18 mars 2022
Pour une abolition
de la contention physique
en psychiatrie
A l'occasion des Assises citoyennes du soin psychique, des témoignages ont relaté des pratiques de contentions physiques notamment chez des enfants. A l'instar des EHPAD, il est nécessaire d'amplifier la mobilisation pour faire connaître et abolir ces pratiques indignes et les amalgames entretenant leur banalisation.
Imaginons deux situations.
Contention
Dans la première, une personne est attachée par les jambes, les bras, le buste à un lit avec des sangles. Elle est dans une chambre fermée à clé, sans personne autour d'elle. Elle a été mise là, sans son accord. Elle se débat, elle ne comprend pas ce qui lui arrive. Parfois, une ou plusieurs blouses blanches apparaissent. Quand personne ne vient, on lui parle par l'intermédiaire d'un interphone placé en haut d'un des murs de la chambre d'isolement. Dans le pire des cas, en fonction des établissements, une caméra de surveillance « veille » sur elle. Certes, on dira que cela permet de faire avec le manque de personnel mais ça n'arrange pas son syndrome de persécution.
Quand arrivent les blouses blanches, on s'attarde sur son corps, ses constantes vitales, les risques propres à la contention physique, une phlébite, une embolie pulmonaire, un escarre. Cette personne est là, allongée, bloquée. Peu de paroles. Elle ne peut pas arrêter la machine infernale à attacher et enfermer. Sauf si elle se tient « sage » et que le médecin le décide. Dans de rares cas, le juge des libertés et de la détention (JLD) peut ordonner la levée de cette mesure de contention, mesure gravement attentatoire aux libertés et à la dignité de la personne qui y est soumise.
Ce qui se dit alors, c'est le fameux « on ne peut pas faire autrement ». Mais c’est qui ce « on » ? « On » professionnels du soin ? Quand elle existe encore, « on » équipe de soin ? « On », l’établissement ? « On », nous les citoyens contentionnés humainement, matériellement, psychiquement, politiquement par un système pervers ? « On », les sadiques qui jouissent d’atteindre à la dignité de l’autre et qui se parent des arguments précédents?
« On », dans une certaine mesure, c’est nous toutes et tous. "On" détourne le regard car nous participons toutes et tous à un système ayant accepté la pénurie et la faisant porter aux premiers concernés, usager.e.s- patient.e.s – psychiatrisé.es, derniers maillons de « l’enchaînement » psychiatrique…
Et si la personne attachée au lit est un enfant ?
Vous savez ces enfants abandonnés et trahis par tant d’institutions… Ces institutions qui n’ont plus pour vocation première de les aider à se développer et à grandir quelles que soient leurs difficultés ? "On" préfère que ces institutions se développent et grandissent à la place des enfants accueillis. "On" les mutualise et les fusionne. Du coup, cet enfant, il vient d’arriver dans un service de psychiatrie adulte, il n’y a pas ou plus de place en pédo-psychiatrie. « On » a raté toutes les étapes préalables qui auraient pu concourir à déjouer cette situation infernale. Alors « on » commencera par dire de cet enfant qu’il est « un mineur ». "Mineur" et "majeur", c’est plus administratif, plus distancié. Moins de scrupules. Et puis ça se voit à la date de naissance. « On » trouve que c'est moins pénible que de dire "enfant" et "adulte"… Et puis si c'est mineur, il suffit du consentement des personnes ayant l’autorité parentale pour l’enfermer et l’attacher sans que personne ne puisse rien trouver à y redire.
Pour un enfant attaché de tout son long, pas de juge des libertés, pas de contrôle. Rien. De toute façon, "on" les appelle mineurs. C'est pas pour rien, « ça » vit sous terre, dans l’ombre, ça ne se voit pas. Ça s’exploite. Le mineur, il peut aussi crier, se débattre, hurler. On continuera de le laisser là, en plan, pendant des heures seul avec ses angoisses, ses peurs, ses délires, ses stéréotypies autistiques, ses idées suicidaires. A un moment, quand les médicaments auront fait effet, "on" le détachera progressivement. Il s’en suivra un parcours de sortie de contention puis d’isolement. « On » s’y fait.
Nous ne nous y faisons pas. Nous ne pouvons pas nous y faire. Maltraiter l’enfance, quoi qu’on en dise, c’est se traiter mal collectivement et intimement. L’enfant en nous, il est actif toute notre vie. Il concourt à créer les adultes que nous devenons. Le maltraiter revient à devenir un adulte maltraitant, une société maltraitante. Ne pas reconnaître les difficultés de l’enfant, ses désirs, ses traumas, ses besoins, les dénier et les trahir, c’est ouvrir la porte aux abus.
