Des infos, des liens, des photos pour tout savoir (ou presque) sur ce qu'il s'est passé dans ou autour des ZAD (Zones A Défendre) : on y parle de Notre Dame Des Landes, de Bure, d'EuropaCity et de plein d'autres sujets.
Merci à l'auteur, membre du Collectif de Soutien NDDL66, pour cette compilation mensuelle précieuse.
PROJET D’AYRAULT – PORT de
NOTRE DAME DES LANDES (44)
Source : ZAD.nadir.org et médias
Mai 2017
Et ailleurs : - Bure
(55)
–
anti
EuropaCity
à
Gonesse (95)
– Errekaleor à
Vitoria
(Pays
basque espagnol) - Aulnay sous Bois (93) - Mort de Rémi Fraisse à Sivens (81)
ZAD de NDDL - 44
A Nantes : «Ni avion, ni béton ! Ni patrie, ni patron»
Nantes
(Loire-Atlantique), envoyée spéciale.
–
Un pied, puis l’autre, et inversement, à un rythme intermittent.
Elle se danse en ligne et en frappant le sol d’un bâton. C’est
la plinn, danse traditionnelle bretonne revisitée par des
occupant.es de la Zad de Notre-Dame-des-Landes en s’inspirant de
pas de luttes venues d’ailleurs dans le monde. Lundi 1er
mai, des dizaines d’opposant.es à l’aéroport du Grand Ouest
l’ont étrennée dans le centre-ville de Nantes, derrière les
tracteurs de paysans et en tête d’un cortège historique : le
premier défilé du collectif intersyndical contre l’aéroport, au
sein de la traditionnelle marche pour les droits des travailleurs. À
vue d’œil, c’est la présence la plus importante de la
manifestation, où défilent entre averses et rayons de soleil des
militant.es de la CGT, FSU, Solidaires – FO ne participe qu’au
rassemblement. C’est aussi la plus joyeuse et la plus jeune –
avec le bloc tout de noir vêtu qui proclame « Soyons
ingouvernables » et « Refusons les élections,
faisons la révolution » quelques dizaines de mètres
devant eux.
Les organisateurs annoncent 6 000 participants en tout, la préfecture 4 000. En tête de manifestation, les syndicats appellent à « en finir avec les reculs sociaux qui font le terreau de l’extrême droite ». Les rangs sont plus fournis qu’en 2016, mais on y compte près de dix fois moins de manifestants qu’en 2002. À l’époque, près de 40 000 personnes avaient marché pour dire non à l’élection de Jean-Marie Le Pen. « Ce n’est pas le raz-de-marée de 2002, la banalisation du Front national s’est produite entretemps », décrit Jean Brunacci, porte-parole de Solidaires 44.
Cortège
contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes dans la manifestation
syndicale du 1er mai, à Nantes (JL)
Contre
le FN, mais pas pour Macron : en pleines tensions de
l’entre-deux-tours, les militants cherchent à faire entendre des
voix combatives, autonomes vis-à-vis de l’issue du scrutin du 7
mai. « On ne donne pas de consigne de vote, les gens font ce
qu’ils veulent. Blanc, abstention ou pour Macron, chaque expression
est respectable, explique Laurent, un militant CGT. Le Pen ou
Macron, c’est du pareil au même. Ce seront les luttes sociales qui
décideront. » Une militante CGT affirme que « le
1er Mai, c’est pour dire à Macron que
s’il est élu, on sera là, et on sera pas dupes ». Pour
Fabrice David, secrétaire général de l’Union départementale de
la CGT en Loire-Atlantique : « Pas une seule voix ne
doit aller à Marine Le Pen. Ce parti est un danger mortel pour le
monde salarié et syndical. Mais on dénonce aussi le programme de
Macron, ses attaques contre le monde du travail et la protection
sociale. C’est dans la droite ligne de la politique de Hollande que
nous avons combattue pendant cinq ans. »
Sono
dansante, cuisine vegan roulante, quatre tracteurs et une
bétaillère : le cortège contre l’aéroport de
Notre-Dame-des-Landes détonne dans le défilé nantais. Ses drapeaux
noirs claquent au vent : on y voit un poing blanc écraser un
avion. Tout autour, une ronde de lettres : « Collectif
intersyndical contre l’aéroport à NDDL et son monde ».
Le slogan de la Zad, « contre l’aéroport et son monde »,
a été modifié pour convenir aux militants syndicaux qui défendent
le maintien de leur actuel lieu de travail, l’aéroport de Nantes
Atlantique. Peinte en larges lettres blanches sur fond noir, la
banderole du cortège résume la prouesse politique accomplie par le
jeune collectif intersyndical : « Maintien de Nantes
Atlantique, Non aux expulsions sur la Zad ». Ou comment
figurer l’alliance politique inattendue entre travailleurs
aéroportuaires et militants anticapitalistes et anti-hiérarchies.
Pour Steeve, militant de la CGT AGO qui réunit des salariés de
l’actuelle plateforme aéroportuaire de Nantes Atlantique :
« Le système économique nous divise tous. La convergence
des luttes paysannes et ouvrières avait disparu à Nantes. Mais
aujourd’hui la lutte contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes
et celle pour le garder là où il est se rapprochent. »
Militants
de CGT-AGO, qui regroupe des travailleurs de l'actuel aéroport, le
1er mai à Nantes (JL).
Cheville ouvrière du
collectif, Tristan porte haut dans les airs un drapeau barré d’un
avion. « Avec le mouvement contre l’aéroport, on se
retrouve dans la lutte. On a les mêmes revendications. Ils nous
soutiennent dans notre lutte. Et nous on les soutient dans la leur. »
Une petite dizaine de travailleurs de Nantes Atlantique sont
présents. Difficile de mobiliser, alors que la saison bat son plein
sur l’aérogare et que la journée de travail est payée double en
ce jour férié. Pour Camille, membre du collectif et habitant de la
Zad, « on souhaite s’adresser au monde des salariés et
syndiqués et faire passer le message que les arguments pro-NDDL au
nom de l’emploi sont mensongers. On voudrait aussi faire connaître
aux salariés dépossédés de leur travail ce qui se vit sur la
Zad : on peut repenser la production, sans patron et sans
hiérarchie ». Militant de l’union locale CGT de
Carquefou, Jean-Luc considère qu’« il faut affirmer qu’il
existe au sein du mouvement syndical une composante opposée à
l’aéroport. Cette dimension existe mais ne s’était jamais
complètement exprimée jusqu’ici. C’est une façon de combattre
la réduction de Notre-Dame-des-Landes à un combat écologique.
L’enjeu fondamental c’est la convergence des luttes sociales et
des luttes écologistes ». Autour d’eux, la foule
chante : « Ni avion, ni béton ! Ni patrie, ni
patron ! »
« La transversalité dans les luttes »
Né
lors des manifestations de 2016 contre la loi sur le travail où,
pour la première fois, habitant.es de la Zad et travailleurs de
l’aéroport ont appris à se connaître, le collectif intersyndical
se compose des unions départementales de Solidaires, la CNT, et de
la CGT Travail-Emploi Fonction publique, de la CGT AGO, du collectif
national des syndicats CGT de Vinci, de la CGT Caisse des dépôts et
consignations et d’autres militant.es. Ils dénoncent les « fortes
dégradations des conditions de travail » depuis la reprise
de la concession de Nantes Atlantique par Vinci à cause d'un manque
d’investissements et de ses conséquences : turn-over,
précarité, climat anxiogène. À leurs yeux, la construction d’un
aéroport à Notre-Dame-des-Landes, au nord du département, serait
une « délocalisation » imposée et se traduirait
par des suppressions d’emploi, notamment à cause de
l’automatisation de certaines tâches aujourd’hui assurées par
des personnes. Sur l’actuelle plateforme aéroportuaire, CGT AGO
comprend 90 adhérents – sur un total d’environ 1 000 salariés,
dont beaucoup d’intérimaires –, employés dans six ou sept
entreprises différentes.
Les militants affirment aussi vouloir défendre « les habitant.es de la ZAD qui vivent l’expérience d’un monde plus humain, plus libre » et « ont toute notre solidarité, car ce monde d’exploitation et d’aliénation qu’ils et elles combattent c’est aussi celui contre lequel nous luttons quotidiennement ». Fin 2016, alors qu’une expulsion de la zone semblait imminente, la CGT Vinci avait publiquement refusé de travailler « sur tout chantier en lien avec le projet de transfert de l’aéroport » et appelé ses salariés à exercer leur droit de retrait.
Les militants affirment aussi vouloir défendre « les habitant.es de la ZAD qui vivent l’expérience d’un monde plus humain, plus libre » et « ont toute notre solidarité, car ce monde d’exploitation et d’aliénation qu’ils et elles combattent c’est aussi celui contre lequel nous luttons quotidiennement ». Fin 2016, alors qu’une expulsion de la zone semblait imminente, la CGT Vinci avait publiquement refusé de travailler « sur tout chantier en lien avec le projet de transfert de l’aéroport » et appelé ses salariés à exercer leur droit de retrait.
Sylvie,
militante de la CGT Finistère, à Nantes, le 1er mai (JL)
Secrétaire
général de SUD PTT, Nicolas Galépides est venu manifester à
Nantes car « quelle
que soit l’alternance au pouvoir, Notre-Dame-des-Landes va être le
premier lieu de cristallisation de la lutte. Le sens de notre
présence dans ce cortège, c’est pour donner une réalité à la
transversalité dans les luttes. L’unitaire, ce n’est pas qu’avec
les autres syndicats. Même si la Zad est souvent compliquée à
comprendre, c’est là que ça va commencer à frotter avec le
nouveau gouvernement. S’il y a un endroit symbolique où il faut
être, c’est celui-là ».
Théo et Manu, militants à la CNT, veulent faire traduire le tract
de l’intersyndical contre l’aéroport en turc et en polonais pour
le diffuser aux travailleurs détachés qui pourraient se retrouver
sur le chantier en cas d’expulsion de la Zad. Ils rappellent que la
charte d’Amiens de 1906 appelle à défendre l’intérêt des
travailleurs et à mener des grèves générales. « Dans
le monde syndical, on est contre l’exploitation et la hiérarchie,
explique une militante de la CGT. C’est
ce qu’ils essaient d’expérimenter sur la Zad. Ils font de la
boulangerie, des soins, une filière bois. Une façon de travailler
sans être un pion. » Une
femme promet d’être de toutes les manifestations à venir :
« J’ai une
petite-fille antillaise, des petits-enfants dont le père est
marocain. J’aimerais vivre dans une France multicolore. On habite
dans un petit village. Le monde meilleur commence par l’entraide
entre voisins. Sur la Zad, on trouve toutes ces valeurs. »
Un homme, membre du comité de soutien de Saumur-Chinon, explique
qu’il « va
falloir faire du sabotage et pas seulement crier dans les meetings de
Mélenchon ». Les
Insoumis sont présents en nombre dans la marche.
Un
tract des habitant.es de la Zad explique qu’elles et ils
manifestent en ce 1er Mai par « solidarité entre
précaires, révoltés, travailleuses et travailleurs du monde entier
et avec tou-te-s celleux qui ne travaillent pas, pas encore, pas en
ce moment, plus maintenant, jamais... ». Et ajoute :
« Beaucoup d'entre nous ont choisi la grève en CDI, pour
chercher d'autres formes d'organisation de la production et des
échanges, mais on se sent solidaires de celles et ceux qui ont
besoin de gagner leur vie et d'y donner du sens sans pour autant se
laisser exploiter. »
Un
collectif syndical contre l’aéroport est en train de se créer à
Rennes. Pour Françoise Verchère, porte-parole du collectif des élus
contre l’aéroport, « ce mouvement syndical contre
l’aéroport est très important car il montre que le combat dépasse
la défense des terres agricoles et répond aussi aux luttes
sociales ».
Dans
le cortège contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes dans la
manifestation syndicale du 1er mai, à Nantes (JL)
Mais
en Loire-Atlantique, le monde syndical reste divisé sur la question.
La CGT 44 a adopté une position en faveur du maintien de l’actuel
aéroport, sans se prononcer frontalement contre le projet de
nouvelle aérogare. Une partie de ses membres adhère au PCF 44,
favorable au projet. La présence du cortège anti-aéroport dans le
défilé du 1er Mai gêne le responsable département de
la CGT, Fabrice David : « C’est un sujet qui fait
polémique. Le 1er Mai, ce n’est pas une
manifestation contre l’aéroport. Pourquoi mettre en avant cette
lutte plus que les autres ? Ils mettent en difficulté notre
unité syndicale. » Mais pour Sylvie, militante de la CGT
Finistère : « Chaque fois que je vais sur la Zad, ça
me donne la pêche. Alors que si j’avais défilé là où j’habite,
à Pont-l’Abbé, j’aurais été la plus jeune et ça ne m’aurait
pas donné la pêche. Les gens ont tellement pris de coups, ont
tellement perdu de combats qu’ils en perdent confiance en eux. Ils
ont peur d’abandonner la grande histoire des luttes sociales. Alors
que la Zad, c’est la relève. Il ne faut pas en avoir peur. »
Dimanche
soir, la bibliothèque de la Zad, le Taslu, accueillait un après-midi
de lectures sur les luttes ouvrières et paysannes. Plusieurs
dizaines de personnes ont partagé à haute voix des récits depuis
le XIXe siècle. Émile Pouget sur l’action directe et
contre « le démocratisme », Jacques Prévert,
Simone Weil sur la joie de la grève « contre la tendance
invisible à se soumettre corps et âmes », l’histoire de
la commune de Nantes pendant Mai-68. Un couple a témoigné de
l’occupation d’une ferme par le mouvement des Paysans
travailleurs en 1975. Une femme a narré l’histoire des fleurs du
1er Mai et appelé chacun.e à cueillir des aubépines de
la Zad plutôt que d’acheter des brins de muguet dans le commerce.
