« Appartenir à un média
axé sur l’environnement
semble être devenu
un indice de complicité
ou de collusion »
Des journalistes de « Reporterre », média dévolu à la question écologique, ont été verbalisés à plusieurs reprises et l’un d’eux est renvoyé devant le tribunal correctionnel. Il s’agit de l’une des conséquences de la criminalisation de l’activisme environnemental, estime dans sa chronique Stéphane Foucart, journaliste au « Monde ».
Grégoire Souchay est journaliste depuis dix ans, spécialiste d’environnement, d’énergie ou d’habitat. On peut lire son travail dans le journal en ligne Reporterre ou le quotidien Libération. On pourra le rencontrer, un jour non encore fixé du printemps 2023, au tribunal judiciaire de Rodez, où il comparaîtra pour avoir, le 10 novembre 2021, « frauduleusement soustrait des sacs contenant des semences de colza » et les avoir « volontairement dégradés ou détériorés ».
Le journaliste était bien présent ce jour-là dans les entrepôts du semencier RAGT, à Calmont (Aveyron). Mais il l’était pour couvrir une action du mouvement des Faucheurs volontaires – venus éventrer des sacs de semences de cultures rendues tolérantes aux herbicides –, non pour prendre part à leur action. Son article a paru deux jours plus tard.
Des consœurs et des confrères d’autres médias étaient aussi présents ce jour-là, mais seul le journaliste de Reporterre a été inquiété. Comme l’a raconté Aude Dassonville dans Le Monde, c’est la troisième fois que les journalistes du média consacré à l’environnement sont ainsi spécifiquement ciblés. En juin et en octobre 2020, de nombreux journalistes couvraient l’occupation de pistes des aéroports d’Orly et de Roissy : seuls ceux de Reporterre ont été verbalisés et-ou placés en garde à vue.
Soit ces journalistes sont victimes d’un hasard malheureux et extraordinaire, soit il se joue autre chose dans cette succession d’entraves à la liberté d’informer. Comment ne pas voir, dans cette discrimination manifeste, un dangereux amalgame ? Le seul fait d’appartenir à un média axé sur l’environnement semble être devenu, aux yeux des forces de l’ordre et du procureur, un indice de complicité ou de collusion.
Enregistrements effacés
Ce glissement ne doit pas surprendre. Il tient, d’abord, à la criminalisation rampante de l’activisme écologiste. Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir en 2017, cette tendance n’a cessé de s’accentuer, en même temps que le spectre des actions potentiellement répréhensibles s’élargissait toujours plus. En 2019, une convention signée entre le ministère de l’intérieur et les syndicats agricoles productivistes gravait dans le marbre cette tendance, en créant la cellule de gendarmerie Demeter.
Avec comme objectif non seulement de lutter contre les délits visant le monde agricole, mais aussi de prévenir « des actions de nature idéologique » pouvant n’être que de « simples actions symboliques de dénigrement ».
L’activité journalistique entre-t-elle dans cette dernière catégorie ? Il n’est en tout cas pas très étonnant que l’assignation des forces de l’ordre à de telles missions crée une sorte d’ambiance. Fin mars 2021, une journaliste allemande en reportage en Argoat, travaillant sur le modèle agricole breton, échange quelques mots désagréables avec un exploitant et enregistre. Elle voit avec stupéfaction des gendarmes débarquer le soir même à son hôtel, accompagnés de l’intéressé, lui intimer d’effacer ses enregistrements. Sous les insultes de son détracteur, elle doit s’exécuter. Cette histoire a été racontée dans Le Monde et ailleurs ; elle n’a soulevé aucun émoi particulier.
La lente criminalisation des luttes écologistes a évidemment un impact sur la manière dont sont considérés les journalistes qui font métier d’en témoigner, perçus comme de simples supplétifs. Un peu comme l’on estimerait, à raison, pénalement répréhensible qu’un titulaire de la carte de presse soit informé d’un projet d’assassinat ou d’action terroriste, et qu’il se contente d’y assister aux côtés de ses architectes, pour rendre compte de son déroulement.
Carences de l’Etat
Ceux qui doutent qu’une telle criminalisation de l’activisme environnemental soit effectivement à l’œuvre peuvent se référer à l’extravagante démesure des moyens de police déployés dans l’enquête sur les opposants au projet d’enfouissement des déchets nucléaires de Bure (Meuse) – moyens généralement réservés à l’antiterrorisme ou à la lutte contre le grand banditisme. Ils peuvent aussi se référer aux déclarations du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, qui n’a pas hésité à parler d’« écoterrorisme » pour qualifier l’action des militants les plus radicaux opposés aux mégabassines.
A bien des égards, cette escalade verbale et répressive est un rideau de fumée qui occulte commodément les carences de l’Etat lui-même. Car non seulement son action, sur une variété de dossiers environnementaux, est en contravention avec l’état de la connaissance scientifique, mais elle l’est aussi avec le droit. Nitrates, pollution de l’air, climat. Sur tous ces dossiers, l’Etat a été condamné par différentes juridictions et il est bien pratique que ceux qui le lui rappellent un peu trop bruyamment soient assimilés à des criminels.
L’action des Faucheurs volontaires de novembre 2021 l’illustre bien. Derrière la destruction des semences de colza obtenues par mutagenèse pour tolérer des herbicides, se cachait ainsi une autre question. Dans une décision du 7 février 2020 interprétant un arrêt rendu en 2018 par la Cour de justice de l’Union européenne, le Conseil d’Etat faisait valoir que ces cultures devaient être soumises à la réglementation sur les OGM – ce qu’elles n’étaient, et ne sont toujours, pas. La haute juridiction a réitéré cette interprétation en novembre 2021.
Certes, l’action des Faucheurs volontaires est problématique au regard de la loi, mais, sur le même dossier, celle de l’Etat ne l’est pas moins. C’est aussi ce que rappelait Grégoire Souchay dans son article. Le 21 avril 2022, Le Monde a d’ailleurs demandé au cabinet du ministre de l’agriculture d’alors, Julien Denormandie, quelles avaient été les suites données aux décisions du Conseil d’Etat. La réponse devait être compliquée à formuler : elle ne nous est jamais parvenue.
Stéphane Foucart
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire