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mardi 2 février 2021

La loi séparatisme saborde la liberté associative

La loi « séparatisme » 

saborde la liberté associative


16 février 2021 / Marie Astier (Reporterre)

 

 


 Ce mardi (16 février), les députés adoptent (par un vote solennel la loi « séparatisme ». Mais ce texte ne vise pas que les activités potentiellement terroristes : tout un chapitre s’intéresse aux libertés associatives. Les associations de défense de l’environnement, notamment, s’estiment gravement menacées.

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Les associations organisant des actions de désobéissance civile, ou soutenant des blocages de chantier tel que celui en cours à Gonesse, seront-elles bientôt considérées comme « agissant contre la République » ? Pourront-elles être plus facilement privées de subventions, voire dissoutes ? La crainte est grande chez les associations de défense de l’environnement. Car le projet de loi « confortant le respect des principes de la République » (surnommé « loi séparatisme ») prévoit, dans ses articles 6 à 12, de renforcer le contrôle des associations. Après en avoir débattu pendant deux semaines, les députés doivent adopter l’ensemble du texte par un vote solennel mardi 16 février.

L’objectif affiché par le législateur est de viser les associations « séparatistes », comprenez celles qui feraient la promotion d’un islamisme radical. Mais une grande partie du monde associatif se sent visé. « Contrairement à ce qui est avancé par ses promoteurs, ce nouveau texte liberticide ne concerne pas seulement les associations cultuelles et celles qui perçoivent des fonds publics, mais constitue une menace très grave pour l’ensemble des associations françaises », expliquait en janvier une tribune signée d’universitaires, d’avocats, et de multiples associations allant des arts de rue au soutien aux migrants, en passant par la défense des droits de l’Homme et de l’environnement.

« De nouveaux outils de contrôle des associations sur la base de notions floues » 

« L’amour de la République demande des preuves, il faut poser des lignes rouges », a affirmé devant l’Assemblée nationale le rapporteur de ces articles, le député La République en marche (LREM) Éric Poulliat. Reporterre a tenté de le joindre, mais le député n’a pas trouvé le temps de nous répondre. « On crée de nouveaux outils de contrôle des associations sur la base de notions floues », observe Frédéric Amiel, coordinateur général des Amis de la Terre. Le défenseur des droits a, de son côté, dénoncé dans son avis sur le projet de loi un « renforcement global du contrôle de l’ordre social. »

Car l’article 6 du projet de loi prévoit que désormais, les associations recevant des subventions — donc de l’argent public — devront signer un « contrat d’engagement républicain ». À noter que le Conseil d’État avait souligné que le mot « contrat » semblait inapproprié, un contrat supposant un engagement libre entre deux parties, alors qu’il serait ici unilatéralement imposé.

Le JDD avait opportunément dévoilé le contenu de ce « contrat », préparé par les services de la ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa, la veille du lancement des débats à l’Assemblée nationale. Outre le respect de l’égalité homme-femme ou la lutte contre le racisme, l’un des engagements prévoit que l’association ne doit pas « causer de trouble à l’ordre public », et ne pas « revendiquer sa propre soustraction aux lois de la République ». « C’est la définition même de la désobéissance civile », proteste Benjamin Sourice, chargé de mission chez VoxPublic.

« On pourrait imaginer que l’on nous retire l’agrément à cause de nos actions de désobéissance civile » 

Certaines associations en pointe dans la défense de l’environnement touchent des subventions publiques, et pourraient être directement concernées, à l’instar de la plus grande fédération française d’associations environnementales, FNE (France Nature Environnement). « Prenons l’exemple du barrage de Sivens (Tarn), explique Bénédicte Hermelin, directrice générale de FNE. On ne peut pas dire que l’ordre public ait été sauvegardé. Pourtant, en définitive, les associations ont gagné tous les recours. Elles se sont battues pour faire respecter la loi. Mais avec ce projet de loi, on aurait pu leur couper les subventions publiques, voire les dissoudre. » Elle souligne par ailleurs que ce contrat est réservé aux associations, « alors que les syndicats et les entreprises aussi touchent des subventions ».

 

Des membres de la Coalition pour les libertés associatives devant l’Assemblée nationale.

 

Les Amis de la Terre France, également, touchent des subventions. Or l’association organise régulièrement des actions de désobéissance civile, et pourrait donc être considérée comme peu respectueuse de l’ordre républicain. « On connaît notre liberté de ton, réagit Frédéric Amiel, son coordinateur. Il me semblait que cette liberté était un acquis, y compris quand on touche de l’argent public. Ces subventions financent la vitalité du débat public. »

Mais ce n’est pas tout. L’article 7 du projet de loi élargit le champ des associations potentiellement touchées. Car ce « contrat d’engagement républicain » devra également être respecté par les associations demandant un agrément à l’État. Un sésame essentiel pour agir en justice au nom de la protection de la nature. Nombreuses sont les associations qui allient actions juridiques et actions sur le terrain, comme FNE ou Greenpeace. « On pourrait imaginer que l’on nous retire l’agrément à cause de nos actions de désobéissance civile, craint Clara Gonzales, juriste chez Greenpeace France. Pourtant, nous subissons déjà un contrôle a priori au moment de la délivrance de l’agrément. Là, on fermerait encore plus les possibilités de l’obtenir. C’est une loi bâillon. » Ce contrat ajouterait donc de nouvelles conditions, plus restrictives. « Les associations pourraient être obligées de choisir entre l’arme du droit et celle de la désobéissance civile », craint Benjamin Sourice.