Le lendemain, des mèches de fleurs cueillies sur la zone fleurissent
aux poitrines de bien des manifestant.es.
Jade
Lindgaard
– Médiapart
►Un
chouette texte reçu aujourd’hui : « Merci
Jean-Marc » : « on peut continuer de "s’amuser"
et de "se débrouiller" tout seul sur la ZAD de NDDL et
qu’avant de partir avec l’ensemble du présent gouvernement, tu
pourrais proposer de résilier le projet, pas vrai ?
Ce
1er mai, la cantine de la ZAD un tracteur de la CURCUMA et de
nombreux
camarades ont répondu à l’appel
du collectif syndical contre l’aéroport et son monde pour
défiler dans les rues de Nantes avec les travailleur-euse-s en
luttes.
Sur
la Zad de Notre-Dame-des-Landes, on ne parle pas politique, on fait
la politique : au quotidien, dans les actes communs. Tout en
observant ce qui se passe sur la scène officielle. Avec une
conviction : il faut agir plutôt que déléguer.
- Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), reportage
Parle-t-on
de politique sur la Zad ? Ou plutôt, parle-t-on de l’élection
présidentielle sur la « Zone à défendre » de
Notre-Dame-des-Landes ? Il y a bien d’autres choses à penser.
Rien que le week-end dernier, un Festnoz célébrait la fin de la
construction d’un hangar tout de bois et d’ardoises flambant
neuf, et la manif’ du Premier mai faisait danser ensemble les
opposants au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et les
syndicats de salariés de l’actuel aéroport de Nantes-Atlantique.
« Ce
qui change ici, c’est la façon de discuter des élections :
il y a moins de fatalisme. On sait qu’ici on peut reprendre notre
vie en main sans attendre la prochaine échéance électorale »,
avance Louise (pseudonyme, comme tous les prénoms de cet article).
Chacun y va tout de même de sa théorie, de son ressenti. Certains
reconnaissent qu’ils auraient été tentés de voter pour Jean-Luc
Mélenchon, ou Philippe Poutou. D’autres avouent leur trouille que
Marine Le Pen passe. Tellement qu’ils auraient peut-être été
capables de mettre un bulletin Emmanuel Macron dans l’urne. A
l’inverse, il y en a qui auraient peut-être donné une voix à
Marine Le Pen, afin de précipiter l’effondrement du système et un
« sursaut social ».
« Mais c’est jouer avec le feu »,
admet l’un d’entre eux. Il paraît même qu’il y en a qui
votent, assurent-ils tous à Reporterre.
On a cherché, on n’a pas trouvé. La Zad semble surtout peuplée
de ceux que l’on appelle les « abstentionnistes ».
« Selon
une idée anarchiste,
celui qui donne sa voix n’a plus rien à dire. »
celui qui donne sa voix n’a plus rien à dire. »
« Je
n’ai jamais voté de ma vie à des élections nationales. Je ne
veux pas nourrir l’État, cette machine extrêmement violente et
destructrice, qui sera toujours dans les mains du capitalisme »,
explique Jet, à La Rolandière. « Quand j’ai reçu ma
première carte électorale, je l’ai fumée », raconte
Fanny, à Bellevue. « Les gens qui vivent ici sont plutôt
dans le rejet du théâtre électoral et de la démocratie telle
qu’elle est aujourd’hui », ajoute Camille, du groupe
presse. « En fait, on aurait aimé un grand mouvement social
juste avant les élections, car dans ce contexte, il aurait été
impossible de les organiser », regrette Paul, depuis sa
maison de bois des Cent Noms – ou cette jolie maison serait-elle
celle des trois ours de Boucle d’Or ?
Impossible,
quand on vit dans ce territoire arraché à l’autorité de l’État,
où l’on tente de repenser
la politique et les rapports sociaux de façon horizontale,
d’attendre quoi que ce soit de cette institution qu’est le vote.
« Voter,
c’est comme accepter d’être dépossédés de nos vies, adhérer
à un système qui nous exploite,
explique Paul. À
l’échelle de la France, un gouvernement ne peut être proche du
terrain. Il a forcément une approche technicienne des problèmes,
alors que les solutions sont philosophiques, existentielles,
affectives. Il y a une idée anarchiste qui dit que celui qui donne
sa voix n’a plus rien à dire. »
Inciter
les gens à mettre un bulletin dans l’urne, cela pourrait même
être dangereux. « Voter pour des gens qui ne font rien pour
toi, cela nourrit le désespoir », estime Pierrot, qui
observe la montée du FN. « Et pour paraphraser un film de
mon enfance [L’Histoire sans fin, NDLR] : les gens qui
ont perdu l’espoir sont faciles à soumettre »,
ajoute-t-il.
Alors,
voter ou ne pas voter ? Cela n’a pas tant d’importance que
cela, finalement. « Ce n’est pas là que se trouve le
champ politique », estime Camille. Sur le Zad, le mot
abstentionniste semble perdre son sens, tellement la politique
imprègne chaque geste du quotidien. Les zadistes seraient plutôt
« des activistes, car nous faisons sans cesse de l’action
directe », corrige Paul. « Le vote ou les
pétitions, c’est demander aux politiciens de faire quelque chose
pour nous, c’est de l’action indirecte. Alors que l’action
directe, c’est agir par nous-même pour changer le monde. »
Quelques exemples : bloquer une route, faucher des OGM,
participer aux chantiers collectifs de la Zad, ou repartir d’un
supermarché les caddys pleins sans payer après avoir bloqué les
caisses. « Il faut assumer un certain degré de
conflictualité et d’illégalité, or nous recevons une éducation
qui nous pousse à éviter, pacifier les conflits. Le pas n’est pas
toujours facile à franchir », poursuit-il.
« Ici,
on se défend en construisant. »
Vivre
sur ce territoire qui se veut hors de la République, l’occuper et
s’en occuper, est déjà une action directe et continue. Un nouveau
grand projet sur la Zad a pris forme à l’hiver, avec le nom de
processus « Abracadabois ». Camille détaille :
« On a entre 300 et 400 hectares de haies, forêts et bois
sur la Zad. On s’est dit que l’on allait assumer de prendre en
charge la question des forêts. Tout l’hiver, on a rencontré des
charpentiers, des naturalistes, des sylviculteurs, des bûcherons,
pour apprendre à les gérer sans les exploiter. Le hangar de
l’avenir, à Bellevue, sera l’atelier bois. Alors que l’on
risque l’expulsion, on se projette sur 50, 100 ans ! »
Cette
ressource locale permettra de mieux gérer le bois de chauffage, et
de créer des matériaux de construction. « Ici, on se
défend en construisant. Des trucs en dur, en solide, pour montrer
qu’on est là pour longtemps », insiste Jet. Il a lancé
la folle idée du phare, dont la solide structure de métal s’élève
au-dessus de la ferme de pierres de la Rolandière : « Il
y a la sirène, pour lancer l’alerte en cas d’arrivée de la
police pour les expulsions, et la possibilité d’être des dizaines
de personnes à s’attacher à la structure pour éviter la
destruction du phare et donc de la maison. »
On
construit aussi en cultivant des champs et des jardins qui
s’éveillent tranquillement avec le printemps, ou en alimentant la
lutte. Les cantines mobiles, désormais rodées, savent comment
nourrir trois cent personnes à la fois. La Black
Plouc Kitchen, mini restaurant installé dans une roulotte,
propose des repas à prix libre composés d’aliments locaux. Déjà
deux fournils et leurs fours respectifs tournent sur la Zad. Nourrir
la lutte, une donnée essentielle car « quand
on n’a pas à penser à ce que l’on va manger, on peut faire
autre chose »,
souligne Fanny.
Autant
d’activités politiques, parce qu’émancipatrices et génératrices
d’autonomie. « Quand je fais du pain ici, je donne mon
énergie en dehors d’un système marchand », explique
Arnaud, l’un des boulangers. « Car le pain est à prix
libre. » Ce faisant, il détaille sa façon de faire aux
apprentis du jour. Le but : qu’ils puissent faire marcher le
fournil sans lui, et que les boulangers se multiplient tels les
petits pains. « Même les outils du four ont été pensés
pour que tout le monde puisse les utiliser. Il n’y a pas besoin de
force. On appelle cela un four grand-mère. »
Ce
n’est pas pour autant que dans le bocage, on fait totalement fi des
considérations électorales. Tout d’abord parce que la période
est propice pour peser sur les décideurs politiques. « En
2012, on voyait que Hollande pouvait être élu, que l’on pouvait
avoir une influence sur le PS. Avant le premier tour, les composantes
du mouvement anti-aéroport ont organisé la première grosse
manifestation unitaire, et dans la foulée une grève de la faim. On
a obtenu de Hollande l’engagement qu’il n’y aurait pas
d’expulsions des habitants historiques avant l’épuisement des
procédures juridiques », se rappelle Camille.
Ensuite
parce que, quel que soit le résultat de la présidentielle puis des
législatives, cela aura une incidence sur la Zad. Si Marine Le Pen
était élue ? On n’y pense pas trop. Avec les mouvements
sociaux nantais, plusieurs personnes de la Zad se sont impliquées
dans l’organisation de la plus grosse manifestation
anti-FN de cette période électorale, à l’occasion de la
venue de Marine Le Pen à Nantes. La présidente du FN a indiqué
qu’elle respecterait le résultat du référendum qui a dit oui à
la construction de l’aéroport et n’a pas de mots assez durs
pour qualifier les occupants de la Zad.
Du
côté d’Emmanuel Macron, la recension de ses déclarations sur le
sujet fait plutôt rire, ici. Notamment celle de nommer un médiateur
qui « calmera
les choses »,
afin d’éviter une intervention de la police ou de l’armée pour
évacuer les occupants de la zone. On se demande bien qui aurait ce
pouvoir magique. Alors que la perspective d’une expulsion s’était
éloignée avec l’arrivée de la période électorale, le nouveau
pouvoir pourrait décider d’agir rapidement. D’autant plus que
l’Union Européenne vient
de donner son feu vert au projet d’aéroport. Bref, tout
nouveau gouvernement sera forcément « un
ennemi »,
soulignent plusieurs habitants.
« Et
puis, le regard porte plus loin que la lutte contre l’aéroport. On
sait, que ce soit Macron ou Le Pen, que ce sera le saccage, notamment
sur les questions de travail et d’émigration », rappelle
Louise. Du coup on s’inquiète et on espère à la fois. Les
mouvements sociaux, les militants, les activistes, sauront-ils faire
face au nouveau pouvoir ? « Il me semble qu’il y a
une forme d’abattement au sein des mouvements sociaux,
estime-t-elle. Mais c’est leur nature, d’être imprévisibles.
Une semaine avant Mai 68, il y avait des gens pour dire qu’il ne se
passerait jamais rien en France. »
►Un
texte envoyé depuis le Haut Fay et la Noé Verte à propos d’une
tentative des
Ailes pour l’ouest qui s’essayent au blocage
►En
posture de favori pour hériter de l’urne funéraire du PS
dimanche, Macron entend nommer un « médiateur » et se
donne jusqu’à l’automne pour trouver de quoi convaincre les
opposant-es au projet : « Je crois au dialogue. Je
pense qu’on peut les apaiser en six mois. Et si je n’y arrive
pas, je prendrai mes responsabilités et je ferai évacuer la zone. »
Une
fanfaronnade électorale à l’arrière goût de déjà vu, qui
permet de rappeler qu’ apaisé-es ou enragé-es, on sera
nombreux-ses à s’accocher au bocage et à ne rien lâcher !
Infos du 8 au 14 mai
AntiRep :
►On peut lire dans ouest-torche, que le pauvre Emmanuel, à peine élu président de la France, se fait prendre à la gorge par le syndicat mixte aéroportuaire. Il le prie de démarrer "une nouvelle étape vers l’évacuation des occupants illégaux" en affirmant qu’ils sont à la disposition du président pour mettre en œuvre ses engagements. On espère quand même de pouvoir récolter ce qu’on a semé avant qu’ils viennent patauger dans les champs... faut quand même qu’on puise nourrir nos luttes - http://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/nantes-44000/nddl-le-syndicat-aeroportuaire-demande-l-evacuation-du-site-macron-4977795
►Pour
celleux qui ne l’on pas encore vue, une critique très bien
argumentée de la consultation sur le projet de tranfert de
l’aéroport a été publiée par le Collectif d’élu-e-s Doutant
de la pertinence de l’aéroport à Notre-Dame-des-Landes : Une
consultation démocratique ?
