À Paris,
ils habitent dans un arbre
pour alerter
sur l’état des forêts
2 juin 2022
Thomas Brail dans un platane près de la tour Eiffel à Paris, le 1ᵉʳ juin 2022. - © Mathieu Génon/Reporterre
Le grimpeur-arboriste Thomas Brail s’est perché dans l’un des platanes proche de la tour Eiffel. Il veut protéger ces arbres menacés par la construction d’une bagagerie pour touristes et dénoncer plus généralement l’industrialisation des forêts françaises.
Petite suite à cet article :
Première victoire pour Thomas Brail, l’homme perché dans les arbres
Paris 7e, reportage
Les touristes en visite à la tour Eiffel n’en croient pas leurs yeux. Entre deux selfies avec la Dame de fer, ils dégainent leurs téléphones pour immortaliser un curieux funambule perché dans un immense platane bordant le célèbre monument. Juché sur des grosses branches, le grimpeur-arboriste Thomas Brail a installé son campement depuis le 30 mai dans ce colosse végétal afin de dénoncer un projet d’urbanisation des jardins entourant le monument historique. Près de 42 arbres sont menacés par la construction d’une bagagerie pour les touristes et des bureaux administratifs pour le personnel du monument. Le projet, baptisé OnE, n’est pas nouveau et avait déclenché l’ire des écologistes et des associations de défense du patrimoine ces dernières semaines.
Face à la fronde, la mairie s’était engagée à revoir ses plans pour éviter tout abattage.
Mais les militants qui entourent Thomas Brail restent méfiants et
doivent être reçus vendredi pour discuter de l’avenir du site. Ils
réclament une révision complète du projet et l’assurance que les jardins
ne seront pas bétonnés. « Regardez
le platane où se trouve Thomas. Il date de 1814. Gustave Eiffel
lui-même l’a protégé lors des travaux. Aujourd’hui, ses racines vont
être abîmées par les constructions et il va rapidement dépérir. Pourquoi
la mairie veut-elle abattre autant d’arbres alors qu’il y a plein
d’hôtels particuliers vides autour pour installer des bureaux ?
Elle prétend qu’elle va compenser et planter des nouveaux arbres. Mais
de jeunes pousses ne rendront jamais les mêmes services que ceux qui
sont bicentenaires », assure Christine Farhi, membre du Groupe national de surveillance des arbres (GNSA) de Ville-d’Avray (Hauts-de-Seine).
Cette association, créée par Thomas Brail en 2019, compte désormais plus de 70 antennes dans toute la France. Et les appels à l’aide affluent tous les jours. « Autrefois, nous avions deux ou trois sollicitions quotidiennes. À présent c’est plutôt 7 ou 8 alertes, dont environ un tiers d’intérêt public. Ce sont par exemple des gens qui nous contactent car leur mairie veut couper un arbre centenaire dans leur village », explique Angela Avan, membre du GNSA. L’intérêt pour la préservation des arbres semble aller croissant : en témoigne l’engouement des passants au pied du platane occupé. « Même la police est amicale et nous exprime son soutien », s’amuse Fabrice Fortner, éducateur grimpe d’arbres et acolyte de Thomas. C’est lui qui harnache les nombreux journalistes qui se sont succédé depuis le début de l’action. « Je suis là en soutien technique et moral, car parfois ce n’est pas facile d’être seul là-haut. Même si c’est le meilleur Airbnb de Paris, avec une belle vue sur la tour Eiffel », s’exclame-t-il.
Sauf que l’équipe n’est pas là pour faire du tourisme. Si le sort des
platanes de la tour Eiffel a largement ému le grand public, c’est loin
d’être le cas du reste des forêts françaises, qui meurent dans le silence médiatique. Thomas Brail en est bien conscient. « Je me suis accroché ici car ce qui se passe aujourd’hui sur le Champ de Mars se passe dans toute la France. »
Déjà en 2019, il était resté perché 28 jours dans un arbre face au ministère de la Transition écologique afin de dénoncer les coupes abusives dans les forêts du Sud-Ouest. À l’époque, Élisabeth Borne était ministre de l’Écologie et l’avait félicité dans un tweet. Elle assurait partager ses préoccupations et promettait la mise en place d’un groupe de travail dédié.
Pour se rappeler au bon souvenir de celle qui est aujourd’hui Première ministre, Thomas Brail a imprimé cet ancien tweet sur une banderole qui se balance entre les branches de son platane occupé. Car trois ans après cette déclaration d’intention, rien n’a changé. La situation a même empiré avec le détricotage de l’article L350-3 du Code de l’environnement qui protégeait les arbres d’alignement bordant les routes et les boulevards. Le gouvernement a introduit une disposition simplifiant leur abattage si jamais ils font obstacle aux projets d’aménagement du territoire. Le GNSA demande ainsi le renforcement de cet article L350-3, un outil fréquemment utilisé par les associations écologiques.
Thomas Brail a déjà passé plusieurs semaines dans un arbre pour la défense des forêts. © Mathieu Génon/ReporterreAutre revendication, l’encadrement des coupes rases reparties de plus belles depuis le plan de relance : « Les 200 millions d’euros prévu pour aider la filière ont surtout servi à financer des coupes rases et à planter des douglas en monoculture », a rappelé Bruno Doucet, membre de Canopée. L’association, qui se bat pour la préservation des forêts, avait organisé une conférence de presse mercredi 1ᵉʳ juin au pied du platane occupé avec deux députés, Hubert Julien-Laferrière (non inscrit) et Mathilde Panot (La France insoumise). Celle-ci a rappelé l’incurie du gouvernement Macron sur le sujet « On industrialise les forêts exactement comme on a industrialisé l’agriculture. » Elle a également rappelé la déliquescence de l’Office national des forêts (ONF), dont les salariés en grande souffrance ne peuvent plus gérer le domaine forestier durablement.
En bas du platane, ses soutiens détaillent la situation grave dans laquelle se trouvent les forêts de France. © Mathieu Génon/ReporterreÀ leurs côtés, Vincent Joseph, gestionnaire forestier, partageait le constat sur l’état déplorable des forêts françaises. Cependant, il a tenu à signaler que la profession ne pourra pas changer du jour au lendemain. « Pourquoi pas interdire les coupes rases, mais il faudra le faire sans casse sociale. » Il a également insisté aussi sur le coût financier d’une sylviculture moins industrielle. « Il faudra que les consommateurs achètent des produits issus des forêts durables car, si on n’interdit pas l’importation de bois provenant de coupes rases à l’étranger, on est cuits. »
Toujours perché dans son arbre, Thomas Brail a précisé qu’il n’était pas un ennemi de la filière bois : « Nous ne sommes pas ici pour taper sur eux. Je vis à la campagne et je me chauffe au bois, je n’ai pas honte de le dire. En revanche, il s’agit de revoir la manière dont on gère nos forêts. Et si les professionnels ne veulent pas changer, ce sont les citoyens qui vont leur imposer. »
Le grimpeur-arboriste compte rester suspendu jusqu’à ce qu’Élisabeth Borne, la Première ministre, Amélie de Montchalin, la ministre la Transition écologique et Marc Fesneau, celui de l’Agriculture, acceptent de le recevoir. Et assure qu’il fera preuve de patience.
Équipé et soutenu, le grimpeur-arboriste est prêt à passer un bon moment dans ce platane qui a vu la construction de la tour Eiffel. © Mathieu Génon/Reporterre
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