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jeudi 30 décembre 2021

« Il bouffe des randonneurs ! » : en Ariège, le mauvais procès de l’ours


« Il bouffe des randonneurs ! » : 

en Ariège, 

le mauvais procès de l’ours

 

 
20 décembre 2021

 

Le village de Seix (Ariège), 600 âmes.

 

D’un côté, il y a les chasseurs et les élus ariégeois, peu intéressés par la cohabitation avec l’ours. De l’autre, ses défenseurs, qui rappellent que l’animal est proche de l’extinction. L’État, lui, est tétanisé.

Seix (Ariège), reportage

Englouties par la brume se dessinent au loin des bâtisses noircies par le temps. Perché dans le Couserans ariégeois, le village de Seix contemple la neige saupoudrer d’un voile blanc les forêts environnantes. Sur le panneau d’entrée de la commune, un autocollant invite à pénétrer dans le « Pays de l’ours », symbolisé avec sarcasme par une brebis égorgée.

C’est ici, samedi 20 novembre, qu’un chasseur a été blessé par une ourse, qu’il a ensuite abattue. Ses proches, qui n’ont pas assisté à la scène, racontent qu’il aurait aperçu gambader devant lui deux oursons, avant d’être attaqué par derrière par la mère. « J’ai entendu l’appel radio, raconte Andreu Léopold, qui chassait avec lui. La mère lui a chopé la jambe et lui a arraché le mollet. » À l’arrivée des secours, le septuagénaire seixois a été héliporté vers l’hôpital de Toulouse. L’animal, lui, gisait en contrebas.

Depuis 1996 et la réintroduction d’une première femelle slovène dans les Pyrénées, jamais aucun humain n’avait été blessé par l’imposant mammifère. Malgré cela, ce face-à-face tragique a immédiatement attisé l’ire des opposants à l’ours brun. En Ariège, de nombreux chasseurs et élus ont saisi l’occasion et réclament une régulation de l’espèce, pourtant en danger critique d’extinction.

 

Deux autocollants représentent des brebis égorgées. © Emmanuel Clévenot/Reporterre

 

L’homme n’était pas autorisé à chasser dans cette zone

Six jours après les événements, la colère a soudainement changé de camp. Le 26 novembre, la substitut du procureur, Léa Filippi, a annoncé l’ouverture par le parquet de Foix d’une information judiciaire à la suite de la mort de l’ourse. En effet, la chasse s’est déroulée, au moins pour partie, dans la réserve domaniale du Mont Valier, soumise à des restrictions.

L’article 5 de l’arrêté préfectoral relatif à l’ouverture de la chasse en Ariège énonce en effet que les battues au sanglier doivent y être organisées par l’Office national des forêts. Président de la fédération de chasse du département, Jean-Luc Fernandez se défend en assurant qu’un accord tacite existe entre les deux organisations : « Depuis 2019, l’ONF ne nous a jamais rien reproché et n’a procédé à aucun contrôle. Pourtant, ils croisent les chasseurs tous les jours. »

Contacté par Reporterre, un membre de l’établissement public dément ces propos : « Nous ne pouvons rien dire pour l’instant, mais la vérité va bientôt exploser. Une chose est sûre, nous ne leur avons pas donné l’autorisation. » Du côté des principaux intéressés, l’un des chasseurs présent le jour du drame expose une toute autre version : « Nous ne chassions pas sur la réserve ! C’est juste lui qui s’est perdu. Il est allé à gauche à droite et s’est retrouvé là-bas sans le savoir. » Un juge d’instruction a été nommé pour tenter d’élucider l’affaire.

La question se pose désormais de la formation dispensée aux chasseurs évoluant en zone à ours. D’après un arrêté préfectoral pris le 20 août 2019, la fédération départementale de chasse est tenue d’organiser des réunions d’information sur le comportement à tenir en cas de rencontre fortuite avec l’ursidé. Établi par la préfecture d’Ariège, le dernier rapport d’évaluation de ces mesures de protection révèle cependant qu’aucune séance n’a été organisée pendant la campagne 2020-2021. La raison invoquée ? « Le contexte sanitaire lié à la gestion de la pandémie du Covid-19 ».

 

La femelle tuée était probablement Caramelle. Née en 1997, elle était l’ours le plus âgé des Pyrénées. L’année de sa naissance, sa mère avait été tuée par un chasseur, lors d’une battue. OFB / Réseau ours

 

Pour Alain Reynes, directeur de l’association Pays de l’Ours-Adet (qui promeut le retour du plantigrade dans le massif), il s’agit avant tout d’un manque de volonté récurrent. « En 2008, un chasseur avait tiré sur un ours appelé Balou, lors d’une battue. À la suite de cet accident, nous avions initié un travail de groupe, avec les services de l’État et les chasseurs locaux, pour tenter d’améliorer la cohabitation. » Dès la fin de la première réunion, la fédération de chasse avait décidé de mettre fin à cette initiative : « J’ai reçu un simple mel qui expliquait en deux lignes qu’elle refusait tout changement de leurs pratiques. »

« Il n’y a pas besoin de formation pour se faire déchiqueter par un ours, s’insurge Jean-Luc Fernandez, aux manettes de la fédération. En Ariège, cette année, cinq personnes sont parties en randonnée et ne sont jamais revenues. Vous croyez qu’il n’y a que les chasseurs qui se font bouffer ? » Une affirmation fausse : aucun de ces décès n’est lié à l’ours. Le représentant des chasseurs ariégeois poursuit : « J’espère simplement que la prochaine fois, c’est un mec de Férus [une association pro-ours] qui se fera bouffer. »

 

La chasse était illégale : elle s’est déroulée, au moins pour partie, dans la réserve domaniale du Mont Valier. © Emmanuel Clévenot/Reporterre