►Le
rapport du sénat « Sur la réalité des mesures de
compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des
grands projets d’infrastructures, intégrant les mesures
d’anticipation, les études préalables, les conditions de
réalisation et leur suivi », qui a étudié notamment le
projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes est sorti aujourd’hui.
« Ce travail établit de fait la quasi-impossibilité de compenser les pertes de terres agricoles et de zones humides là où doit être construit le futur aéroport, au nord de Nantes. ».
Infos du 15 au 21 mai
►On
nous signale la publication d’une brochure rassemblant des textes
sur la manif du 22 février 2014 à Nantes, à
lire ici.
►Jean-Pierre
Petit,
un des moteurs de la lutte NDDL sur Paris, est décédé le 10 mai
dernier. Il étais aussi membre de la Coordination pour la Solidarité
d’Ile de France et contre le Grand Paris (COSTIF). Il était
également un des fondateurs du FRAP, le Festival des Résistances et
des Alternatives à Paris. https://souriez.info/Jean-Pierre-Petit
►Petit
rappel : demain, semis
collectif de sarrasin, sous du (presque) soleil. RDV 13h à St
Antoine pour partager un pic-nique et semer le sarrasin à la main !
et dimanche, c’est Journée
Portes Grandes Ouvertes.
Infos du 22 au 28 mai
►"Dossier
exposif" :
Notre-Dame-des-Landes : la compensation écologique du projet d’aéroport serait très compliquée
La
compensation écologique des projets d’infrastructure est présentée
comme une solution à la destruction des milieux. Un rapport
sénatorial montre qu’elle est difficile à mettre en oeuvre. Et
particulièrement à Notre-Dame-des-Landes, comme le souligne le
rapporteur Ronan Dantec.
Si
l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes se construisait, il faudrait
« compenser »,
c’est à dire recréer des espaces de biodiversité équivalents
dans une zone voisine. Est-ce possible ? Cela va être très,
très, compliqué. C’est la conclusion à laquelle est arrivé
Ronan Dantec, sénateur EELV de Loire-Atlantique, à la suite de la
commission
sur les « mesures
de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des
grands projets d’infrastructures ».
Il en était le rapporteur. Outre les cas analysés dans le rapport
publié le 11 mai dernier, ce travail d’enquête lui a donné
l’occasion d’étudier en profondeur celui du projet de
Notre-Dame-des-Landes.
« Le
sujet est très complexe, explique-t-il à Reporterre,
tellement que même les opposants ne sont pas allés jusque là
dans leurs analyses ». « La complexité de la
méthode de compensation empêche ainsi toute vérification de
l’adéquation des mesures de compensation aux besoins »,
souligne-t-il encore dans son recueil de remarques personnelles sur
le dossier.
Pour
tenter de clarifier l’affaire, les calculs du sénateur se sont
appuyés sur les documents produits par l’État et AGO (Aéroport
du Grand Ouest) lors des multiples procédures autour du projet
d’aéroport. Ainsi, la compensation nécessiterait de trouver au
moins 2.600 hectares de terres. Sur ce total, 300 sont déjà inclus
dans la ZAD (zone d’aménagement différé). Le problème porte sur
les 2.300 hectares restants.
Car
ces hectares doivent être trouvés dans un périmètre précis, non
loin de l’emplacement du projet d’aéroport. En tout, 7.000
hectares ont été recensés comme pouvant accueillir ces
compensations. Les agriculteurs qui les cultivent s’engageraient
alors, par exemple, à replanter et entretenir des haies, ou à ne
pas retourner leurs prairies. « Mais déjà 55 % des
agriculteurs de la zone ont fait savoir qu’ils ne voulaient pas
participer aux mesures de compensation. Il ne reste donc que 3.000
hectares qui pourraient potentiellement accueillir ces mesures de
compensation. Cela rentre dans un chausse-pied », explique
Ronan Dantec.
Une
surface qui a de bonnes chances d’être insuffisante. Tout d’abord,
le chiffre de 2.300 hectares est une hypothèse basse. « Il
n’a encore été fait aucun avant-projet détaillé de
compensation. Tous les acteurs ne sont pas d’accord sur le nombre
d’hectares nécessaires, il pourrait augmenter », note le
sénateur. Certaines prairies particulièrement importantes pour la
biodiversité pourraient faire monter la mise. Le chiffre pourrait
rapidement passer à 3.000 ou 4.000 hectares.
Par
ailleurs, « le monde agricole est très peu coopératif »,
note-t-il. Seule la chambre d’agriculture de Loire-Atlantique a
bien voulu définir un cadre avec les porteurs du projet d’aéroport.
Et elle a posé de sérieuses limites. « Ainsi, une
exploitation ne pourra pas consacrer plus de 40 hectares environ à
la compensation », poursuit-il. Cela implique de multiplier
les agriculteurs, et les contrats. « Mais ils n’ont pour
l’instant contractualisé avec aucun agriculteur »,
assure l’élu.
Les
mesures pourraient aussi coûter plus cher que prévu, les
agriculteurs demandant pour être convaincus un effort financier
supplémentaire. Le manque à gagner dû à ce surcoût pourrait
être, toujours selon les calculs du sénateur et de son équipe, de
140 à 400 millions d’euros étalés sur les 55 ans de la
concession : « C’est énorme sur un projet comme
celui-ci. »
Enfin,
« au moins 20 % des mesures de compensation doivent
avoir été réalisées avant le début des travaux »,
rappelle-t-il. « Faute de quoi il pourrait y avoir une
contestation immédiate devant le tribunal, qui pourrait suspendre
les travaux. »
Cette
situation expliquerait, selon Ronan Dantec, pourquoi l’État et AGO
n’ont pas proposé d’augmenter les surfaces de compensation afin
d’obtenir un compromis, comme cela a déjà été souvent fait dans
des dossiers de constructions d’infrastructures : les
promoteurs de l’aéroport savent qu’ils n’ont pas les terres
disponibles.
La
complexité de cette compensation apparaît donc comme un nouveau
frein pour le projet d’aéroport. Une pièce à ajouter au dossier
qui sera posé sur le bureau du futur médiateur annoncé par le
Président de la République Emmanuel Macron. Il devrait être
rapidement nommé afin de tenter de trouver une solution d’ici à
février 2018, date à laquelle la déclaration d’utilité publique
pour le projet sera épuisée.
LA BELLE NATURE DE NOTRE-DAME-DES-LANDES MONTREE PAR UN FILM
En
2016, un
court documentaire a été réalisé par Léo Leibovici et
produit par Lizzie Brocheré en partenariat avec l’Association
Yemanja (regroupement de créateurs, producteurs et diffuseurs de
projets visant à promouvoir la sauvegarde de l’environnement). Il
montre le caractère devenu exceptionnel de la zone à défendre de
Notre-Dame-des-Landes.
►Un
petit message nous a été envoyé par le Zad Social Rap, suite à
l’atelier de mardi dernier : /"Premier sinistre",
instru : LaZone/ "Ca rentre pas dans les formats, encore
moins dans les urnes ! Cette spéciale dédicace à la nouvelle
équipe au pouvoir et à son « premier sinistre » est une
production de l’atelier hebdomadaire du Zad Social Rap, enregistrée
16/05/2017 à la Grée. "
►Pour
mémoire, tous les sons des ateliers rap sont diffusés ici !
►Egalement,
un petit article dédicacé au nouveau ministre de "l’environnement"
(lequel, on ne
sait
pas), trouvable
sur Reporterre, où
on
peut
y
lire :
"Ajoutons
encore par cruauté que Hulot ne s’est jamais mouillé pour le loup
ou l’ours en France, dont la survie tient à un fil. Qu’il n’a
jamais, alors que c’était à sa portée, défendu l’idée d’une
rupture globale avec le système agricole. Que sa Fondation, ceci
expliquant en partie cela, a comme partenaire le groupe Avril cité
plus haut, cœur de réacteur de l’agro-industrie. Que sa
Fondation, bis repetita, a pour partenaire Vinci, le groupe de BTP
derrière Notre-Dame-des-Landes. Bref.
Pourquoi
tout cela ? J’ai bien une explication, mais elle est
psychologique, et je la garde. Hulot est un homme d’une rare
naïveté, pour rester poli. Il a été l’ami et le confident de
Chirac — des dizaines d’heures de tête-à-tête —, sans
résultat. Il a marché dans la si lourde combine du Grenelle de
l’Environnement de Sarkozy, en 2007. Il a été l’Envoyé spécial
pour le climat de Hollande, s’enorgueillissant du dérisoire Accord
de Paris, signé en clôture de la funeste COP21. Le comique de
répétition a ses limites, place à la tristesse. Tout bien
considéré, il ne dépare pas dans le gouvernement d’un lobbyiste
— Édouard Philippe — du nucléaire."
►Enfin,
on relaie un appel
à soutien pour le jardin de plantes médicinales de la zad, pour
construire un peu plus notre autonomie du soin !
Contre les violences d’Etat, soutien à Hadama Traoré, et à celles et ceux qui résistent à Aulnay-sous-bois
Quatre
mois après avoir violé un habitant en toute impunité, la police
continue de mettre la pression à Aulnay-sous-Bois.
Samedi
20 mai, dans le quartier de la Rose des vents, c’est sous prétexte
de dégradation (1) que la police a procédé à des interpellations
et des gardes à vues au terme d’une intervention violente à base
de gaz lacrymogènes et flashball. Parmi les personnes ciblées,
Hadama Traoré, co-fondateur d’un mouvement de lutte sociale « la
révolution est en marche » a été blessé par 3 tirs de LBD
dans le dos après avoir essayé d’arranger la situation. Le
lendemain, sa tentative de dépôt de plainte au commissariat
d’Aulnay pour violence lui a valu une journée de garde à vue .
Cet
acharnement devient malheureusement habituel contre les personnes qui
résistent, et qui tentent d’organiser une vie un peu plus
collective dans une "république" qui ne les reconnait pas,
avec des élus qui ne les représentent pas. Les habitant-es d’Aulnay
sont dépossédées de leurs quartiers par l’aménagement du
territoire via la mise en oeuvre de politiques excluantes et
discriminantes : harcèlement de la police, surveillance
généralisée, gentrification ; éviction des commerces locaux,
délabrement des logements…
Dans
ce contexte, Hadama Traoré est visé parce qu’il se bat avec
énergie et courage, parce qu’il s’oppose à la résignation
générale, face à un état qui refuse le respect aux habitant-es de
quartiers qu’il traite en inférieurs.
Comment
ne pas le penser alors que tant de personnes visées par la police
subissent au quotidien le racisme d’état, alors que les idées du
Front national sont largement répandues dans les commissariats et
peuvent s’exprimer pleinement dans les rues d’Aulnay ? Et
comme d’habitude la police met en cause les personnes qui subissent
et dénoncent ces violences.
Cet
acharnement vise une nouvelle fois à faire taire et criminaliser les
voix contestataires, à Aulnay-sous-Bois comme ailleurs.
Face
à la répression policière et aux violences d’état, nous
soutenons Hadama Traoré, ainsi que les personnes qui s’organisent
et résistent à Aulnay.
Des
occupant-es de la ZAD.
Infos du 29 au 31 mai
►Dans
une
interview, le nouveau ministre de la « transition
écologique » a promis de « Nous allons remettre les
choses à plat. Il y aura un temps – six mois – pour une
médiation. Je suis intimement convaincu qu’il y a de possibles
alternatives à Notre-Dame-des-Landes qui peuvent nous permettre, à
tous, de sortir par le haut. ». On attend de voir…
AILLEURS
Infos du 1er au 7 mai
À Bure, l’Andra veut étouffer la lutte paysanne
Pour
s’assurer la maîtrise de la zone de la « poubelle
nucléaire » de Bure, l’Agence nationale de gestion des
déchets radioactifs s’est constitué une immense réserve
foncière. Si de nombreux paysans ont cédé aux conditions de
l’Agence, ce n’est pas le cas de Jean-Pierre Simon, jugé ce
mardi pour « complicité » avec les antinucléaires. La
Confédération paysanne le soutient.
Mardi
2 mai, Jean-Pierre Simon doit comparaître devant le tribunal de
grande instance de Bar-le-Duc (Meuse), pour « complicité du
délit d’installation en réunion sur le terrain d’autrui sans
autorisation en vue d’y habiter ». Son crime ? À
l’été 2016, ce paysan a mis à disposition des opposants au
projet de poubelle nucléaire de Bure son tracteur et sa bétaillère.
Pour les gendarmes et pour l’Andra — l’Agence nationale de
gestion des déchets radioactifs, partie civile dans le procès —,
il aurait ainsi « favorisé l’occupation du bois Lejuc »
par les manifestants, et « fait obstacle à une issue du
site ».
