Comment différencier la Bio,
du bio industriel ?
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À l’heure où s’ouvrent les premiers États généraux de l’alimentation ce 20 juillet, la perspective de créer une filière agro-alimentaire durable fait débat. Si la voie des produits biologiques semble la plus adaptée, toutes les filières bio ne se valent pas. Alors que la Bio se définit comme un projet global, le bio industriel tente de s’emparer du marché. Enquête.
« Le modèle de la grande distribution est incompatible avec la Bio », revendique Claude Gruffat, dans son ouvrage Les dessous de l’alimentation Bio
(Ed. La mer salée, 2017). Pourtant, le bio de la grande distribution
domine 45 % de part de marché, contre 37 % pour les filières
spécialisées (La Vie claire, Biocoop, Les Nouveaux Robinsons, etc.) et
18 % pour les circuits courts (AMAP et vente direct)1.
Dans ce contexte dominé par les plus grands, de plus en plus de voix
s’élèvent chez les petits producteurs, militants et consommateurs, pour
dénoncer les industriels qui se lancent dans la vente de produits
biologiques, au détriment des valeurs paysannes (respect de la nature,
solidarité entre producteurs, autonomie alimentaire, diversité des
cultures et des élevages, etc.).
Même si l’enseigne Carrefour affiche sa volonté de
créer « Le Bio… pour tous ! » et la filiale Auchan celle de « rendre le
bio accessible à tout un chacun » (nous n’avons pas obtenu de réponse
sur leurs perspectives pour 2017), les professionnels engagés
critiquent le manque de cohérence entre le bio industriel et ses
critères sociaux et environnementaux. « La grande distribution achète
des produits qui ont fait le tour du monde pour arriver dans l’assiette
du consommateur Français. Ce n’est pas cohérent sur un plan
environnemental, mais aussi social, parce qu’en général c’est fait sur
le dos de gens qui sont payés moins de 2€ par jour à l’autre bout de la
planète. », explique le directeur de Biocoop, Claude Gruffat. En
proposant des tomates et des fraises en hiver dans les grandes surfaces,
la grande distribution répond davantage à une demande, plutôt qu’à des
critères éthiques. De plus, le label bio européen a assoupli ses
critères depuis sa création en 1999, en autorisant notamment 0,9 % d’OGM
dans les produits bio, des traitements médicamenteux (trois par an
maximum pour les poules pondeuses par exemple), et la mixité – bio et
non bio – des exploitations2.
« Aujourd’hui, une ferme de 1000 vaches en bio, c’est
possible », s’alarme le directeur de la coopérative Norabio dans les
Hauts-de-France. Si les nouveaux industriels du bio s’arrêtent aux
normes fixées par le cahier des charges européen, des projets de très
grandes envergures en bio peu soucieux des normes environnementales et
sociales, pourraient en effet voir le jour. Les défenseurs de
l’agriculture paysanne et locale s’inquiètent ainsi de voir, à terme,
les procédés de l’agriculture conventionnelle appliqués au bio, avec la
mécanisation accrue de la production et la pression de la grande
distribution pour la standardisation des produits3. « Les
progrès technologiques et industriels vont de pair avec, soit une
baisse des qualités gustatives des aliments, soit une
standardisation-homogénéisation des produits, soit encore la
disparition, la raréfaction ou le remplacement par des substituts
industriels des produits artisanaux (fromages, charcuteries, pain, etc.)
», analysait déjà Jean-Pierre Corbeau, professeur de sociologie à
l’Université François Rabelais de Tours au XVIIe congrès de l’AISLF
(Association Internationale des Sociologues de Langue Française) en
2004.
La guerre des prix
« Le rôle du distributeur a un impact extrêmement
important dans le mode de production », souligne Claude Gruffat. En
effet, dans l’ouvrage Les coulisses de la grande distribution (Ed. Albin
Michel, 2000), Christian Jacquiau affirme que 97 % des produits
alimentaires passent par 5 réseaux de distribution
: Carrefour-Promodès, Lucie (centrale d’achat commune à Leclerc et à
Système U), Opéra (centrale d’achats regroupant Casino-Cora, mais aussi
Franprix, Leader Price, Monoprix-Prisunic), Auchan, et Intermarché. Leur
position de domination leur permet de négocier des prix à la baisse.
Les producteurs, soumis à cette pression, industrialisent leurs méthodes
de production pour d’accroître leurs rendements afin de faire des
économies d’échelle (voir Kaizen 6).
Selon les études de l’Agence Bio, en 2014 « près de 9 Français sur 10 ont consommé des produits bio au moins occasionnellement, et 6 sur 10 régulièrement »4. La
grande distribution saisit ainsi un marché en pleine croissance, mais
n’est pas préparée à cette demande car les surfaces agricoles manquent
(4 % d’entre elles seulement sont consacrées au bio en France). Alors,
au lieu de construire petit à petit des partenariats avec les filières
françaises, elles importent des produits de l’étranger. La grande
distribution construit donc un bio « qui vient d’ailleurs » selon les
mots de Mathieu Lancrix, directeur de Norabio.