Lors des cinq dernières minutes des Assises citoyennes, une soignante présente a pu exprimer sa honte de voir des enfants attachés dès leur plus jeune âge dans des services de « soins ». "On" aura beau jeu ensuite d’accuser ces patients devenus adultes d’être des bêtes furieuses, des monstres comme dans l’histoire de Mr D... Au-delà de la psychopathologie propre de ces enfants entravés, sanglés, "on" aura concouru collectivement à fabriquer cette monstruosité-là où les gestes, l’attention, les paroles et les liens humains auraient pu tenter de faire avec les tensions extrêmes de ces enfants pris dans des détresses sans fond.
Certains des « on » feront le procès des pénuries, des manques de moyens, de la catastrophe en cours depuis des lustres. A juste titre. Mais « on » se révoltera-t-il réellement ? « On » transformera-t-il sa plainte en lutte ? « On » acceptera-t-il de se lever contre l’inacceptable, contre l’indigne, contre l’intolérable ? Peut-être « on » le fera en son for intérieur. Espérons-le. Il n’empêche, qu’en attendant, elle, la personne, est toujours là attachée en chair et en os à son lit dans sa chambre fermée. Et elle c’est toi, c’est moi, c’est nous. Nous naviguons plus vite dans les eaux troubles de la psyché et de ses folies que ce que l’on veut bien croire. Idem pour la vieillesse, pour les situations d’urgence. Nous pouvons toutes et tous nous faire attacher un jour, aux urgences, en EHPAD, en psychiatrie. Est-ce que c’est ça que nous voulons ? Comment cela se fait-il que « on » s’habitue à cela. Et qu’est-ce qu’ils en pensent les représentants, les futurs députés, les candidats patentés au cirque présidentiel ? Le Printemps de la Psychiatrie appelle tout un chacun à demander aux candidats députés de son coin ce qu'il pense de la contention et d'un futur débat parlementaire en vu de son abolition.
« Contention, piège à cons », « pas de contention, de l’imagination » entendions-nous lors de manifestations.
Pas plus que les guignols ayant participé aux Assises macronistes de la santé mentale en septembre 2021, le gouvernement allié aux députés playmobiles de la start-up nation n’ont voulu débattre des possibles alternatives à la contention. Rien. Parler de la forme que revêtira le contrôle des adultes attachés aura suffit. Rien sur les gamins attachés. « On » s’en fout, ils ne votent pas. Pourquoi ça ne leur vient pas à l'idée aux "représentants" de se poser la question de comment « on » se passe de ces anti-soins ? Pourquoi ?
Contention physique, contention financière. Il est tout de même intéressant de noter que le matériel pour attacher coûte 107 euros sur certains sites spécialisés... Calcul implicite de "l'utilité" économique de ce genre de méthode pour ration(nalis)er les soins psychiques ?
Deuxième situation.
Contenance
D’un côté, vous avez cet enfant ou cet adulte attaché, enfermé, seul, sans son consentement. De l’autre, vous avez un enfant ou un adulte pris de panique. Angoisse massive. Pour affronter cette détresse immense, vous lui proposer de l’envelopper dans un drap. Si c’est une urgence comme dans le cas précédent, n’importe quel drap fera l’affaire. Vous lui demandez s’il serait d’accord pour qu’on puisse l’envelopper dans ce drap sec, rester auprès de lui à plusieurs, lui parler, le masser, pour qu’il se détende. Il accepte, c’est à dire qu’il donne son consentement. Plus tard ou avant cette situation, en cas détresse suraigüe chronique grave, les professionnels demandent à l'enfant et sa famille, à l'adulte, un accord pour pratiquer des enveloppements réguliers. Dans les deux cas, il nous faut mobiliser trois à quatre soignants pendant 30 à 45 minutes. Nous expliquons ce que nous allons faire, pourquoi et comment. Tout le collectif est formé à la pratique de l’enveloppement et l’a essayé sur lui-même (c’est mon cas). L’enveloppement peut-être humide, il peut-être sec. Dans tous les cas, c’est un soin psychothérapique corporel consenti. Il peut s’arrêter quand la personne le souhaite car ce qui est visé c’est son bien-être. Et à partir de là, des histoires vont émerger et se mettre en circulation pour aider les soignants, l’enfant, sa famille, l’adulte à penser ce qu’il se passe. Les enveloppements - le packing - en plus d'apaiser l'angoisse feront émerger tout un tas de choses, des histoires passées, des souvenirs joyeux et tristes, des sensations particulières.