Joint
par Reporterre, Jean-Pierre Simon raconte une version de
l’histoire sensiblement différente. Début juin 2016, les
opposants ont organisé une manifestation pour protester contre le
début des travaux de l’Andra dans le bois Lejuc. « Je
suis venu avec mon tracteur pour porter le matériel pour le
pique-nique, raconte-t-il. Quand on s’est rendu compte que
l’Andra menait là-bas des travaux illégaux, l’occupation a été
décidée. Je ne suis pas resté sur place, mais j’ai laissé mon
tracteur, pour aider à la logistique : transporter les tentes
par exemple. »
Lors
de l’expulsion du bois, début juillet, Jean-Pierre s’est
précipité pour récupérer son tracteur, mais il était trop tard :
l’engin avait été saisi et emporté par les forces de l’ordre à
la fourrière. À l’intérieur de la remorque, les enquêteurs
trouveront des tentes, des vêtements, des sacs de couchage, quelques
téléphones portables. « Je suis allé aux convocations,
j’ai répondu aux questions de la gendarmerie, mais ils n’ont pas
voulu me rendre mon tracteur, alors que c’est un outil de travail
indispensable ! » Il a protesté auprès du procureur,
mais ses lettres sont restées sans réponse, jusqu’à ce
3 février, où il a reçu une convocation au tribunal.
« Depuis le départ, l’Andra fait en sorte qu’il n’y ait pas de lutte paysanne à Bure »
Pourquoi
lui ? Pourquoi se focaliser sur cet agriculteur qui n’était
pas présent lors de l’évacuation du bois, et qui n’a fait que
prêter son tracteur aux manifestants ? La plupart des opposants
au projet Cigéo agissent de manière collective ou anonyme, de
manière à ne pas être identifiés par les forces de l’ordre. Au
contraire, Jean-Pierre Simon est installé à Cirfontaines-en-Ornois,
à quelques kilomètres de Bure, depuis plusieurs décennies, et il
est bien connu dans le coin.
« Je suis facilement
identifiable, donc facilement attaquable, admet-il. Mais à
travers moi, c’est le procès du bois Lejuc que l’Andra veut
faire. » Il avance une autre piste de réponse :
« Comme je suis à peu près le seul paysan à m’investir
dans la lutte, c’est peut-être une manière de mettre la pression
et de dire aux autres agriculteurs : ne bougez pas. »
Laurent Pinatel, porte-parole de la Confédération paysanne,
syndicat qui soutient Jean-Pierre Simon, abonde dans ce sens :
« L’Andra a fait de lui un grand criminel, ils ne l’ont
pas loupé et ont frappé fort, comme s’ils avaient voulu scinder
la lutte et décourager les habitants locaux de s’engager. Depuis
le départ, l’Andra fait en sorte qu’il n’y ait pas de lutte
paysanne à Bure. »
- Jean-Pierre Simon à Notre-Dame-des-Landes, en juillet 2016.
Le
témoignage de Jean-Pierre Simon fait écho à une autre histoire :
celle de l’appropriation progressive du foncier agricole et
forestier par l’Andra, en Meuse et en Haute-Marne, et qui est
dénoncée par la Confédération paysanne comme « un
accaparement de terres ». Installé depuis 1982 sur
l’exploitation familiale, le paysan produit aujourd’hui orge,
colza, blé, tournesol. Il décrit une région agricole en
difficulté, avec des sols difficiles à travailler.
Pourtant,
l’arrivée de l’Andra sur le territoire, dans les années 1990,
a donné une nouvelle valeur à ces terres délaissées. « À
partir de 2007, ils ont commencé à acheter tout le foncier
disponible. Ils se rendaient dans les villages, prospectaient pour
savoir si des successions ou des reprises allaient avoir lieu. »
Il se rappelle de son voisin, propriétaire de 100 ha, démarché
par l’Agence. « Ils lui ont tout acheté, les terres, les
bâtiments, le cheptel. » Le prix du foncier a flambé :
l’hectare est passé de 2.500 à 5.000 € en quelques années.
« L’Andra paye, quel que soit le prix, donc ça en motive
plus d’un ! » estime l’agriculteur.
Malgré
les propositions alléchantes, il a décidé de garder sa ferme,
« pour rester maître de la situation et ne pas casser
[son] outil de travail ». Il a cependant dû débourser
plusieurs centaines de milliers d’euros afin de racheter la moitié
de ces terres qui étaient en location et convoitées par l’Andra.
« C’est pour ça que je suis libre de parler,
explique-t-il. La plupart des paysans louent une partie de leurs
surfaces, ou sont sur des parcelles que l’Andra leur met à
disposition via des baux précaires. »
- Les terres agricoles du plateau de Bure.
La
carotte et le bâton. Pour « calmer
le jeu et acheter le silence »,
comme le dit Jean-Pierre Simon, l’Andra dispose d’un patrimoine
foncier important : 3.115 ha, d’après les chiffres fournis
fin 2015 par l’Agence (2.270 ha en propriété directe et 845
ha mis en réserve par les Safer), alors que le projet Cigéo ne
s’étendra, au maximum, que sur 650 ha. Cette réserve foncière
permet à l’Andra de prévoir
des compensations environnementales nécessaires lors de la
réalisation du projet, mais aussi de « procéder
à des échanges de parcelles »
avec les agriculteurs. « C’est
une sorte de jeu d’échecs qui permet à l’Andra de s’assurer
la maîtrise de la zone d’implantation de Cigéo »,
décrit Jean-Pierre Simon. Cette stratégie, tout à fait légale,
mène aussi à des redistributions de terres de la part de l’Andra,
via des conventions d’occupation précaire et provisoire (Copp) :
« Mais
cette redistribution favorise en priorité ceux qui ont des
casquettes : élus, syndicalistes, jeunes… tout ça pour tenir
la population »,
note Jean-Pierre Simon.
« Dans ces grands projets comme Cigéo, l’agriculture est toujours considérée comme la variable d’ajustement »
Dans
un rapport publié en 2016, le collectif
d’opposants
Terres de Bure n’hésite pas à parler d’un « harcèlement » :
« Les
négociations foncières de l’Andra sont menées depuis les
dernières années par Emmanuel Hance,
“responsable des activités humaines et de la biodiversité”. Les
agriculteurs ayant eu affaire à lui préfèrent parler de
harcèlement plutôt que de négociation à l’amiable. »
Appels téléphoniques répétés et visites incessantes, allusion à
la possibilité d’expropriation, démarchage individuel…
« Beaucoup
d’agriculteurs se retrouvent ainsi dans une position difficile,
tiraillés entre l’envie de rester sur leurs terres et de résister
à la poubelle, la résignation face à la peur des contrôles et des
expropriations, et la recherche de leur intérêt économique
individuel »,
écrivent-ils.
Résultat,
la lutte paysanne à Bure est embryonnaire. « Nous avons peu
d’adhérents en Meuse et Haute-Marne, ce n’est pas facile de
mobiliser là-bas », constate Laurent Pinatel. C’est
pourquoi la Confédération paysanne a décidé de mettre le paquet
mardi 2 mai à Bar-le-Duc, lors de l’audience de M. Simon.
Prises de parole, banquet paysan, rassemblement de soutien relayé au
niveau national. « Dans ces grands projets comme Cigéo,
l’agriculture est toujours considérée comme la variable
d’ajustement, colère Laurent Pinatel. Les terres agricoles
ne sont que des réservoirs fonciers, et il y a une négation de
notre rôle et de notre activité économique, c’est humiliant. »
Pour lui, ce qui se joue à travers l’affaire de M. Simon,
c’est un projet de société : « L’agriculture
paysanne ne peut s’épanouir dans une société hypernucléarisée,
avec un dogme productiviste et techniciste. Le dogme du développement
à tout prix touche à ses limites. »
La bétaillère saisie par les gendarmes aux abords du bois Lejuc.
À
57 ans, Jean-Pierre Simon se dit aujourd’hui à la fois
« déterminé » à s’opposer et « pessimiste »
pour la suite : « Bien sûr que j’assume tout ce que
j’ai fait au bois Lejuc, dit-il. Je m’oppose depuis plus
de vingt ans au nucléaire, parce que cette technologie opaque n’est
pas bonne, mais aussi parce que Cigéo signe l’arrêt de mort de
l’agriculture dans la zone. L’Andra est en train de créer un
désert rural et agricole, en sacrifiant nos villages et nos
terres. »
►Quelques
nouvelles suite au procès
d’hier d’un agriculteur accusé de complicité dans la première
occupation du Bois Lejuc et de l’ambiance par là bas : la
justice renonce à se prononcer pour le moment.
►On
relaie aussi un appel
à dons lancés depuis là-bas pour les obsèques d’une copine
qui passait sur les zad. on pense à elle ici aussi.
Infos du 8 au 14 mai
►Bure :
L’enquête
publique sur le défrichage du Bois Lejuc se
termine
samedi. Pour leur écrire : ddt-se-foret@meuse.gouv.fr
ou Direction
Départementale des Territoires de la Meuse - Service Environnement -
14 rue Antoine Durenne CS 10501 - 55012 Bar le Duc CEDEX.
Meuse
Nature Environnement propose à celleux qui n’ont pas le courage ou
le temps de faire leur propre argumentaire de dire qu’illes ne
veulent pas voir détruire cette forêt et que ce défrichement est
clairement le début de Cigéo, projet démentiel qui n’a obtenu
encore aucune autorisation. Alors
pourquoi déjà autoriser le saccage de ce magnifique bois avec sa
faune et sa flore qui abrite en plus des espèces protégées ?
Ces ultimes terres agricoles qui résistent encore
à la bétonisation du « grand Paris »
Ils
cultivent du blé, du colza, du thym, vivent au rythme des saisons,
se plient aux caprices de la nature. Mais leur horizon, c’est les
avions, l’autoroute et Leroy-Merlin. Au nord-est de Paris, 700
hectares ont miraculeusement échappé à un demi-siècle de
bétonisation. Dernier projet en date : EuropaCity. Ce
gigantesque centre commercial et de loisirs signera-t-il la fin du
grenier à blé parisien ? Le Collectif pour le Triangle de
Gonesse refuse de s’y résoudre et organise le 21 mai un grand
rassemblement à l’endroit où les travaux sont censés débuter
dans quelques mois.
L’OVNI EuropaCity
Sur
cette parcelle située au milieu du Triangle de Gonesse – 700
hectares de terres agricoles au nord-est de Paris –, une nouvelle
gare de métro et de RER doit voir le jour. Pas n’importe
laquelle : celle où est censée affluer, en 2024, une partie
des 31 millions de visiteurs – deux fois plus que Disneyland Paris
– attendus chaque année à EuropaCity. A la fois centre commercial
et parc de loisirs, EuropaCity est un concept « unique au
monde », s’enorgueillit son promoteur Immochan, filiale
du groupe Auchan. Autour de cet espace aux allures futuristes
graviteront un quartier d’affaires et des hôtels. Présenté comme
un modèle d’architecture « écoresponsable »,
le projet de 3,1 milliards d’euros s’inscrit dans un vaste plan
d’aménagement du Triangle de Gonesse porté par le Grand Paris. Un
plan qui détruirait au total 280 hectares de terres parmi les plus
fertiles d’Ile-de-France.
Immochan
assure vouloir « concilier projet urbain et agricole ».
Une « ferme urbaine » de 7 hectares est prévue.
Et un « carré agricole » de 400 hectares formant
la partie nord du Triangle de Gonesse doit également être
sanctuarisé. C’est-à-dire réservé à l’agriculture pour les
trente années à venir. De la poudre aux yeux, selon Jacques Proix.
« La ferme urbaine ? C’est le cirque ! »,
lâche-t-il d’un ton sarcastique. « Il va y avoir des
rambardes, tu vas être au milieu et on va te regarder travailler.
Moi, je ne suis pas un clown ! » Quant au carré
agricole sur lequel l’agriculteur possède également des
parcelles, « il appartient en bonne partie à Axa. Ils
peuvent nous dire de partir à tout moment ».
Jacques
Proix ne possède que 10% des terres qu’il cultive. Le temps des
paysans-propriétaires est bel et bien révolu. « Mon père
avait plus de 80 hectares et mon grand-père une bonne centaine. Moi,
j’en ai 45, dont une vingtaine en précaire. Ça veut dire que je
n’ai aucun droit dessus car j’ai été exproprié. »
Dans la maison familiale, Jacques Proix ouvre la porte d’un petit
bureau éclairé par une lumière blafarde. « Là, il n’y
a que des papiers d’expropriation », lance-t-il en
montrant une pile de documents jaunis haute de 50 centimètres. « Je
passe devant les tribunaux au moins deux ou trois fois par an »,
explique-t-il. En jeu : le prix de la terre et du patrimoine
familial. « Je vais perdre 2,4 hectares cette année. On me
les paye à un prix inférieur au prix auquel je les ai achetés il y
a 10 ans », peste l’homme, fataliste. Avant de se
reprendre : « Si j’étais aigri à chaque fois que
suis exproprié, je ne vivrais plus ! »
EuropaCity
n’est que le prolongement d’un phénomène d’urbanisation vieux
comme le béton. Mais ce projet aux dimensions inédites interpelle
aussi par le choix du site : Gonesse et ses environs sont déjà
saturés en centres commerciaux.
