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samedi 30 décembre 2023

Affaire du « 8 décembre » : grosses ficelles pour lourdes condamnations

Affaire du « 8 décembre » : 

grosses ficelles 

pour lourdes condamnations


Thomas Lemahieu
22.12.23 

 

© Emmanuelle Pays / Hans Lucas


Le dossier était léger, la construction antiterroriste plutôt grossière… Mais ça a suffi au tribunal correctionnel de Paris qui, dans l’affaire du « 8 décembre » - faute de nom et de cible, c’est la date des interpellations qui désigne le groupe - condamne les 7 inculpés, décrits comme appartenant à « l’ultragauche », à des peines allant de 2 et 5 ans de prison.
 
 
Les parents des inculpés du « 8 décembre » dénoncent les traitements infligés à leurs enfants dans le cadre de cette enquête d’exception et dénoncent l’attitude de la DGSI durant l’enquête.
 
Tout au long des quatre semaines d’audiences, en octobre dernier, tout paraissait largement joué d’avance. En vérité, c’était même plié avant que la justice fasse son œuvre puisque dès le 5 avril 2023, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, tout affairé à démontrer la menace d’une mouvance « écoterroriste », s’était vanté d’avoir « déjoué un attentat fin 2020 ». « Il s’agissait d’une action extrêmement violente et mortifère contre des forces de l’ordre », se rengorgeait-il alors. Puis au tribunal correctionnel de Paris, au cours du procès, en début d’automne, les deux procureurs n’avaient pas dévié d’un millimètre, s’appuyant lourdement sur quelques fascicules trouvés sur les ordinateurs des prévenus…
 
Tout était joué d’avance…
 
Cette fois, les juges d’instruction et le Parquet national antiterroriste (PNAT), occupés la plupart du temps par les djihadistes ou par des suprémacistes d’extrême droite, tenaient leur affaire de terrorisme d’« ultragauche », quelques années après le fiasco complet de l’affaire de Tarnac. Six hommes et une femme étaient accusés d’avoir participé à des « réunions conspiratives », des expérimentations de « fabrication d’explosifs » ou des « entraînements paramilitaires » en vue de commettre une attaque à tout le moins indéterminée. Les coutures pouvaient être grossières dans un dossier largement fabriqué par l’antiterrorisme ; mais comme transpirait parfois, dans les écoutes, leur hargne contre les policiers au cours de soirées manifestement bien arrosées, ça pourrait toujours suffire pour caractériser une intention.
 
Tout était joué d’avance… 
 
Vendredi 22 décembre, au cours d’une audience de délibéré dans le procès du groupe du « 8 décembre » (soit la date des interpellations, en 2020, au bout de huit mois de surveillance rapprochée par la Direction générale de la sécurité intérieure – DGSI), cela s’est confirmé, sur toute la ligne : les sept inculpés ont tous été condamnés pour « association de malfaiteurs terroriste ».
 
Présenté comme le leader « charismatique » de cette petite bande sans réelle identité politique ni projet terroriste identifié, Florian D., parti un temps combattre Daech en Syrie au sein des forces démocratiques kurdes du Rojava, écope de la peine la plus lourde : 5 ans de prison, dont 30 mois de sursis probatoire. Ses six amis se voient, eux, infliger des peines allant de 2 à 4 ans de prison, également avec sursis probatoire. Tous ou presque seront inscrits au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes (Fijais), subiront de lourdes obligations de contrôle et des mesures de surveillance électronique. Enfin, ils ont interdiction d’entrer en contact les uns avec les autres, pendant trois ans.
 
Avant de décider de s’interrompre pour quelques soupirs appuyés dans l’assistance, puis de réclamer l’évacuation de la salle, provoquant une interruption de plus d’une heure et demie, la présidente du tribunal avait repris à son compte, les uns après les autres, tous les arguments avancés par les procureurs représentant le Parquet national antiterroriste (PNAT). Selon elle, le « caractère ludique » des parties d’air-soft auxquelles certains des condamnés ont participé, pendant le confinement du printemps 2020, est « démenti par la référence à des entraînements, à du recrutement », ou encore par la découverte d’une « brochure qui explique comment organiser une milice armée ».
 
Parmi les condamnés, certains s’étreignent, une dernière fois, avant d’être privés des liens…
 
Avant de couper court à la lecture des motivations pour – malgré les protestations sur les bancs de la défense – se contenter de lister les condamnations, la juge revendique le choix de s’appuyer sur l’association de malfaiteurs terroriste, « bien qu’aucun projet abouti n’ait pu être identifié et nonobstant le fait que les liens entre tous les prévenus ne sont pas forcément étroits ». Selon elle, le but du groupe était bien de « troubler gravement l’ordre public par l’intimidation et la terreur », et cela est « caractérisé par la volonté de porter atteinte à l’intégrité des policiers, de s’armer dans la lutte contre ceux qui sont décrits comme des chiens de garde, et de préparer des actions violentes ».
 
Une fois l’audience levée, après la sortie – sous quelques quolibets – de la juge et de ses deux assesseures, la salle redevient silencieuse. Sur les bancs où quelques dizaines de proches des 7 jeunes gens ont pu rester, les larmes coulent. Parmi les condamnés, certains s’étreignent, une dernière fois, avant d’être privés des liens qu’ils ont sans doute renforcés, depuis le début de cette épreuve, voilà trois ans. Se décrivant comme « soulagé » de voir son client, Florian D., ne pas retourner en prison – « Bon, c’était bien la moindre des choses, quand même », ajoute-t-il – Me Raphaël Kempf n’en revient pas sur le fond : « Le tribunal vient de dire qu’exprimer du ressentiment à l’égard des policiers ou des forces de l’ordre, ça pouvait être considéré comme un acte de terrorisme. C’est une extension incroyable de la notion de terrorisme qui peut viser, à partir de là, la sphère politique et militante. » Sans se prononcer à ce stade sur la possibilité de faire appel du jugement, l’avocat rappelle qu’il reste, dans cette affaire, une autre action qu’il a engagée devant le Conseil d’État afin d’interroger la légalité des dispositifs de surveillance mis en œuvre. Dispositifs qui ont été au cœur de toute la construction antiterroriste de l’affaire.
 
Dans un coin de la salle d’audience, les parents des jeunes inculpés s’attardent, un peu abasourdis. En quelque sorte, le cauchemar continue. Pour eux, pour leurs enfants, mais aussi bien au-delà. Une mère chuchote : « À qui le tour, maintenant ? Aux syndicalistes ? Aux journalistes ? C’est indigne, c’est honteux. »
 
 
 
 

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