Chasseurs, éleveurs…
ils voient des loups partout
Malgré toutes les misères que leur font chasseurs, éleveurs... et ministres, les loups s'obstinent à vivre en France. Et, si l'espèce est protégée, elle est aussi chassable pour « régulation ». C'est le « plan loup » qui organise la tuerie de 19 % de la population globale des loups. Du coup, tous ses ennemis voient le loup partout. Les gars, faut arrêter de trop charger l'apéro et les fusils !
Une louve retrouvée pendue devant la mairie d’un petit village des Alpes, un loup à peine vu et déjà mort en Loire-Atlantique… La présence du loup est avérée dans quelques départements de l’ouest de la France, après son implantation dans le sud-est de la France… Alors, les louuuups sont-ils à nos portes ? Prêts à rentrer dans Paris, « soit par ici, soit par Ivry », comme le disait la chanson ? Oui, si l’on en croit Christian Hubaud, élu rural des Hautes-Alpes, venu protester à Gap lors d’une manifestation anti-loup organisée notamment par la FNSEA.
L’homme ne croit pas aux chiffres officiels de l’Office français de la biodiversité (OFB), qui estime la population lupine à environ 650 individus. Aux méthodes scientifiques de comptage de l’OFB, Christian Hubaud, préfère le doigt mouillé et n’en démord pas : « Il y en a beaucoup trop : quand on nous en annonce 500–600, on peut mettre un zéro, voire peut-être deux derrière. » Boire ou compter, il faudrait choisir ! « 60 000 loups en France, qui dit mieux ?! », a aussitôt réagi, moqueuse, la délégation Auvergne-Rhône Alpes de France Nature Environnement (FNE), en ridiculisant les propos délirants de l’élu. Car 60 000 loups, c’est cinq fois plus que la population européenne de l’espèce canis lupus, estimée à 10 000 individus.
Derrière le « recomptage » des loups, l’extermination souhaitée
L’affaire aurait pu en rester là : une risible surestimation de la part des anti-loup, mais c’était compter sans le génie de Julien Denormandie, le ministre de l’Agriculture. Le 21 octobre, au congrès des élus de montagne au Grand-Bornand (Haute-Savoie), il a déclaré : « On sait qu’il y a aujourd’hui un désaccord entre la perception des éleveurs sur le terrain quant au nombre de loups présents et les chiffres qui sont donnés notamment par le gouvernement. » Et, comme les élections approchent et qu’il faut caresser tous les électorats : chasseurs, ruraux, et même les gros cons, Julien Denormandie a précisé sa pensée : « Il y a un juste équilibre à trouver, certes avec le maintien de la présence des prédateurs mais également avec, et surtout, un maintien de la présence de nos éleveurs. (…) Je pense que la bonne clé d’entrée est de revoir le sujet du comptage parce que de là tout découle. » La messe anti-loup était dite.
« C’est
de la folie au niveau biodiversité et c’est un mépris total pour
l’Office français de la biodiversité. Il faut savoir que l’OFB est sous
la double tutelle du ministère de la Transition écologique… et de
l’Agriculture. Et que fait le ministre de l’Agriculture ? Il discrédite
publiquement ses propres agents pour un effet d’annonce électoraliste », s’étrangle Georges Erome, biologiste et naturaliste, membre de France nature environnement Auvergne Rhône-Alpes.
Établissement
public dédié à la protection de l’environnement, l’Office français de
la biodiversité, c’est quelque 2 800 agents, dont 1700 inspecteurs de
l’environnement qui interviennent quotidiennement sur le terrain « pour
prévenir et lutter contre les atteintes à la biodiversité, mais aussi
mieux appréhender les écosystèmes, comprendre leur fonctionnement et
leur adaptation face aux pressions qui les entourent », peut-on lire sur le site de l’Office. C’est surtout selon « une méthodologie de comptage des animaux reconnue comme l’une des plus complètes et des mieux détaillées de France », estime-t-il encore. Car on ne compte pas les loups comme on compte les brebis.