Vidéo
© Service reproduction/documentation d’Europa City :
Coincé
entre les aéroport du Bourget et de Roissy et l’autoroute A1, le
Triangle de Gonesse a contribué à faire du Val d’Oise le grenier
à blé de la région parisienne. « Déjà sous l’Ancien
Régime, Gonesse produisait le pain pour Paris », rappelle
Jacques Proix, entre fierté et nostalgie. Aujourd’hui, ce sol
calcaire très riche en limon constitue la dernière grande réserve
de terres arables de la région parisienne. Cet espace tant convoité
est devenu, avec Notre-Dame-des-Landes, l’un des symboles d’une
France agricole grignotée par l’urbanisation incontrôlée.
Routes, parkings, aéroports, centres commerciaux, zones
industrielles, quartiers résidentiels…
Dans
l’Hexagone, l’équivalent d’un département comme l’Aube
disparaît sous le béton tous les dix ans. Soit vingt mètres carrés
par seconde. Une destruction silencieuse encouragée par l’État et
les collectivités locales au nom du développement territorial et de
l’emploi.
L’expropriation au quotidien
A
la fois céréalier et maraîcher, Jacques Proix multiplie les
aller-retour entre le Triangle de Gonesse, le bourg et les communes
alentour. Dans le centre-ville de Gonesse, il ne lui reste plus qu’un
bout de terrain d’1,8 hectare cerné par Leroy-Merlin, KFC et La
Pataterie. Un joyau aujourd’hui en sursis. « L’expropriation
est imminente »,
prévient-il d’une voix blanche. Cette fois-ci, EuropaCity n’est
pas en cause. Le fossoyeur s’appelle le Syndicat intercommunal de
l’assainissement. Il veut creuser sur ce champ de thym des bassins
de retenue anti-inondation devenus nécessaires en raison de
l’urbanisation rampante. Car quand la terre disparait, l’eau
n’est plus absorbée. « Que
ce soit EuropaCity ou des bassins de retenue d’eau, c’est le
développement de la ville qui fait qu’on perd des terres »,
constate Jacques Proix. En attendant l’heure de la retraite, il
doit s’habituer à la précarité.
Maraîchers,
arboriculteurs, céréaliers. Ici personne n’échappe à
l’incertitude causée par les expropriations en cascade. A peine
remis d’une récolte 2016 calamiteuse, Jean-Louis Griset prépare
son tracteur et son pulvérisateur avant l’arrivée des beaux
jours.
Cet
homme de 42 ans est à la tête d’une exploitation de 155 hectares
héritée de son père et de son oncle. Il connait bien Jacques
Proix, de seize ans son aîné. Ils ont la même avocate. Producteurs
de blé, maïs et colza originaires de Sarcelles, les Griset ont
réussi à conserver leur surface agricole. Il y a trente ans, voyant
l’étau urbain se resserrer autour de Sarcelles et de Gonesse, ils
ont acheté plusieurs dizaines d’hectares dans la Somme. Là où
les betteraves et les pommes de terres poussent plus vite que le
béton.
« On est face à un rouleau compresseur »
Un
pied à Gonesse, l’autre dans les Hauts-de-France : le modèle
fait de plus en plus recette chez les agriculteurs franciliens.
« Ensuite, j’ai pu m’agrandir en reprenant les terres de
plusieurs collègues », explique Jean-Louis Griset. Mais ce
bel édifice ne résistera pas aux projets du Grand Paris. « Dans
les dix prochaines années, affirme-t-il, je vais perdre 50
hectares. Un tiers de ma surface totale. » En cause,
l’aménagement du Triangle de Gonesse, dont EuropaCity est la tête
de pont. Sur ce sujet, l’homme est intarissable. Il ne comprend pas
qu’on puisse déclarer d’utilité publique un projet privé de
cette ampleur. « Pour un hôpital ou un stade, je veux bien
l’entendre, mais pour un supermarché, ça me parait un petit peu
scandaleux, assène-t-il. L’objectif des expropriants, c’est
d’acquérir le foncier à moindre coût. » Sur le
Triangle de Gonesse, les agriculteurs ne recevront qu’un euro
d’indemnisation par mètre carré. Cinq euros s’ils sont
propriétaires. « C’est de la spoliation ! »,
dénonce le céréalier.
« On
est face à un rouleau-compresseur », renchérit son oncle.
Plus loquace encore que son neveu, Claude Griset est resté très
proche de lui. « Je viens dès qu’il a besoin de moi »,
confirme l’homme de 73 ans à la carrure imposante, mélange de
gravité et de jovialité. Ancien responsable syndical à la Chambre
d’agriculture, il aime évoquer la vie de ses ancêtres paysans.
« Ici, au début de l’agriculture moderne, il y avait des
fermes imposantes. Et autour de ces fermes, plusieurs centaines
d’hectares de terres. Donc énormément de personnel à loger. Et
énormément d’animaux à nourrir et à entretenir. »
Pour le retraité né à Sarcelles, l’agonie de l’agriculture
dans le bassin parisien est un crève-cœur.
Une résistance en rangs dispersés
L’enjeu
agricole d’un des plus grands projets d’aménagement urbain de
France semble également échapper à la population résidant autour
du Triangle de Gonesse. Habitante de la commune voisine de
Deuil-la-Barre, Sophie Charconnet est l’une des rares à avoir
participé activement au débat public qui s’est déroulé l’an
dernier entre mars et juillet. « Il
faut absolument empêcher EuropaCity »
de voir le jour, estime cette citoyenne engagée qui aimerait ouvrir
une épicerie bio. Son leitmotiv : l’autonomie alimentaire.
Aujourd’hui, « on
doit presque aller à Rungis pour trouver une salade »,
regrette-t-elle. Un comble, en effet, pour une région qui a vu des
générations de paysans cultiver du cresson, de la laitue et du
persil. « Si
EuropaCity voyait le jour, ce serait un point de non retour,
estime-t-elle. Ces
terres doivent rester agricoles. »
Mais si le projet du groupe Auchan tombait à l’eau, la route de la
reconquête serait encore longue.
La fin d’un monde
La
lutte est inégale entre, d’un côté, les derniers descendants des
maraichers franciliens, et de l’autre, les promoteurs immobiliers
soutenus par l’État et les collectivités locales. Le 21 septembre
dernier, le préfet du Val d’Oise a validé la création de la ZAC
(zone d’aménagement concerté) du Triangle de Gonesse. Une étape
clé pour l’avenir d’EuropaCity. « L’un des plus
importants projets d’aménagement de France va pouvoir démarrer »,
se félicitait quelques jours plus tard l’Établissement public
d’aménagement Plaine de France. Mais les opposants n’ont pas
l’intention de regarder le ballet des bulldozers les bras croisés.
Ils organisent le 21 mai un grand rassemblement sur le site du
projet.
Jacques
Proix, lui, reste perplexe face à la créativité des planteurs de
béton. « Je ne sais pas ce qu’il faut faire... Pour eux,
la terre ce n’est que du foncier. Moi, c’est toute ma vie ».
Le regard vide, il peine à trouver ses mots. « Je me
demande comment il y a des mecs qui peuvent penser des trucs comme
ça », finit-il par lâcher. Lui, le « dinosaure »
qui « travaille comme il y a cinquante ans » n’est
pas vraiment en phase avec l’idée de progrès et de développement
que sous-tendent tous ces grands projets. Après plus d’un
demi-siècle passé à entendre les Boeing et les Airbus se croiser
au-dessus de sa tête, il a des envies d’évasion. Son horizon,
aujourd’hui, c’est la retraite et sa petite maison à la
campagne. En Normandie. Loin de Gonesse, de Roissy et de ses avions.
Samy
Archimède - Photos et vidéos Ian Dalipagic et Jérôme Fourcade -
Bastamag
Infos du 15 au 21 mai
À Bure, un vote décisif ce soir dans la bataille contre les déchets nucléaires
Les
conseillers municipaux de Mandre-en-Barrois, dans la Meuse, doivent
voter ce jeudi la cession ou non du bois Lejuc à l’Andra, l’agence
chargée de mettre en place la poubelle nucléaire Cigéo. Ce vote,
capital pour l’avenir du projet.
Ce
jeudi 18 mai autour de 18 h, sous l’œil des journalistes
et la surveillance de la gendarmerie, les onze conseillers municipaux
du village de Mandres-en-Barrois (Meuse) devront se prononcer sur
l’avenir du projet d’enfouissement de déchets nucléaires Cigéo.
Rien de moins. À la demande du maire de la commune, Xavier Levet,
les élus devront voter afin de valider la cession du bois Lejuc à
l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs
(Andra). Sans cette délibération cruciale, l’Andra ne pourra pas
entrer en possession de ce bois stratégique, dans lequel elle
prévoit d’implanter les puits d’accès et d’aération de la
poubelle nucléaire.
Ce
conseil municipal n’est qu’une énième péripétie d’une
longue série qui voit s’affronter l’Agence aux opposants à
Cigéo. Si vous les avez ratées, voici les principaux épisodes :
- le 13 janvier 2013, les habitants de Mandres-en-Barrois ont exprimé leur opposition à la cession du bois communal à 50 voix contre 35, lors d’une première consultation populaire ;
- le 2 juillet 2015, le conseil municipal a voté à 7 voix contre 4 la cession de la forêt, dans des conditions jugées irrégulières par plusieurs habitants, qui ont porté plainte pour contester cette décision ;
- le 28 juin 2016, les opposants au projet Cigéo ont occupé le bois Lejuc afin de bloquer les défrichements lancés par l’Andra de manière illégale. Depuis cette date, ils ont construit des cabanes et monté des barricades. Ils seraient actuellement plusieurs dizaines à vivre au quotidien dans la forêt ;
- le 28 février 2017, le tribunal administratif de Nancy leur a donné raison, en annulant la délibération municipale en raison d’irrégularités dans le déroulement du scrutin. Une décision de justice contestée par l’Agence nationale des déchets radioactifs. Dans un communiqué du 28 avril, elle a rappelé qu’elle reste « propriétaire des lieux ». Les juges ont donné quatre mois à la commune pour revoter, faute de quoi le bois redeviendra communal.
« L’Andra s’est installée en Meuse grâce à l’achat des consciences »
L’enjeu
du conseil municipal de ce jeudi 18 mai est donc de taille. Et
rien ne semble joué. « Nous sommes certains que quatre élus
voteront contre la cession, mais d’autres pourraient suivre, ou
s’abstenir », estime Michel Labat, un habitant de Mandres
et farouche opposant. Mais pour lui, quelle que soit l’issue du
scrutin, « il n’est pas question de céder face à
l’Andra ». Avec deux autres habitants, il a décidé de
porter plainte pour faux et usage de faux contre le maire.
En
cause, le contrat d’échange signé entre la mairie et l’Andra le
6 janvier 2016 devant notaire. « Le maire y
déclarait que la délibération du conseil municipal n’avait pas
fait l’objet d’un recours devant le tribunal administratif. Or,
un tel recours avait été déposé moins de trois semaines
auparavant et lui avait été notifié par voie d’huissier, le
maire ne pouvait pas l’ignorer », explique Me Samuel
Delalande, l’un des avocats des habitants.
Un
détail qui n’en est pas un puisque « le notaire aurait pu
refuser de valider le contrat d’échange s’il avait eu
connaissance de ces recours ». Et le bois ne serait pas
devenu propriété de l’Andra.
Avec
cette nouvelle plainte, Michel Labat espère montrer que « certains
de nos élus, dont notre maire, sont irresponsables ».
Car au-delà du cas symbolique du maire, les opposants dénoncent des
situations récurrentes de conflits d’intérêts entre l’Andra et
plusieurs conseillers. Depuis la Maison des résistances de Bure,
Sylvestre [un nom d’emprunt] pointe « une
série de petites magouilles pour réaliser un grand projet inutile
et imposé ».
Certains, comme le maire, ont des proches employés par l’Andra.
D’autres bénéficient de baux de chasse accordés par l’Agence.
D’autres encore ont obtenu des terres agricoles via
des redistributions foncières orchestrées par l’Andra et la
Safer.
« L’Andra
s’est installée en Meuse grâce à l’achat des consciences »,
estime Sylvestre. Le Groupement d’intérêt public (GIP), qui
distribue chaque année 60 millions d’euros de subventions aux
départements de la Meuse et de la Haute-Marne, a ainsi largement
participé à l’acceptabilité sociale du projet. « C’est
une politique insidieuse : plutôt que de passer en force ou
d’assumer ses responsabilités, l’État préfère développer un
système clientéliste, et pousse les habitants à participer à la
destruction de leur propre territoire »,
s’indigne l’opposant. Pourtant, ça et là dans les environs, des
voix s’élèvent pour contester Cigéo : mi-mai, les habitants
de Doulaincourt (Haute-Marne) se sont prononcés à
90 % contre la nucléarisation de leur territoire. « Cette
délibération montre bien comment l’État fait reposer sur les
épaules de onze élus d’une commune rurale le choix d’un projet
démesuré »,
poursuit Sylvestre.