Stéphanie Pageot, présidente de la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique (FNAB)
rappelle que « de nouveaux acteurs arrivent et sont tentés de s’engager
dans une guerre des prix. Mais il faut qu’ils fassent la guerre du prix
le plus juste, pas celle du prix le plus bas ! ». Faire appel à des
travailleurs à l’étranger permet de baisser le prix des produits bio.
Comment déterminer alors un prix juste ? En suivant les principes du
commerce équitable et de l’économie sociale et solidaire, selon les
acteurs de la Bio. Ainsi, la marque “Ensemble pour plus de sens”, créée
en 2000, rebaptisée depuis “Ensemble, solidaire avec les
producteurs”, privilégie l’adaptation aux conditions de production pour
ajuster les tarifs : « Chaque année, en fonction des aléas climatiques
et des rendements obtenus, les prix des produits peuvent varier à
l’intérieur d’une fourchette. Ils sont garantis par contrat sur trois
ans avec un plancher et un plafond », explique François Péloquin,
agriculteur bio et gérant du GIE Ferme de Chassagne, en Charentes.
« Il faut recréer du lien entre les différents
acteurs », ajoute Stéphanie Pageot. Décidés à réagir, les différents
acteurs de la Bio se regroupent de plus en plus pour anticiper la
concurrence des filières industrielles. « Il y a un risque qu’ils
fassent pression sur les prix. C’est pour cela que nous devons organiser
les filières : gérer la surproduction et s’organiser avec les
distributeurs », explique le directeur de la coopérative Norabio basée à
Gondecourt, qui regroupe 140 producteurs de fruits, légumes et céréales
Bio.
La Bio défend un projet politique, économique et social
À la différence du bio industriel, la Bio entend
ainsi respecter la terre, son rythme et ses saisons tout en garantissant
une justice sociale pour les travailleurs, mais aussi créer une plus
grande autonomie alimentaire et permettre l’accès à une nourriture de
meilleure qualité. C’est pour être fidèle à ces principes que certaines
filières spécialisées (Les Nouveaux Robinsons, Biocoop…) s’engagent à ne
pas laisser, par exemple, de trace d’OGM dans les produits bio, ou à
limiter le transport par avion.
Toujours dans la perspective de renforcer les
critères de la Bio, la FNAB a créé en 2010 un nouveau cahier des charges
français, Bio Cohérence, (ses produits sont disponibles dans les
magasins bio engagés et chez certains producteurs) qui s’ajoute à la
réglementation européenne et renforce ses critères : il garantit ainsi
une nourriture 100 % bio, cultures et élevages confondus, interdit les
OGM ainsi que l’élevage hors-sol, et privilégie la vente directe. Il
s’ajoute à la liste des cahiers des charges privés comme celui de
l’association Nature & Progrès, ou de Déméter pour l’agriculture biodynamique.
« La vigilance du consommateur, c’est d’imposer et de
demander que les valeurs qui encadrent la Bio, telles qu’on les a
connues dans les réseaux spécialisés jusqu’à maintenant, soient
aussi conservées par la grande distribution », préconise Claude Gruffat.
Si aujourd’hui les filières internationales n’ont pas pris plus
d’ampleur, c’est grâce au consommateur, qui privilégie à 71 % les
produits français, selon l’Agence Bio. « La concurrence internationale
reste cependant forte. Nous avons tiré la sonnette d’alarme dans les
années 1990 et, les consommateurs ont commencé à boycotter les produits
venus de Chine, des pays de l’Est ou du Canada. », rappelle François
Péloquin, agriculteur bio en Charente.
Il s’agit donc de garder l’esprit critique, en
choisissant des produits de saison, bio et locaux. En espérant qu’ «
avec les consommateurs, les petits ruisseaux feront les grandes
rivières », conclut Claude Gruffat.
1 Chiffres de l’Agence Bio, 2016.
2 Le bio s’use-t-il ? Analyse du débat autour de la conventionalisation du label bio, Geneviève Teil, p.102-118, 2012.
3 Les évolutions des exploitations agricoles bio, Denise Van Dam et Jean Nizet, Revue économie rurale, 2014. 4 Voir les études de l’Agence Bio.
Par Léa Dang
© Kaizen, construire un monde nouveau… pas à pas
Pour en savoir plus :
Écouter aussi : Acheter local, bio et de saison : un acte politique
Écouter aussi : Demain, quelle agriculture
Source : http://www.kaizen-magazine.com/differencier-la-bio-du-bio-industriel/
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