Ces barrages qui tuent l’eau
En France, et plus largement dans le monde entier, des milliers d'obstacles empêchent l'eau de circuler naturellement. Ces barrages qui vieillissent peu à peu, pourraient causer de graves dommages s'ils ne sont pas démantelés.
Ce serait-y pas un peu trop ? En France, il y aurait plus de 100 000 obstacles au passage de l’eau sur les fleuves et rivières. Des seuils d’anciens moulins, des barrages d’irrigation, des écluses, des monstres hydroélectriques. Et sur cet ensemble, d’après un autre avis officiel, 90 % sont « sans usage économique avéré ».
Autrement dit, ils ne servent qu’à empêcher l’eau de circuler librement et de maintenir ainsi sa dynamique, essentielle au maintien de ses équilibres. J’ajoute qu’en 2010 les mêmes – l’Office français de la biodiversité – ne comptabilisaient que 60 000 ouvrages. Demain, le million ?
À l’échelle mondiale, 58 700 grands barrages (plus de 15 m de hauteur) ont été construits, dont une majorité entre 1930 et 1970. Ceux-là ont donc entre 50 et 90 ans d’âge, et ça va mal, crois-moi sur parole. Car cette parole n’est pas la mienne, mais celle d’un service de l’ONU (l’Institut universitaire des Nations unies sur l’eau, l’environnement et la santé) qui s’est penché sur l’état d’ouvrages souvent conçus pour durer… cinquante ans. À elles seules, l’Amérique du Nord et l’Asie comptent 2 300 barrages de plus de 100 ans.
Le texte révèle qu’en 2050, la majeure partie des humains vivra à l’aval de barrages édifiés au XXe siècle. Dans un insurpassable usage de langue onusienne, le Russe Vladimir Smakhtine, coauteur du texte, note : « Ce rapport vise à attirer l’attention du monde entier sur le problème rampant du vieillissement des infrastructures de stockage de l’eau et à stimuler les efforts internationaux pour faire face à ce risque émergent et croissant de l’eau. »
Faut traduire, mais c’est décapant. Les barrages ont mal vieilli et sont désormais confrontés comme nous tous au dérèglement climatique. Lequel entraîne et entraînera toujours plus de tempêtes et de tornades, de pluies extrêmes, d’inondations. D’où d’éventuels débordements ? D’où. D’autres problèmes s’ajoutent à une note déjà salée. Le coût de maintenance a tendance à devenir prohibitif pour des barrages qui, retenant chaque année plus de sédiments – au détriment de l’eau –, produisent moins d’électricité ou de simple puissance. Mais qui se souciait de cela en URSS vers, disons, 1932 ? Ou aux États-Unis triomphants d’après 1945 ? Ou en France, quand il fallait reconstruire et que les ingénieurs d’avant et d’après étaient payés au mètre cube de béton utilisé ?
Mais qui se souciait de cela en URSS vers, disons, 1932 ? Ou aux États-Unis triomphants d’après 1945 ?
La France, au travers de ses bureaux d’études – Coyne et Bellier, BRL, Egis – et d’entreprises industrielles – Alstom, EDF ou Eiffage – a joué un très grand rôle dans l’affaire, et sur tous les continents. Les turbines du barrage chinois des Trois-Gorges, c’est nous. Celles de Belo Monte, en Amazonie brésilienne, c’est nous.
Malgré ces grandes réussites, l’avenir est, selon l’ONU, au démantèlement de très nombreux ouvrages. Ce qui serait un cadeau monumental fait aux écosystèmes. Ne prenons que l’exemple d’Assouan, en Égypte, dont le barrage retient des sédiments par millions de tonnes, réduisant d’autant, à l’embouchure, l’étendue et la fertilité du delta du Nil, clé de l’agriculture égyptienne.
Mais le démantèlement, comme dans le nucléaire, ne concerne que quelques points isolés. C’est très cher, très long, et le vaste lobby à l’origine de ces splendeurs n’entend rien lâcher. Il faut dire que les précédents font tiquer : la « déconstruction » d’un ensemble de barrages – Elwha Dam et Glines Canyon Dam –, aux États-Unis, a coûté quelque chose comme 325 millions de dollars.
Comme si de rien n’était, on continue pour l’heure en Asie, comme sur le Mékong, et en Afrique, où le barrage de la Renaissance – éthiopien – pourrait bien déclencher une guerre avec l’Égypte. Et c’est peu ou prou la même chose entre l’Inde et la Chine, deux puissances nucléaires. Question : les Chinois ont-ils le droit de barrer les fleuves venant de l’Himalaya, qui alimentent les vastes plaines d’en bas ?
Dans le domaine de l’énergie, ces gens de pouvoir ne connaissent qu’une loi : empiler. Empiler l’électricité hydraulique, le charbon, le pétrole, le nucléaire, l’éolien industriel, le photovoltaïque idem. Surtout ne rien lâcher. Jamais !
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