« Nous vivons sous occupation policière, c’est insupportable et démesuré pour un village de 120 habitants ! »
À
Mandres-en-Barrois, où les trottoirs ont été refaits et où les
lampadaires paraissent flambants neufs grâce au GIP, Michel Labat
constate tous les jours les résultats de cette politique : « Le
fatalisme prédomine, les gens se disent qu’on n’y peut rien,
qu’il faut bien mettre les déchets quelque part, que ce n’est
pas si terrible. » Même si, depuis quelques semaines, le
bal incessant des camions de gendarmerie et les contrôles d’identité
récurrents ont réveillé le ras-le-bol des citoyens. « On
peut être contrôlé trois fois en moins d’une demi-heure, nous
vivons sous occupation policière, c’est insupportable et démesuré
pour un village de 120 habitants ! » s’emporte
M. Labat.
Alors,
pour échapper à l’ambiance tendue dans sa commune, il se réfugie
régulièrement dans le bois Lejuc. « Cela me fait plaisir
de voir ces jeunes vivre dans les arbres, il faut du courage pour
tenir la forêt. » Dans une lettre publique, il apporte
avec d’autres habitants des environs son soutien à l’occupation
illégale du bois : « Nous réaffirmons notre totale
solidarité face à la défense légitime de cette forêt que nous
aimons, dans laquelle nous nous promenons, nous chassons et nous
faisons notre affouage. Cette forêt regorge de souvenirs, elle est
le dernier de nos espaces communs et nous ne voulons pas la voir se
transformer en dépotoir radioactif. Ce bois n’est pas à l’Andra,
c’est notre bois communal ! »
Les
occupants du bois vivent sous
la menace d’une expulsion depuis le 26 avril dernier. Mais
ils n’entendent pas se laisser intimider, et multiplient les
actions : défilé de « l’Andrastik
Circus »
dans les rues de Mandres, manifestation des 300.000 pas ce
samedi 20 mai à Saint-Dizier, chantiers collectifs du 19 au
26 juin.
Une
détermination partagée par certains habitants de Mandres, qui le
rappellent dans leur communiqué : « Nous continuerons
de résister face à l’injustice, à l’achat des consciences et
des élus, et l’accaparement de notre territoire par l’Andra. Si
l’État décide d’expulser notre forêt, c’est le village de
Mandres-en-Barrois qu’elle expulse. Nous ne resterons pas les bras
croisés ! »
Vote tendu à Mandres-en-Barrois pour abandonner un bois aux déchets nucléaires
Jeudi
18 mai, le village de Mandres-en-Barrois, dans la Meuse, était
en ébullition : sous forte présence de gendarmes, le conseil
municipal a voté, à une voix près, la cession du bois Lejuc à
l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.
Mandres-en-Barrois
(Meuse), reportage
Après
une semaine émaillée par différentes manifestations sur place, il
y avait bien jeudi soir 18 mai plus de gendarmes mobiles dans
les rues de Mandres que d’habitants du village. Des barrages aux
différentes extrémités, empêchant tout le monde de circuler, y
compris les paysans, des grilles bloquant l’accès des ruelles, des
nuages de gaz lacrymogènes et du sang lors des charges : voilà
pour le décor de ce qui s’est joué lors du nouveau vote de
cession du bois Lejuc, en réunion publique.
Les
conseillers municipaux avaient en effet été invités par le maire à
redonner leur avis sur cette forêt où l’Andra (Agence nationale
pour la gestion des déchets radioactifs) veut implanter des puits
d’accès vers les galeries où s’entasseraient des déchets
nucléaires. Un pique-nique festif avait réuni 150 personnes à une
centaine de mètres de la mairie, bien gardée pour l’occasion.
Plusieurs moments de tension ont émaillé la journée, d’abord
lorsque les opposants ont tenté de franchir certains barrages, en
dénonçant « une démocratie sous surveillance policière ».
Vers 19 h 30, alors qu’un hommage était rendu au militant parisien
Jean-Pierre Petit récemment décédé, et dont l’enterrement avait
lieu le jour même, le mégaphone de la gendarmerie a résonné,
provoquant la colère des manifestants. « Vous ne respectez
rien ! », ont crié les opposants, avant de faire
quelques pas puis de se faire charger violemment par les forces de
l’ordre.
Quelques
minutes plus tard, les élus réussissaient à franchir les obstacles
pour rejoindre la mairie, sous les huées. « On
ne fera rentrer que 42 personnes, pas plus »,
prévenait Xavier Levet, le premier magistrat, avant de faire le
décompte. Dans une salle des délibérations remplie de
journalistes, d’élus locaux proches de l’Andra, et d’habitants
du secteur, la réunion a pu débuter. « Pensez
à nos enfants, à vos enfants », « Vous allez engager
des milliers de générations sur votre décision de ce soir »,
« Tous les projets d’enfouissement se sont soldés par des
catastrophes », « C’est complètement déloyal de faire
peser sur onze personnes un tel engagement », « Ton père
n’aurait pas aimé que tu vendes ta terre et ta forêt comme ça » :
le public a su mettre la pression aux conseillers, et les placer face
à leurs responsabilités. Et a rappelé également la consultation
de 2013, qui n’avait pas été écoutée par le maire.
Ce
dernier s’est défendu : « Les
termes de l’échange n’étaient pas les mêmes, et les bois qu’on
récupérerait ne sont pas les mêmes ! »
Après le rappel de l’annulation de la délibération par le
tribunal administratif de Nancy, le vote à bulletin secret a été
demandé, dans un isoloir. « Et
les personnes qui ont des liens avec l’Andra,
interpelle un assistant,
comme par exemple leurs enfants qui travaillent là-bas, vont voter ?
Une nouvelle procédure judiciaire est en cours et pointe les
conflits d’intérêt, donc ce vous faites aujourd’hui sera de
nouveau déclaré illégal. »
La
pression n’est pas redescendue durant les quarante minutes qu’a
duré la séance. Et les quelques blagues de certains élus, comme
certaines de leurs remarques, ne sont pas passées. Il fallait voir
cet homme expliquer qu’« on n’a pas le choix »
pour prendre la mesure de ce qui pesait sur ses épaules au moment de
voter.
Par
six voix pour et cinq contre, la cession du bois Lejuc contre un
autre bois a de nouveau été validée, après un suspense intenable.
« Il faut féliciter ceux qui ont eu le courage de dire
non », ont commenté les spectateurs, avant de réserver
une haie de « déshonneur » aux conseillers
municipaux de Mandres.
Juste
devant la mairie, plusieurs habitants étaient venus dire leur façon
de penser à ceux « qui sacrifient notre village. Vous avez
divisé, et ce n’est qu’un début. Le climat va continuer à se
tendre ici ». Xavier Levet a quant à lui listé les
« intimidations » dont il aurait été victime ces
derniers jours, avant de partir sous bonne escorte.
En
soirée, plusieurs charges de la gendarmerie, souhaitant disperser
les opposants, se sont terminées par des nuages de gaz lacrymogènes
étouffants. Et les manifestants ont été aidés par les habitants.
« C’est devenu irrespirable ici », commentait
une dame, native de la commune, avant de rentrer chez elle et de
fermer ses volets.
« Le
premier grand événement environnemental du nouveau gouvernement
s’est donc conclu par l’envahissement d’un tout petit village
par des dizaines de gendarmes », selon un opposant à
l’enfouissement des déchets radioactifs.
Plutôt que le béton à Gonesse, une belle alternative est possible
Les
opposants au projet de mégacomplexe commercial EuropaCity, dans le
Val-d’Oise, portent une alternative ambitieuse : faire du
triangle de Gonesse un pôle d’excellence de l’agroécologie
périurbaine. En guise de « première pierre » de leur
projet, ils organisent ce dimanche 21 mai des semis collectifs
dans les champs de Gonesse.
« Nous
ne pouvons pas seulement nous opposer, il faut proposer : porter
une alternative fait partie de la résistance. »
Attablé dans un café du sud parisien, Cyril de Koning revient sur
la genèse du groupement Carma (Coopération pour une ambition rurale
métropolitaine et agricole), qui a conçu un projet alternatif à
EuropaCity, le mégacomplexe
touristico-commercial aux portes de Paris, dans le triangle de
Gonesse (Val-d’Oise).
Pourtant,
pas question aujourd’hui de disserter sur les méfaits sociaux et
écologiques du projet d’Auchan. « Pour le moment,
EuropaCity n’existe que sur le papier, ce sont des images de
synthèse et un modèle économique, rien de plus », balaie
Robert Spizzichino, pilote du projet Carma et ingénieur-urbaniste
chevronné. Il préfère se tourner vers un autre avenir possible.
« La persistance de terres agricoles au nord de la métropole
est une opportunité immense. Il faut non seulement les préserver,
mais aussi se saisir de cette chance : faire du triangle de
Gonesse un hub de l’agriculture périurbaine, un technopôle de
l’agroécologie », s’enthousiasme-t-il.
En
gestation dans la tête des opposants à EuropaCity depuis le début,
le projet Carma s’est cristallisé fin 2016, en réponse à
l’appel à projets « Inventons
la métropole du Grand Paris »,
qui proposait sur certains terrains métropolitains — dont
15 hectares du triangle de Gonesse — d’imaginer des
innovations urbanistiques.
« La demande pour une alimentation de proximité n’a jamais été aussi grande »
Pour
porter ce « projet phare consacré à l’agriculture
urbaine et périurbaine et aux territoires en transitions »,
Robert Spizzichino, Cyril de Koning et d’autres ont fait appel à
Terre de liens Ile-de-France, qui devient le maître d’ouvrage.
Biocoop, France nature environnement, Fermes d’avenir, Les Champs
des possibles, le réseau Amap se sont greffés à l’initiative.
Résultat, Carma regroupe aujourd’hui tout ce que la région compte
comme acteurs de l’agriculture et du développement rural.
Sur
le papier, Carma ne manque ni d’ambition ni d’innovation. Sur les
700 ha du triangle, il prévoit — outre des cultures céréalières
bio — une ferme maraîchère solidaire « permettant
d’alimenter les cantines scolaires, les banques alimentaires et des
circuits courts », un « Farm Lab » pour
former à différents métiers agricoles, un centre d’échanges
autour des enjeux de sécurité alimentaire, un atelier artisanal et
participatif de transformation (conserves, boissons), un espace santé
lié à l’alimentation et à la naturopathie, un forum permanent
des arts de vivre, des écovillages en bordure des champs.
« Nous
nous inscrivons en faux contre la vision prédominante selon laquelle
les espaces agricoles sont des espaces vides, insiste Robert
Spizzichino. Aujourd’hui, le rural est une source d’inspiration
pour les urbains. » « L’Ile-de-France perd
1.400 hectares de terres agricoles par an, et ce depuis 10 ans,
alors que la demande locale pour une alimentation de proximité n’a
jamais été aussi grande », rappelle également leur
dossier d’intention.
Côté
viabilité économique, les promoteurs mettent en avant un mix de
financement participatif, de mécénat et de subventions, tout en
indiquant que certains « modules » du projet
devraient « trouver leur équilibre d’exploitation du fait
de leur activité, par exemple l’atelier artisanal ».
« Y’a-t-il eu un veto politique du maire de Gonesse ? »
Mais
ce « projet béton » est écarté début mars 2017
par le jury de l’appel à projets, qui leur indique toutefois que
leur initiative est « excellente », et
« intéressante à réaliser ». « Y’a-t-il
eu un veto politique du maire de Gonesse, ardent défenseur
d’EuropaCity, pour écarter Carma ? » s’interroge
Robert Spizzichino. Le projet fait en revanche partie des trois
nominés du Grand Prix Convergences, qui récompense « les
partenariats innovants pour la réduction de la pauvreté à travers
des projets innovants et viables ».
Sur
place, dans le Val-d’Oise et la Seine-Saint-Denis, « plus
on parle de Carma, plus les gens estiment qu’il est nécessaire,
note Cyril de Koning. EuropaCity
a séduit avant tout grâce à l’argument de l’emploi, or les
gens déchantent car ils se rendent compte que les chiffres avancés
[11.800 emplois à l’origine] sont
exagérés, que ces postes sont précaires, dégradés, ou
inaccessibles pour les populations locales. »
Que propose Carma pour répondre au problème du chômage et de
l’inégalité ? « Nous
nous gardons bien d’avancer des chiffres, car notre projet est un
projet de territoire, qui vise à impulser une dynamique de
transition écologique,
avance Robert Spizzichino. Mais
les emplois créés, dans l’agriculture, les commerces de
proximité, le compostage, la santé, l’écoconstruction seront
durables, utiles et adaptés aux besoins locaux. »
Le dispositif de formation et d’aide aux porteurs de projets
agricoles fait ainsi partie intégrante de Carma.