D’abord parce que le loup est un grand timide, discret et plutôt noctambule. Le voir n’est pas donné à tout le monde. « Je suis référent loup et grands prédateurs sur la région Auvergne Rhône-Alpes et je l’étudie depuis 25 ans. Si j’en ai vu une dizaine de fois, c’est bien le maximum… », constate avec regret Georges Erome. Sur le terrain, les agents de l’OFB observent les traces des canidés sauvages, prélèvent les fèces ou des poils, font des analyses d’ADN… Étudiées et synthétisées, ces données permettent de cartographier les meutes de loups. Ce qui fait que chaque loup sauvage est pratiquement aussi tracé que n’importe quel possesseur d’un smartphone et d’une carte bleue ! C’est comme ça qu’on sait que, par exemple, le loup mangeur de brebis du Val d’Ajol, abattu légalement en septembre 2020, était connu sous le nom de code de GW1554m et qu’il venait, non pas d’Italie, mais plutôt d’une souche d’outre-Rhin.
Ces chasseurs et éleveurs qui ont des velléités de devenir statisticiens sauront-ils en faire autant ? Vont-ils pousser les investigations pour étudier les comportements des individus et d’une meute ? Comprendre leurs déplacements pour – soyons fous – anticiper les risques d’attaques ? Ou plutôt appuyer sans réfléchir sur la gâchette ? On peut, sans risque de se tromper, parier sur la dernière option.
Si la question du nombre est le nouveau cheval de bataille des anti-loup, c’est parce que, derrière cette revendication, se cache la volonté inavouable d’exterminer le loup. Comment ? En passant par les plans d’abattages des prédateurs. Ces tirs de prélèvement (le nom officiel) sont légalement possibles lorsque tout est mis en place pour la protection des troupeaux et que les tirs d’effarouchement sont devenus inefficaces. Le plan loup français permet donc le « prélèvement » de 19 % de la cohorte lupine. D’où l’enjeu de la bataille des chiffres. Plus de loups = plus de prélèvements et plus de coups de fusils. Petit calcul : s’il y a bien 600 loups et que l’on peut en « prélever » 19 %, ça fait 118 loups à tuer. Mais s’il y en a dix, voire cent fois plus, comme le pensent certains… alors on pourrait avoir le droit de dézinguer toute l’espèce.
Depuis des années, les demandes constantes d’assouplir la réglementation protégeant cet animal inscrit sur la liste des espèces menacées viennent mettre à mal la présence et la survie du loup en France. « Avec un tel taux de prélèvement, la population stagne. Alors, si l’État autorise les tirs au-delà de 19 %, on peut faire l’hypothèse du futur déclin de l’espèce », estime Georges Erome. Une analyse que ne partage pas l’association écologiste Férus. Celle-ci est encore plus pessimiste et voit déjà dans les statistiques actuelles une « dégradation de la dynamique de la population » de loups en raison des abattages autorisés par les pouvoirs publics.
Surtout, contrairement à d’autres pays européens, la France continue d’avoir une « gestion loup » soumise aux pressions des lobbies de la FNSEA, qui a fait du loup l’ennemi numéro un. Sept associations écologiques et de protection animale dénoncent les aberrations qui en découlent. Par exemple, le fait que, pour protéger des troupeaux laissés seuls dans les estives, les éleveurs ont droit à des compensations financières pour investir dans un chien patou : 300 euros à l’achat et 652 euros par an pour son entretien. De même, pour subvenir aux frais de gardiennage par un berger salarié ou un prestataire, les éleveurs perçoivent 2 500 euros par mois.
Autre recul dans la protection des loups : les tirs d’effarouchement – qui apprenaient aux loups le danger de s’approcher d’un troupeau donné – sont de plus en plus abandonnés au profit de tirs dits « de défense » qui sont en fait des attaques directes envers les canidés sauvages. « À la FNE, on ne dit pas qu’il ne faut pas faire de prélèvement, mais uniquement si le troupeau, malgré toutes les protections, est attaqué, et uniquement sur le loup prédateur. Car, si on flingue un loup de passage et pas celui qui s’est spécialisé dans la tuerie de moutons, alors on passe à côté du problème », conclut Georges Erome.
Face à toutes ces incohérences dans la gestion du plan loup, une mission interministérielle a été chargée d’étudier les méthodes comparatives dans différents pays européens. Il en ressort que : « La France détient de très loin les records du nombre d’attaques de troupeaux », mais aussi « du coût public de la protection, et du montant des indemnisations de dommages (…) Ce qui conduit à s’interroger sur l’efficience du système mis en place au fil des ans par notre pays ». Effectivement. Et qu’en dit Julien Denormandie ? ●
Source : https://charliehebdo.fr/2021/10/ecologie/chasseurs-eleveurs-voient-loups-partout/
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