Derrière le mythe du féroce prédateur, un manque de connaissances

Le régime de l’espèce est certes constitué à près de 80 % de végétaux et d’insectes, mais les prédations sur le bétail ne sont pas négligeables. Entre le 1er janvier et le 31 octobre 2021, les ours auraient causé la mort de 625 ovins en Ariège [1]. Toutefois, depuis les événements survenus à Seix, de nombreux anti-ours tentent d’attribuer à l’animal la fausse image d’un féroce prédateur qui n’aurait plus peur de l’humain. Mais aussi massifs soient-ils, les ours bruns sont farouches et les chiffres le prouvent. Entre 1993 et 2020, 255 rencontres avec des humains ont été recensées dans les Pyrénées. Dans une très grande majorité des cas, le mammifère s’est enfui immédiatement. Seules six femelles suitées (c’est-à-dire suivies, accompagnées par leur petit), sentant leurs petits en danger, ont présenté une attitude menaçante.

 

© Emmanuel Clévenot/Reporterre

Ces propos visant à faire de l’ours une menace sont largement repris par les élus locaux. À commencer par la présidente du département, Christine Téqui. « Cette année, des bergers m’ont raconté qu’ils avaient été encerclés par des ours pendant toute une nuit et qu’ils ne pouvaient pas rejoindre leur cabane, dit-elle, au téléphone, à Reporterre. Je n’exagère pas, ils sont dangereux ! » Ces anecdotes, largement relayées, mettent en évidence l’ignorance des humains quant au comportement de l’ours : ses charges d’intimidation sont impressionnantes mais inoffensives et s’il se dresse sur ses pattes arrière, c’est avant tout pour identifier l’inconnu qui se présente devant lui...

Quatre jours après l’épisode de Seix, le département a officialisé la création d’une instance de gouvernance locale, appelée Parlement avenir montagne. « Nous avons adopté une motion demandant la régulation immédiate du nombre d’ours », se félicite Christine Téqui. Les élus locaux, la fédération de chasse, les syndicats agricoles et d’autres membres de cette assemblée ont également réclamé la reconnaissance immédiate de la responsabilité de l’État. « Ni les maires, ni les chasseurs, ni le département n’ont à répondre des accidents liés à l’ours, poursuit la présidente de l’Ariège. L’État a signé un chèque à la Slovénie pour acheter ces animaux, il en est donc le propriétaire et l’unique responsable. » Grandes absentes de la liste des invités, les associations environnementales favorables à la présence de l’ours ont dénoncé des « gesticulations médiatiques » n’ayant « rien de sérieux sur le plan juridique ».

La Commission européenne : une épée de Damoclès

À l’hôtel Roquelaure, ce conflit tétanise. Il y a quatre ans, sous la direction de Nicolas Hulot, le ministère de l’Écologie publiait son plan d’actions ours brun 2018-2028. De ces quatre-vingt-quatre pages ressortaient alors deux mesures phares : le lâcher de deux femelles dans le Béarn, qui a été réalisé en octobre 2018, et l’engagement de remplacer tous les ours morts du fait des humains. Bien que renouvelée tous les ans, cette seconde mesure n’est pas appliquée : « Ces deux dernières années, quatre ours ont été abattus par balles ou empoisonnés dans les Pyrénées. Pourtant, toujours aucune annonce de réintroduction. L’État est complètement figé entre ses obligations légales et l’opposition locale, souvent violente », analyse Alain Reynes. Selon lui, ce plan d’actions n’est en réalité qu’une stratégie gouvernementale pour échapper à la Cour de justice européenne. En novembre 2012, la Commission européenne avait d’ailleurs envoyé à la France une lettre de mise en demeure pour manquement à ses obligations de protection de l’espèce.

Le 8 décembre, pour arbitrer cet épineux débat, les services de l’État ont nommé un préfet saisi explicitement de la question. À l’occasion de sa prise de fonctions, il a rencontré partisans et opposants à l’ours, au cours d’une réunion à huis clos. Vice-président de l’association Férus qui milite pour la préservation des grands prédateurs, Patrick Leyrissoux s’est réjoui d’apprendre que le nombre annuel d’animaux attaqués n’avait jamais été aussi bas depuis 2017 : « On progresse ! Les parcs électrifiés de regroupement nocturne permettent de diviser par cinq le taux de prédation et ce matériel est subventionné à 80 % par l’État », déclare-t-il à Reporterre, avant d’ajouter qu’encore trop peu de bergers les utilisent. Représentant ariégeois des éleveurs, Yann de Kérimel a réagi en déclarant que les brebis n’ont pas pour vocation d’être regroupées tous les soirs. Ces mesures de protection sont pourtant largement pratiquées dans les Pyrénées-Atlantiques et dans les Alpes (face aux loups). « Les anti-ours préfèrent multiplier les effarouchements pyrotechniques. Cela encourage la prolifération des armes à feu dans les estives, avec les conséquences qu’on connaît, se désole Patrick Leyrissoux. Quoiqu’on en pense, les humains et les ours sont voués à rester dans les Pyrénées. Alors entamons ensemble la cohabitation. »

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Notes

[1Il ne s’agit pas du nombre de brebis consommées par l’ours car sont comptabilisés également les bêtes mortes en raison des dérochements (terme employé par les éleveurs pour décrire des chutes mortelles depuis une falaise des brebis paniquées par la présence d’un ours).

 

Source : https://reporterre.net/Il-bouffe-des-randonneurs-en-Ariege-le-mauvais-proces-de-l-ours?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_hebdo&utm_campaign=337%20hebdomadaire&utm_medium=email&utm_source=emailing

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