« Le
défi est immense, reconnaît Cyril de Koning. Le modèle de
développement à Gonesse a toujours été celui de l’étalement
urbain et commercial. Et c’est justement pour ça qu’il est vital
de tester un autre modèle ! » Mais comment
transformer cette ébauche utopiste en une alternative crédible au
géant EuropaCity ? Les promoteurs de Carma veulent y croire, et
comptent bien interpeller Nicolas Hulot, le nouveau ministre de
l’Écologie, à ce sujet. Il est certain que le vent de
l’urbanisation galopante commence à tourner. De nombreuses
métropoles, d’Ottawa à Milan en passant par Détroit, développent
des projets similaires — ceinture verte, jardins collectifs :
« environ 800 millions de personnes pratiqueraient
l’agriculture urbaine dans le monde, qui produirait ainsi 15 %
des denrées alimentaires mondiales », indique le dossier
du groupement.
Le projet Carma pour le triangle de Gonesse :
Se réapproprier les terres
nourricières, gagner en autonomie alimentaire, énergétique. Pour
marquer leur « indignation » face à la
destruction programmée des surfaces agricoles du triangle, les
opposants organisent ce dimanche 21 mai des semis collectifs
dans les champs de Gonesse. De 10 h à 18 h, plantations
collectives, bal paysan et manifestation devraient marquer une
nouvelle étape dans la mobilisation contre EuropaCity : une
étape tournée vers un autre avenir possible pour ce territoire.
EuropaCity: les nouveaux visages d’une mobilisation
Si
la notion de transition écologique et solidaire mise en avant par le
ministre d'État Nicolas Hulot a un sens, c’est ici qu’elle doit
s’éprouver : sur le triangle de Gonesse, territoire déshérité
de la banlieue nord de Paris, où Immochan veut construire un méga
centre commercial sur des terres agricoles. Une manifestation a lieu
dimanche 21 mai.
Du
vert, du rouge, du jaune, du violet, du bleu et du blanc. La
cacophonie chromatique dans la bande de logos au bas de l’appel à
manifester contre le projet EuropaCity, dimanche 21 mai, porte un
sens politique : l’élargissement du front de mobilisation
contre l’énorme centre commercial qu’Immochan, la filiale
immobilière du groupe Auchan, veut construire dans le triangle de
Gonesse (Val-d'Oise), entre les aéroports de Roissy et du Bourget.
Autour
des opposants de longue date, le Collectif pour le triangle de
Gonesse (CPTG), qui refuse le bétonnage des 80 hectares de terres
agricoles convoitées par EuropaCity, s’agrègent désormais des
agriculteurs de la Confédération paysanne et du réseau d’Amap
d’Île-de-France, leurs abonnés, la chaîne de magasins Biocoop,
la Confédération des commerçants de France, les architectes et
urbanistes de l’Atelier citoyen, des opposants à l’aéroport de
Notre-Dame-des-Landes (ACIPA), les ONG écolos France nature
environnement et les Amis de la terre.
La
CGT Île-de-France a pris position contre le projet et la chambre
d’agriculture régionale s’oppose à la destruction programmée
de ces sols. Bernard Loup, le coprésident du CPTG, a été reçu
avec une délégation par Chantal Jouanno, deuxième vice-présidente
UDI de la région Île-de-France. Des visages et des banderoles que
l’on n’a pas l’habitude de voir côte à côte.
Le
débat public sur EuropaCity s’était ouvert en avril 2016 par une
séance cruelle pour les écologistes : des jeunes de Gonesse
avaient manifesté leur intérêt pour le projet, ses 3 milliards
d’euros d’investissements et ses emplois promis. Tandis que les
voix critiques provenaient essentiellement de retraités, n’habitant
pas toujours le territoire (voir
notre reportage). S’écoulant sur plusieurs mois dans
plusieurs communes du Val-d’Oise, de la Seine-Saint-Denis et un
soir à Paris, la concertation a permis la publication de cahiers
d’acteurs critiques du projet. Petit à petit, les uns et les
autres se rencontrent. Face au rouleau compresseur narratif
d’EuropaCity et à la pluie d’argent que le géant de la grande
distribution promet sur ce coin précarisé de l’Île-de-France, la
mise en cause de l’utilité du futur centre commercial ne suffit
pas. Il faut une alternative.
Parallèlement aux recours juridiques, des opposants se constituent en groupement pour répondre à l’appel à projet Inventons la métropole du Grand Paris. Il prend le nom de CARMA (Coopération pour une ambition rurale métropolitaine et agricole). Il propose de transformer le triangle de Gonesse, soit près de 700 hectares en tout – EuropaCity n’occupe qu’une partie du vaste plan d’aménagement envisagé autour d’une ZAC dédiée –, en hub de l’agriculture périurbaine. Avec une ferme maraîchère solidaire, un farm lab, un centre d’échanges sur la sécurité alimentaire, une couveuse et de la formation pour le développement de l’emploi local.
Parallèlement aux recours juridiques, des opposants se constituent en groupement pour répondre à l’appel à projet Inventons la métropole du Grand Paris. Il prend le nom de CARMA (Coopération pour une ambition rurale métropolitaine et agricole). Il propose de transformer le triangle de Gonesse, soit près de 700 hectares en tout – EuropaCity n’occupe qu’une partie du vaste plan d’aménagement envisagé autour d’une ZAC dédiée –, en hub de l’agriculture périurbaine. Avec une ferme maraîchère solidaire, un farm lab, un centre d’échanges sur la sécurité alimentaire, une couveuse et de la formation pour le développement de l’emploi local.
L’idée
est aussi d’inciter les quelques agriculteurs encore en activité
sur place à réduire leur monoculture céréalière pour passer à
du maraîchage bio, sans pesticide ni engrais.
Le
projet est piloté par Robert Spizzichino, un ingénieur urbaniste,
avec l’appui financier de MiiMOSA, la plateforme de financement
participatif associée au Crédit agricole. La maîtrise d’ouvrage
du projet est confiée à Terre de Liens, qui aide des paysan.nes à
accéder aux terres agricoles, notamment en achetant des terres.
« Nous voulons agir pour avoir plus de terres nourricières
et utiles localement, explique Anne Gellé, administratrice de
l’association. Quel est l’intérêt de prendre des terres
agricoles pour y construire des bureaux et des routes ?,
demande-t-elle. C’est un modèle vieillot, alors que nous vivons
à l’époque du changement climatique et que l’autonomie
alimentaire de la région francilienne est beaucoup trop faible. Se
nourrir, c’est important ! »
Pour
ces professionnels de la transition écologique et des alternatives,
le triangle de Gonesse devient un enjeu symbolique très fort. Il
est situé dans une zone urbanisée, près de villes frappées par un
fort taux de chômage et de pauvreté, encore sous le choc de la
fermeture de l’usine PSA d’Aulnay. L’ancien site automobile est
aujourd’hui une friche polluée en cours de vente à la découpe.
« Notre projet répond aux enjeux d’aujourd’hui :
pourquoi ne pas proposer des emplois qualitatifs, fiables, locaux et
utiles ? », insiste Anne Gellé.
Selon
un expert impliqué dans Carma, qui requiert l’anonymat pour ne pas
se brouiller avec les acteurs institutionnels du dossier, « le
grand Roissy est l’un des territoires de l’aire urbaine qui
produit le plus d’emplois mais ils ne vont pas aux populations en
difficulté. Pourquoi ? Ils sont très durs, précaires et mal
payés. Et la gouvernance économique entre organismes publics et
acteurs privés est mauvaise. Notre principal atout est d’élargir
la gamme des métiers non qualifiés offerts aux habitants ».
Pour
les acteurs de Carma, la transition écologique implique des formes
d’agriculture et des exigences de santé alimentaire qui vont
nécessiter de nouveaux emplois. « Ce projet est nécessaire
au Grand Paris. Tout le monde se rend compte qu’on consomme trop de
terres et que l’insécurité alimentaire s’aggrave. On a besoin
de protéger les terres agricoles d’Île-de-France, comme le
tentent aujourd’hui les grandes métropoles internationales :
Barcelone, Milan, Turin, Aarhus, Montréal », poursuit le
spécialiste.
Contre
le bétonnage des sols qui fait disparaître en France l’équivalent
d’un département tous les dix ans environ, Carma défend l’idée
d’un « étalement rural ». Pour Ivan Fouquet,
architecte au sein de l’agence Fair et cheville ouvrière de
l’atelier
citoyen contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, impliqué
lui aussi dans Carma : « La métropole parisienne est
hyper étalée. Le triangle de Gonesse a échappé à l’urbanisation
puisqu’il est pris entre les aéroports de Roissy et du Bourget.
C’est aberrant de vouloir y construire des commerces et des
bureaux ! Il faut densifier plutôt qu’urbaniser et préserver
les terres agricoles. On peut sensibiliser les jeunes de banlieue à
l’importance du respect de la terre et de l’alimentation. »
Selon
une première estimation, l’investissement total du projet défendu
par Carma pourrait représenter 15 millions d’euros, en incluant
une unité de méthanisation et de compostage.
Mais face à cette innovation sociale, les résistances institutionnelles s'affirment. Le dossier n’a pas été retenu par le Grand Paris. Les projets d’Eiffage, LinkCity (Bouygues Immobilier) et Bopro (une agence belge) sont sortis vainqueurs de la présélection. Une fois de plus, les géants du BTP balaient une alternative citoyenne. Mais Carma est distingué par le prix Convergence, spécialisé en économie sociale et solidaire, qui sera remis début juin. Quelques élus locaux opposés à EuropaCity s’y intéressent.
En 2014, une manifestation contre EuropaCity, inscrite dans le mouvement pourtant dynamique des Alternatiba, avait réuni très peu de monde. Difficile de mobiliser des riverain.es éloigné.es du militantisme et d'attirer les Parisien.nes au-delà de la barrière du périphérique.
Mais face à cette innovation sociale, les résistances institutionnelles s'affirment. Le dossier n’a pas été retenu par le Grand Paris. Les projets d’Eiffage, LinkCity (Bouygues Immobilier) et Bopro (une agence belge) sont sortis vainqueurs de la présélection. Une fois de plus, les géants du BTP balaient une alternative citoyenne. Mais Carma est distingué par le prix Convergence, spécialisé en économie sociale et solidaire, qui sera remis début juin. Quelques élus locaux opposés à EuropaCity s’y intéressent.
En 2014, une manifestation contre EuropaCity, inscrite dans le mouvement pourtant dynamique des Alternatiba, avait réuni très peu de monde. Difficile de mobiliser des riverain.es éloigné.es du militantisme et d'attirer les Parisien.nes au-delà de la barrière du périphérique.
L’entrée
de Nicolas Hulot au gouvernement motivera-t-elle plus de personnes à
venir planter des courges et des céréales – offertes par des
paysans du plateau du Larzac – et à marcher contre EuropaCity ce
dimanche ? Si la notion de transition écologique et solidaire a
un sens, c’est sur le triangle de Gonesse qu’elle doit
s’éprouver.
Jade
Lindgaard - Médiapart
Infos du 22 au 28 mai
►Contre les grands projets « Urbanistes, aménageurs, pendez-vous ! »
La gentrification et le bétonnage sont en marche, mais la mobilisation s’enracine contre Europacity et son monde délirant.►A Bure, les arbres s’agitent apres la validation de la vente du bois Lejuc à l’Andra. Soutien et solidarité avec la résistance sur place ! Une version de la presse quotidienne régionale ici.
Les nucléocrates de tout poil se sentent pousser des ailes, après la pose d’une enseigne de leur bizness à la tête du gouvernement, sous la forme d’ un lobyiste d’ Areva. Miam...
VIDEO - Pas de tire-fesse à Gonesse !
Bataille
pour sauver les meilleures terres d’Ile-de-France, à Gonesse. Le
géant Auchan veut les bétonner pour implanter un énorme centre
commercial. Les écologistes proposent une alternative vivante.
Dimanche 21 mai, ils étaient là pour affirmer la nécessité
de préserver l’agriculture. Reportage en vidéo.
Des
centaines de personnes ont manifesté dimanche 21 mai à Gonesse
(Val-d’Oise), sur les champs occupant le site dit du « triangle
de Gonesse » où Auchan veut implanter un immense centre
commercial.
A
l’invitation du Collectif
pour le Triangle de Gonesse,
elles ont planté sur les terres réputées parmi les meilleures
d’Ile-de-France, et défendu le projet
alternatif porté par le collectif.
Reporterre
était là, avec sa caméra. Voir
la vidéo :
https://youtu.be/RmlMVO9QK7Q
►Bure : Communiqué : Vote illégitime, débâcle juridique, escalade policière : l’inexorable fuite en avant de Cigéo ! A lire ici
►Squats-espaces autogérés :
Infos du 29 au 31 mai
Derrière le clash Mélenchon-Cazeneuve, une affaire Rémi Fraisse étouffée
La
polémique entre Jean-Luc Mélenchon et Bernard Cazeneuve ravive les
souffrances de la famille de Rémi Fraisse, alors que toutes leurs
demandes auprès de la justice sont rejetées, la dernière voici
quelques jours seulement.