« Cette loi ouvre la porte à beaucoup de dérives »

« Toutes les luttes sociales et environnementales ont obtenu des choses parce qu’elles ne se sont pas, à un moment, cantonnées aux pétitions et manifestations, estime Charlotte Mijeon, du réseau Sortir du nucléaire. Je pense notamment à un blocage de convoi d’uranium en 2013, que nous avons soutenu. Le procureur avait estimé que c’est grâce à ce type d’actions que la société évolue. Et pour cela nous pourrions perdre notre agrément ? Ce serait extrêmement dommageable, nous avons une trentaine d’actions en justice en cours. »

Même crainte chez FNE, qui via ses associations membres au niveau local porte une myriade d’actions en justice. « Dans bien des lieux, on est les seuls à aller en justice, parce que cela coûte cher, explique Éric Feraille, président de FNE Auvergne-Rhône-Alpes. Si on ne peut plus y aller, personne n’ira. C’est la contestation des grands projets inutiles qui est visée. »

Au-delà, les associations pourraient renoncer à certains types de mobilisations, de peur de ne pas satisfaire à l’obligation de « respecter l’ordre public ». Car « cette notion d’ordre public est très vague, et on peut imaginer que son interprétation va être laissée à la police et au ministère de l’Intérieur », estime Clara Gonzales, de Greenpeace.

« J’ai expliqué au rapporteur, qui nous a auditionnés, que cela ouvrait la porte à beaucoup de dérives, dit Bénédicte Hermelin. Il m’a rassurée sur les intentions du gouvernement. Mais demain, on ne sait pas qui sera au pouvoir ! »

 

Clara Gonzales et Laura Monnier, du service juridique de Greenpeace France.

D’autant que la panoplie des nouveaux outils de contrôle ne s’arrête pas là. L’article 8 élargit les possibilités de dissolution d’une association et renforce la responsabilité de son président. La dissolution peut être prononcée en cas d’« agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ». Là encore, la notion est considérée comme floue. L’action des jeunes de Youth for Climate dans les locaux de BlackRock aurait-elle été considérée comme suffisamment violente pour justifier une dissolution de l’organisation ? Les locaux de la multinationale avaient été occupés et tagués.

« Par ailleurs, cet article élargit considérablement le champ de responsabilité des présidents d’association, avertit Bénédicte Hermelin. Il pourrait être tenu responsable si un membre de FNE appelle par exemple au blocage d’un chantier. Mais le président de l’association n’a pas le pouvoir de l’en empêcher ! Cela va décourager d’être président d’association. » « Je risque de me retrouver responsable des agissements de n’importe qui se réclamant de mon association », proteste Éric Feraille. « Cela postule une organisation très pyramidale du monde associatif, un lien hiérarchique qui n’existe pas », ajoute Charlotte Mijeon.

« Gêner les associations qui contestent l’ordre social »

Enfin, le texte renforce aussi le contrôle des associations percevant des dons et émettant des reçus fiscaux permettant aux donateurs de déduire de leurs impôts une partie de ces dons. Cela suppose que l’association soit reconnue d’intérêt général. « Le texte prévoit que les contrôleurs des impôts pourront aussi vérifier que l’association est bien d’intérêt général, explique Bénédicte Hermelin. Alors que normalement, ce n’est pas l’administration fiscale qui doit décider de cela, c’est l’autorité administrative. » C’est un garde-fou de moins. Et toutes les associations recevant des dons devront faire un descriptif détaillé des dons et reçus fiscaux correspondants, « alors qu’avant le seuil était de 153.000 euros, ajoute Bénédicte Hermelin. C’est une obligation de plus pour les petites associations ».

Tout un arsenal pas seulement contesté par les associations, mais aussi par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, qui demande l’abandon du « contrat » d’engagement républicain et de la possibilité de dissoudre une association sur décision administrative plutôt qu’en passant par la justice. L’institution dénonce des « atteintes » à la liberté d’association pouvant « déstabiliser » le secteur « sans pour autant atteindre les objectifs proclamés par le Président de la République et son Gouvernement. »

« Il ne s’agit aucunement d’avoir de la défiance envers les associations, que je salue, a défendu devant l’Assemblée nationale le rapporteur Éric Pouilliat. Mais de combattre ceux qui utilisent ce bel outil républicain pour le séparatisme. » « Les armes juridiques existent, deux associations ont déjà été dissoutes », réplique Bénédicte Hermelin. « On vise, notamment, les associations de défense de l’environnement parce qu’elles s’attaquent à des intérêts économiques puissants. Et puis, ce gouvernement n’aime pas les associations. »

Ce projet de loi vient assombrir un paysage déjà bien gris pour les associations en général, et environnementales en particulier. La création de la cellule de renseignement de la gendarmerie Déméter, en novembre 2019, a renforcé la surveillance des opposants à l’agriculture productiviste ; en novembre 2020, la coalition pour les libertés associatives listait dans un rapport une centaine de cas de suppression arbitraire des subventions, poursuites judiciaires, intimidations contre des associations ou leurs militants ; fin janvier, c’était un rapport parlementaire qui proposait de « renforcer l’arsenal pénal » contre « les militants antiglyphosate, véganes ou antichasse ».

« Il y a une volonté de gêner les associations qui contestent l’ordre social actuel, analyse Annick Coupé, d’Attac. De mettre au pas les contestations sociales à un moment où les colères sont importantes. » Autant d’avertissements qui n’ont pas porté pour l’instant auprès de la majorité LREM au Parlement. Mais « pendant que le secteur associatif perd du terrain, les intérêts économiques, eux, sont élevés par le gouvernement au rang de partenaires privilégiés », constate Frédéric Amiel.

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Source : Marie Astier pour Reporterre

Dessin : © Tommy/Reporterre

Photos : © Marie Astier/Reporterre

 

Source : https://reporterre.net/La-loi-separatisme-saborde-la-liberte-associative?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_quotidienne

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