Le Monde Planète du samedi 18 novembre 2023
La
Commission a tranché en faveur du pesticide, renvoyant la
responsabilité des restrictions d’usage aux États
Bruxelles - bureau européen
La
Commission européenne a décidé, jeudi 16 novembre, de prolonger
pour dix ans, jusqu’au 15 décembre 2033, l’utilisation du
glyphosate, la substance
active et controversée du désherbant
Roundup de Bayer (Monsanto), alors qu’en 2017, les Européens
n’avaient octroyé que cinq ans supplémentaires à l’herbicide.
Cette mesure n’est pas le fruit d’un compromis entre les
Vingt-Sept, mais le résultat d’une procédure tout à fait légale
qui a donné le dernier mot à l’exécutif communautaire.
Le 20
septembre, la Commission avait mis sur la table sa proposition, que
les États membres n’avaient ni adoptée ni rejetée lors d’une
première réunion le 13 octobre. Aucun des deux camps n’avait
rassemblé la majorité nécessaire de 15 pays représentant au moins
65 % de la population.
Jeudi, Bruxelles a, comme le prévoit la
procédure, représenté le même texte aux Vingt-Sept. Avec un
résultat identique, même si l’Italie, qui avait soutenu en
octobre la proposition de la Commission, s’est, cette fois,
abstenue. In fine, aucune majorité ne s’est dessinée pour ou
contre le texte.
Conséquence, la Commission a tranché, comme l’y
autorise la procédure, et annoncé, dans la foulée de ce deuxième
vote, qu’elle actait le renouvellement du glyphosate pour dix ans.
Alors que l’autorisation actuelle de la molécule court jusqu’au
15 décembre, « elle
aurait pu revenir avec une autre proposition »,
affirme Pascal Canfin, le président de la commission environnement
du Parlement européen.
« Sans aucune majorité »
Au
lieu de quoi, poursuit l’eurodéputé macroniste, sa présidente, «
Ursula
von der Leyen, a choisi de passer en force en réautorisant le
glyphosate pendant dix ans sans aucune majorité et alors que les
trois plus grandes puissances agricoles du continent, la France,
l’Allemagne et l’Italie, n’ont pas soutenu cette proposition ».
« Les délais ne permettaient pas de présenter une nouvelle
proposition », assure pour sa part un porte-parole de la
Commission.
La France, qui plaidait pour une durée plus courte de
sept ans et militait pour que le glyphosate soit « remplacé
par d’autres solutions chaque fois que c’est possible
», comme l’a rappelé le ministère de l’agriculture, s’est de
nouveau abstenue jeudi, suscitant les critiques de plusieurs
ONG.
Ainsi, Foodwatch et Générations futures dénoncent «une
trahison, sans surprise, de la promesse faite par le président
de la République en 2017 », quand Emmanuel Macron avait promis
d’interdire le glyphosate dans les trois ans. « L’abstention
de la France à ce vote et son manque de courage ne sont pas
acceptables
», estime également Greenpeace, en affirmant que la Commission «
préfère
se ranger du côté des lobbys de l’agrochimie plutôt que de
suivre les avis scientifiques
».
L’eurodéputé socialiste Christophe Clergeau regrette, pour
sa part, sur le réseau social X «
la
lâcheté et l’hypocrisie de la France »
qui, «
en s’abstenant (...), laisse la Commission décider seule de
condamner l’UE à dix ans de glyphosate
».
Sur la même tonalité, son ancien collègue écologiste Yannick
Jadot, désormais sénateur, juge
que l’UE a réautorisé le glyphosate
« avec
le soutien implicite de la France ».
«
C’est
faux
», leur répond Pascal Canfin sur X. Avant d’ajouter :
«
Le pays qui aurait pu faire pencher la balance, c’est l’Espagne,
dirigée par un gouvernement socialiste et qui a voté pour !
» «
Le
gouvernement a tardé à se mobiliser pour trouver une majorité au
sein des États membres
», ajoute, pour sa part, l’eurodéputée Anne Sander (Les
Républicains), pour qui, «
en
attendant de trouver des alternatives, le glyphosate est nécessaire
».
L’Allemagne
s’est
également
abstenue, même si le contrat de coalition,
signé
en
novembre
2021 par les sociaux-démocrates (SPD), les Verts et les libéraux du
FDP, annonce le retrait du
glyphosate
«
d’ici
à
la
fin
2023 ».
Compte
tenu des divisions entre les écologistes, opposés
à l’herbicide, et les libéraux, favorables à son utilisation, le
chancelier, Olaf Scholz (SPD), a choisi
de ne pas choisir.
Selon Greenpeace, la Commission a préféré « se ranger du côté des lobbys de l’agrochimie
L’Italie, les Pays-Bas, la Bulgarie, la Belgique et Malte se sont également abstenus. Trois pays ont voté contre le renouvellement de l’autorisation du glyphosate : le Luxembourg, l’Autriche et la Hongrie. Les dix-sept autres États membres, Pologne et Espagne en tête, ont soutenu la proposition de la Commission.
Jeudi, la
Commission a renvoyé la balle aux États membres, en rappelant
qu’ils « restent
responsables des autorisations nationales des produits
phytopharmaceutiques contenant du glyphosate et continuent de pouvoir
restreindre leur utilisation au niveau national et régional s’ils
le jugent nécessaire sur la base des résultats des évaluations des
risques ».
Certes, mais à Paris comme à Berlin on pointe du doigt le risque de « distorsion de concurrence ».
L’exécutif communautaire martèle que sa décision s’appuie
sur des données scientifiques et renvoie aux conclusions publiées
en juillet par l’Autorité européenne de sécurité des aliments
(EFSA).
Celle-ci
assure ne pas avoir identifié de « domaine
de préoccupation critique» pour
la santé humaine, c’est-à-dire des profils de toxicité
(cancérogène, mutagène, reprotoxique ou perturbateur endocrinien)
susceptibles d’empêcher une nouvelle autorisation de l’herbicide
le plus utilisé au monde. A
l’inverse, le Centre international de recherche sur le cancer
considère, depuis 2015, le glyphosate comme « cancérogène
probable ».
Dans son rapport, l’EFSA juge néanmoins qu’à
long terme le risque de toxicité est « élevé
» pour les mammifères. Elle
reconnaît également ne pas disposer de suffisamment d’éléments
pour comprendre l’impact de cet herbicide sur la biodiversité, le
microbiote ou encore sur les plantes aquatiques. Dans ce contexte, la
Commission a prévu quelques garde-fous – par exemple des «
bandes tampons
» de 5 à 10 mètres aux alentours des zones pulvérisées ou
l’interdiction de
la dessiccation, c’est-à-dire l’épandage pratiqué sur les
cultures avant récolte, pour accélérer le mûrissement des plants
–
que nombre d’ONG jugent insuffisants.
Jeudi,
le groupe allemand Bayer s’est réjoui de l’annonce de la
Commission. « Cette
nouvelle autorisation nous permet de continuer à fournir aux
agriculteurs de toute l’Union européenne une technologie
importante pour la lutte intégrée contre les mauvaises herbes »,
a déclaré à l’Agence France-Presse un porte-parole.
Virginie
Malingre
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