Pour l’avoir pratiqué dans un service d’hospitalisation de psychiatrie adulte, j’ai pu constater l’efficacité du packing pour apaiser les patients, remettre au travail psychique l’équipe de soin et créer d’autres liens entre la personne en soin et le collectif. J’ai pratiqué les enveloppements secs dans des situations d’angoisses massives, toujours avec le consentement de la personne, même en crise délirante et quasi inaccessible. J’ai pu faire l’expérience du contact retrouvé et d'une absence de recours à des contraintes physiques par la suite. Nous avons également pratiqué des packs hebdomadaires avec des patients pendant plusieurs mois dans une visée psychothérapique corporelle sur un temps suffisamment important. C’étaient des moments privilégiés d’autant que l’ensemble du service devait avoir en tête le pack de la personne pour s’arranger avec les plannings des uns et des autres afin de permettre la continuité des soins pendant que le collectif pack œuvrait au bien-être de la personne, avec elle.
Derrière l’amalgame contenance / contention, la question du consentement.
Résumons.
D’un côté vous avez la pratique des enveloppements qui est toujours en accord avec le patient (et sa famille quand il s’agit d’un enfant). Le packing est un soin psychothérapique qui dure entre 30 et 45 minutes et qui mobilise 3 à 4 soignants autour et avec le patient. Le but est de viser à son bien-être en échangeant des paroles et des gestes. Les soignants massent le patient, peuvent chanter avec lui, tous peuvent se laisser aller au silence ou à la parole tout en étant là ensemble, attentifs à l’ambiance. En plus d’être accepté par la personne, l’enveloppement peut être arrêté à tout moment si elle le souhaite. Cet acte est prescrit médicalement. Après l’enveloppement, un temps est pris avec le patient pour qu’il puisse exprimer ses ressentis et retourner dans le groupe.
De l’autre côté, vous avez la pratique de la contention physique. La contention physique qui est une technique d’immobilisation prolongée sur un lit par des sangles aux quatre membres et à l’abdomen dans une chambre d’isolement. La personne attachée ne consent pas à la contention. Elle ne peut pas l'arrêter d'elle-même. Les soignants sont là en nombre au moment de l’immobilisation et du sanglage. La personne ne peut pas aller uriner ou déféquer d'elle-même. Elle est dépendante pour tout. Après un vide juridique d’un mois (janvier 2022) abolissant de fait le droit de pratiquer l’isolement et la contention sur le territoire français, la contention est désormais encadrée par le contrôle systématique du Juge des Libertés et de la Détention (JLD). Sauf s’il s’agit d’un « mineur », c’est à dire d’un enfant.
Donc d’un côté vous avez un soin corporel psychothérapique centré sur la contenance et de l’autre une technique d’immobilisation centrée sur la contention. Au niveau de la formation, tous les soignants formés au pack l'ont testé sur eux. Pour la contention, ce n'est pas le cas. Il serait pourtant intéressant que les soignants adoptent pour quelques instants le point de vue d'une personne attachée et alitée dans une chambre fermée.
Devinette
Laquelle de ces deux techniques est considérée comme une torture? Laquelle est interdite chez les enfants? Laquelle fait l’objet de contrôle et de sanctions des tutelles (ars et ministère de la santé) ?
Encore un indice… A l’instar du ministre Olivier V. dans un discours aux députés, les tenants de la contention physique vous disent que c’est un « soin » et que ça permet de contenir la personne. Pour les plus futés, ils mâtineront même ça d’arguments psychopathologiques voire psychanalytiques en vous expliquant que cela permet de redonner de la « contenance corporelle », une enveloppe psychique à la personne etc. Discours fallacieux dont les auteurs appuieront explicitement leurs arguments sur la supposée étymologie commune entre contenance et contention. Comme l’a montré le psychiatre Emmanuel Pelon dans son travail de thèse, la contention vient du latin contentio « tension ». La contenance vient du latin continere « maintenir uni». Ce n'est ni la même étymologie ni la même pratique. La contention physique est contrainte, la contenance par enveloppement est consentie. Différence majeure et radicale.
Fort de tout cela, répondons maintenant à la devinette pour faire le diagnostic de ce que nous acceptons collectivement… C’est bien la pratique des enveloppements qui est taxée de torture. Et c’est bien la contention physique qui est autorisée, banalisée, sans discussions ni débats dignes de ce nom.
Devons-nous laisser faire "on"?
Si, actuellement, les abus sont encouragés et couronnés, des perspectives se dessinent pour lutter pied à pied contre eux. Dans quelques semaines le décret d'application concernant la contention et l'isolement doit paraître. D'ici là, le CRPA fera une conférence débat sur "réforme de l'isolement contention en psychiatrie, où en sommes-nous?", le samedi 2 avril à 14h. Par ailleurs, suite aux Assises citoyennes du soin psychique , une réunion est prévue le dimanche 10 avril à Montreuil. Deux communiqués ont été rédigés et envoyés à la presse cette semaine. Le premier a été élaboré par l’atelier sur l’enfance en forme d’adresse aux parlementaires - et l’autre par l’atelier traitant de la démocratie dans les soins. Nous les joignons en annexe.
Mathieu Bellahsen, 18 mars 2022.
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