Ces lobbyistes
qui adorent la guerre
en Ukraine
Quel est le rapport entre l'agriculture bio et la guerre en Ukraine ? Fabrice Nicolino vous explique comment les lobbies de l'agriculture industrielle profitent de la situation géopolitique pour avancer leurs pions et refuser, au nom de la souveraineté alimentaire, toute concession à un système de production plus respectueux de l'environnement.
Retenez ce nom : Erik Fyrwald, américain. S’il y avait un concours mondial alliant stupidité et cupidité, nul doute qu’il serait dans les tout premiers. Il est par excellence l’homme de la chimie de synthèse, passé par plusieurs géants des pesticides, comme DuPont, mais aussi par le lobby en chef de l’agriculture industrielle, CropLife International. Il est aujourd’hui patron de Syngenta, leader mondial de l’agrochimie. Comme Syngenta est aux mains du chinois ChemChina, on peut dire sans calomnie que Fyrwald bosse pour un pays totalitaire.
Dans un entretien au journal suisse de langue allemande Neue Zürcher Zeitung – son édition du dimanche –, il lance ce qui pourrait passer, en première analyse, pour une provocation : « Les rendements de l’agriculture biologique peuvent être jusqu’à 50 % inférieurs, selon les produits. Nous ne pouvons pas simplement ignorer la production plus faible. Des gens en Afrique sont privés de nourriture parce que nous voulons des produits bio et que nos gouvernements soutiennent l’agriculture biologique 1. » Bien entendu, c’est un propos de lobbyiste, et je ne m’attarderai pas ici à répondre à tant de mensonges en si peu de mots. Disons que des études bien plus sérieuses que son pauvre couplet, y compris ceux venus de colloques de la FAO, montrent que l’agriculture biologique peut nourrir le monde à un coût écologique incomparablement plus bas.
Le présent se résume à une alternative. Ou l’on continue sur le chemin tracé par les assassins du vivant, ou l’on généralise des systèmes alimentaires cohérents, locaux, sans poisons, économes en eau. Le dérèglement climatique en cours nous rapproche à très grande vitesse d’un choix fondamental. J’ignore si Fyrwald croit au moins un peu à ses conneries, mais il est la pointe avancée d’une stratégie mondiale.
Concentrons nos lorgnons sur la France. Pour la première fois, en 2021, les ventes de produits bio ont baissé. De 3,1 %, après une croissance folle à deux chiffres chaque année depuis près d’un quart de siècle. Néanmoins, la nouvelle a pris une place démesurée, et réveillé tous les soutiens de la structure paratotalitaire qui regroupe les administrations centrales du ministère de l’Agriculture, certains cadres de l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), institut public, l’industrie agrochimique, bien sûr, et, in fine, le syndic(at) de faillite de l’agriculture industrielle, la FNSEA. Je précise pour les malentendants que « para » signifie ici « presque ». Je sais établir des différences. Mais le vrai est que tous les points de la décision publique sont entre les mains de cette camarilla née en 1945 de la volonté de Fernand Willaume, premier lobbyiste connu de l’histoire des pesticides en France.
Place à leur système fou. Partout
Que se passe-t-il ? La guerre en Ukraine est pour ces gens une aubaine. Dans un communiqué intitulé « Conséquences de la guerre en Ukraine : l’Union européenne doit remettre la souveraineté alimentaire en priorité absolue », la FNSEA vole cette notion de « souveraineté alimentaire », défendue par La Via Campesina depuis vingt ans et plus. Sous la plume des communicants, cette volonté de nourrir sans détruire devient une ode à leurs maîtres de l’industrie. Pour la FNSEA, « la logique de décroissance souhaitée par la stratégie européenne « Farm to Fork » doit être profondément remise en question. Il faut au contraire produire plus sur notre territoire, produire durablement mais produire ». La traduction est aisée : place à leur système fou. Partout. Deuxième extrait : « L’obligation dans la future PAC de consacrer 4 % à des surfaces dites « non productives » doit immédiatement être remise en question. » Présents dans la nouvelle PAC, ces 4 % sont une ridicule concession à la biodiversité. Mais même cela, la FNSEA n’en veut pas. Ses directions, via les coopératives et les chambres d’agriculture, ont trop à perdre, eux qui vivent en partie de la vente de pesticides.
Attention, lecteurs ! La propagande va s’emparer des gosses africains affamés. Des villes et fermes ukrainiennes dévastées, à l’abandon. C’est une guerre, mais pas celle qu’on dit. ●
1. Voir aussi : https://www.reference-agro.fr/erik-fyrwald-syngenta-lagriculture-biologique-nuit-au-climat-et-encourage-lutilisation-des-terres/
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