’autres ? »
Mais oui, c’est bien vrai ça, et pourquoi donc ?
Et là, attention, BHL dégaine. Il cite l’adage : « no Jews, no news ». Comprenez, s’il n’est pas question de juifs, ça n’intéresse pas les médias. Voilà ce qui intéresse les Greta Thunberg, les campus américains et les Insoumis, voilà la raison de l’intérêt du monde entier pour Gaza : l’antisémitisme !
La mise en scène de soi sur le malheur du monde, c’est depuis toujours la combine à Bernard-Henri, le virtuose du réseautage, ce qui lui ouvre tous les médias toujours béats (1 539 occurrences rien que dans Le Monde depuis 1973 [4]). Mais cette fois, le pompeux cornichon pousse désespérément le bouchon. En perte de vitesse, alors que le prix Nobel de la paix pour son soutien à l’Ukraine lui est disputé par Donald Trump, le voilà déplumé devant la « génération Gaza » qui dénonce clairement le génocide.
Tout comme le prestigieux écrivain israélien David Grossman qui, avec « une douleur immense et le cœur brisé », reconnaît qu’il s’agit bien d’un génocide [5].
Mais pour BHL, il n’y a pas de génocide, il n’y a pas de famine. Alors pour dire que Gaza c’est pas si grave, il va exhiber bien pire. Pour attaquer les « gauchistes universitaires », il utilise la souffrance du Soudan. Là, le tas de cadavres d’enfants est bien plus haut, là c’est du vrai viol, de la vraie torture, vraie famine et vrai génocide. Et tous ces wokistes antisémites qui soutiennent le Hamas ne regardent que Gaza !
Le Soudan n’est qu’un début. D’autres guerres oubliées attendent impatiemment la venue du penseur français.
Le Yémen, très photogénique aussi, avec sa guerre civile depuis 2014, ses 150 000 tués selon l’ONU en 2021 et ses 230 000 morts indirects (famine, épidémie), en majorité des enfants.
Haïti, sa guerre des gangs, sa situation cataclysmique.
Le Nord-Kivu en république démocratique du Congo. Ses minerais. Son M23. Ses 10 millions de morts depuis 30 ans d’oubli et d’impunité.
Et bien d’autres encore, Birmanie, Somalie, Éthiopie…
Si Bernard-Henri en a besoin pour compléter son Guide du Routard des guerres oubliées, il y aussi celle des sans-abri, celle des chômeurs, celle des vieux solitaires au fond des Ehpad.
Si grande est son émotion que le grand reporter BHL a omis d’évoquer la mort d’un confrère ce dimanche dix août. Anas Al-Sharif, reporter pour la chaîne Al Jazeera, ciblé par l’armée israélienne avec cinq autres collègues dans la bande de Gaza.
Il avait fait ses adieux à sa femme et à sa fille. « Je n’ai jamais hésité un seul jour à dire la vérité telle qu’elle est, sans déformation ni falsification. »
Anas avait 28 ans.
Notes
[1] Daniel Mermet, « BHL s’installe en Israël ! », 8 août 2025, Là-bas si j’y suis.
[2] Philippe Boggio, « Guerres oubliées », bernard-henri-levy.com.
[3] Bernard-Henri Lévy, « Soudan, le martyre d’un peuple », Paris Match, 1er août 2025.
[4] Lucas Minisini, « BHL dans "Le Monde", cinquante ans de présence constante », Le Monde, 10 janvier 2025.
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