« Le
meurtre commis avec préméditation ou guet-apens constitue un
assassinat. Il est puni de la réclusion criminelle à perpétuité »,
lit-on dans le code pénal (article
221-3). Lors d’une réunion publique à Montreuil, le 24 mai,
le candidat Jean-Luc Mélenchon, leader de La France insoumise, a
accusé l’ex-ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve non
seulement d’être responsable de la mort de Rémi Fraisse, mais de
s’être « occupé
de son assassinat »
(selon des propos diffusés dimanche 28 mai dans l’émission « C
politique » sur France 5). « Cazeneuve,
le gars qui s’est occupé de l’assassinat de Rémi Fraisse. Le
gars qui a fait gazer, matraquer toutes les manifestations et qui
prend maintenant sa tête de petite sainte-nitouche pour dire que
c’est moi qui ne sais pas choisir entre le Front national et je
sais pas qui »,
avait notamment lancé Jean-Luc Mélenchon.
Jean-Luc
Mélenchon a également utilisé le terme « assassin »
dans un tweet sur la même affaire, ce 24 mai, ce qui exclut a
priori tout lapsus ou maladresse chez un homme qui connaît si
bien le poids des mots.
À
la suite de cette sortie violente, Bernard Cazeneuve a annoncé
dimanche le dépôt d’une plainte en diffamation contre le chef de
La France insoumise (FI), assurant ensuite (mardi 30 sur France
Inter) qu’il la retirerait si celui-ci présentait des excuses.
Quelques heures après, lors d'un discours en soutien à la candidate
de FI Sarah Legrain, dans le XIXe
arrondissement de Paris, Mélenchon a admis « un
mot mal calibré »,
un extrait selon lui de « trois
secondes »
parmi « onze
interventions »
rythmant une journée où il s'est exprimé « cinq
heures trente durant ».
Mais il a aussi estimé qu'un procès face à Cazeneuve ne serait
« finalement
pas un mal »,
car ce serait l'occasion de faire « le
procès des décisions prises à ce moment-là ».
Des propos similaires à ceux tenus lors
d'une conférence de presse en fin de matinée.
En
l’état du dossier, et même si les campagnes électorales sont
propices à l’outrance verbale, la condamnation de Jean-Luc
Mélenchon pour diffamation
publique semble probable si l’affaire vient un jour devant le
tribunal correctionnel. Excessifs à dessein, les propos du candidat
aux législatives méritent toutefois que l’on revienne sur les
responsabilités des uns et des autres dans l’affaire Rémi
Fraisse, ce jeune pacifiste tué
à 21 ans par la grenade offensive d’un gendarme mobile, le 26
octobre 2014 à Sivens (Tarn), une affaire d’État à laquelle
Mediapart a consacré plusieurs enquêtes documentées. À ce stade,
l'enquête judiciaire ne permet pas d'imputer une quelconque
responsabilité pénale à Bernard Cazeneuve, même si sa
responsabilité politique est engagée.
Dans
un premier temps, en tout cas, la joute verbale enclenchée depuis
dimanche a pour conséquence de raviver les souffrances des proches
de Rémi Fraisse. « La famille a toujours refusé
l'instrumentalisation politique du décès de Rémi Fraisse.
Jean-Pierre Fraisse, son père, a été choqué par la polémique »,
déclare Arié Alimi, l'avocat de la famille, sollicité par
Mediapart. Selon lui, « les propos qui ont été tenus
desservent la défense des victimes, dans la mesure où la notion
d'assassinat a une définition juridique très précise qui est assez
éloignée de la réalité du dossier. Il aurait été préférable
d'évoquer le traitement judiciaire arbitraire, s'agissant de la
recherche des responsabilités hiérarchiques », conclut Me
Alimi.
Le 29 octobre 2014, soit trois jours après le décès de Rémi Fraisse, deux juges d’instruction toulousaines, Anissa Oumohand et Élodie Billot, sont chargées d’une information judiciaire contre X pour « violences par personne dépositaire de l’autorité publique ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Mais une fois saisi, le tribunal de grande instance de Toulouse (compétent pour les affaires militaires) s'illustre par sa volonté de ne pas se fâcher avec la gendarmerie, la préfectorale ou le gouvernement Valls. Pourtant, dès les premières heures de l'enquête, une possible direction est montrée par un lieutenant-colonel de gendarmerie, qui déclare sur procès-verbal : « Le préfet du Tarn nous avait demandé de faire preuve d’une extrême fermeté », comme le révèle Mediapart le 12 novembre 2014. Les deux juges d'instruction s'abstiendront de s'engouffrer dans cette voie et le ministère de l'intérieur se retranchera derrière des démentis répétés, Bernard Cazeneuve jurant avoir donné des consignes de prudence.
L'impartialité du tribunal de Toulouse mise en cause
Debout sur les freins, les juges toulousaines refusent d'organiser une reconstitution sur les lieux du drame, puis d'entendre le préfet du Tarn. La partie civile avait sollicité l’audition de Thierry Gentilhomme, alors préfet du Tarn, ainsi que la transmission de ses communications écrites avec les gendarmes et l’exécutif national la nuit du 25 au 26 octobre 2014, en ciblant Beauvau, Matignon et l’Élysée. Cela aurait permis de retracer heure par heure les ordres donnés cette nuit-là (dont les consignes de fermeté évoquées par un officier), ainsi que les informations dont disposaient les autorités avant et après la mort de Rémi Fraisse. Quant aux demandes d'actes sur la légalité de l'usage des grenades offensives, ou le caractère privé des terrains de Sivens où les forces de l'ordre ont été déployées en masse, elles sont également rejetées, comme toutes les questions qui fâchent.
En
revanche, magistrats et gendarmes font preuve d'un zèle étonnant
pour décortiquer
le passé, la vie privée et les relations du jeune Rémi Fraisse,
ce qui heurte profondément ses proches. On ne trouvera, dans ce
volet de l'enquête, que des témoignages
de ses engagements écologiques et citoyens, mais rien à
reprocher à celui qui est – faut-il le rappeler – la victime.
Quant aux alertes sur l'extrême tension qui régnait sur place,
notamment les violences exercées par des agriculteurs et par des
membres des forces de l'ordre sur des zadistes, elles figurent au
dossier d'instruction, mais sans que les juges n’en tirent des
conséquences particulières sur les responsabilités du préfet, des
officiers de gendarmerie et du ministère de l'intérieur.
De
nouveaux témoins se manifestent auprès des enquêteurs, pour mettre
en cause le rôle des gendarmes mobiles la nuit du drame, et l'un
d'eux déclare sur procès-verbal que Rémi Fraisse s'avançait
pacifiquement vers les gendarmes, les mains en l'air, quand il a été
tué, comme
le révèle Mediapart le 25 mars 2016.
Le
Défenseur des droits constate également « qu’en
l’absence de l‘autorité civile, à partir de 21 h 30,
le choix de l’adaptation des objectifs et du dispositif à mettre
en œuvre, malgré ce flou, a été laissé à la seule appréciation
de la hiérarchie opérationnelle sur le terrain ». En
clair, les gendarmes ont été placés dans une situation où ils ont
fait usage de la force pour défendre une « zone de vie »
qui ne présentait pas grand intérêt, jusqu’au drame.
De
guerre lasse, la partie civile finit par demander le dessaisissement
de la juridiction toulousaine en
mettant en cause son impartialité, dans une requête en
suspicion légitime déposée le 27 mars à la Cour de cassation.
Cette requête vient d'être rejetée sèchement par la chambre
criminelle le 16 mai, selon des informations obtenues par Mediapart.
La polémique entre Mélenchon et Cazeneuve
sur Rémi Fraisse : 7 réponses pour comprendre
Dimanche
28 mai, le porte-parole de la France insoumise, Jean-Luc
Mélenchon, a mis en cause la responsabilité de Bernard Cazeneuve,
ex-ministre de l’Intérieur, dans la mort de Rémi Fraisse.
Reporterre
fait le point sur l’enquête et les responsabilités judiciaires et
politiques.
1. Où en est l’enquête judiciaire ?
Le
11 janvier, les juges d’instruction toulousaines Anissa
Oumohand et Élodie Billot ont transmis le dossier au procureur,
signe de la clôture de leur enquête. Elles n’ont demandé aucune
mise en examen, le gendarme principalement mis en cause ayant été
placé sous le statut de témoin assisté depuis déjà un an. On
peut donc s’attendre à un non-lieu sur le volet pénal. Mais
auparavant, le procureur de la République de Toulouse doit rendre
ses réquisitions, attendues après les législatives. Selon nos
informations, il s’orienterait lui aussi vers un non-lieu.
2.
Quels sont les recours des parties civiles ?
Le
18 janvier, face au risque de la clôture rapide de l’affaire,
les parties civiles ont décidé avec leurs avocats de lancer une
contre-offensive juridique : d’une part, une plainte pour
« faux
témoignage »
contre les gendarmes ayant été interrogés ; d’autre part,
une seconde plainte pour « subornation
de témoin » qui
vise un des gendarmes-enquêteurs de la section de recherche de
Toulouse. Déjà, l’été dernier, nous
révélions les pressions qu’avaient reçus plusieurs témoins-clefs
lors de leur audition par les gendarmes-enquêteurs.
Ainsi,
Marc, qui décrivait ainsi son audition : « Le
capitaine s’est mis en colère quand je lui ai expliqué que, la
nuit de la mort de Rémi, j’ai vu arriver des gendarmes qui
prenaient position en dehors de la zone de vie du chantier. »
Cet élément-clef qui remettait en cause les circonstances de la
mort du jeune Rémi Fraisse, l’enquêteur refusa tout bonnement de
l’intégrer au procès-verbal de l’audition dans lequel il
prenait par ailleurs soin d’ajouter des éléments pour discréditer
le témoignage.
À
ce jour, les deux plaintes lancées par les parties civiles n’ont
pas avancé d’un pouce.
- 3. Pourquoi mettre en cause les juges elles-mêmes ?
En
plus des problèmes sur les témoignages recueillis par des gendarmes
dès le départ, c’est au tout au long de la procédure, commencée
en novembre 2014, que les avocats des parties civiles ont fait
face à un refus quasi systématique des juges d’entendre leurs
demandes d’actes, continuellement refusées : reconstitution
des évènements, expertises complémentaires sur les armes
utilisées, audition d’autres manifestants témoins de la scène,
et surtout audition des responsables civils au moment de l’affaire,
à savoir le préfet du Tarn de l’époque, Thierry Gentilhomme, et
son directeur de cabinet, Rémi Mathis, depuis muté en
Nouvelle-Calédonie.
Devant
ces refus des juges d’instruction, des procédures d’appel en
interne ont bien été tentées explique Arié Alimi, l’un des
avocats de la famille, mais à chaque fois « cela passe par
le filtre du président de la chambre d’instruction de Toulouse ».
Comme celui-ci ne donne pas suite, impossible d’étudier de manière
contradictoire les demandes. « Dans une affaire pareille,
c’est du jamais vu », s’indigne l’avocat. D’où la
requête « en renvoi pour suspicion légitime »
contre les juges pour dépayser l’affaire dans une autre
juridiction. La Cour de cassation a rejeté ce recours le 16 mai
dernier jugeant qu’il n’y avait « pas de motif de
renvoi ». En revanche, on attend toujours la réponse de la
même Cour qui doit s’exprimer sur les positions tranchées du
président de chambre d’instruction de Toulouse.
4.
Pourquoi Jean-Luc Mélenchon a-t-il pointé la responsabilité de
Bernard Cazeneuve ?
Bernard
Cazeneuve était ministre de l’Intérieur au moment du drame. Une
conclusion de la
grande enquête menée par Reporterre
sur la mort de Rémi Fraisse était que la responsabilité du
ministère de l’Intérieur et de Matignon était engagée. Le drame de
Sivens est avant tout lié au déploiement d’opérations de
« rétablissement
de l’ordre »,
dans un contexte civil avec l’usage d’armes de guerre, comme la
grenade offensive F1 qui a tué Rémi Fraisse. L’arme, dont
l’utilisation a été ultérieurement suspendue par Bernard
Cazeneuve, est interdite depuis le 11 mai dernier. Mais il est
faux de dire qu’on ignorait auparavant sa dangerosité, puisque
c’était déjà ce type de grenade qui avait tué Vital Michalon, à
Creys-Malville, en 1977. Nous avions mis en évidence autres éléments
de responsabilité, que le défenseur des Droits, Jacques Toubon, a
confirmé dans son
rapport sur le maintien de l’ordre publié en décembre 2016.
Il
y fait état d’un « manque de clarté et les
incompréhensions entourant les instructions données aux forces de
l’ordre par l’autorité civile » et
considérait que l’absence de cette autorité civile le soir des
évènements, dans « une situation tendue et violente, n’est
pas admissible ». On ne sait toujours pas à ce jour si les
consignes données étaient celles de la « fermeté »
ou « de l’apaisement ».
L’autorité
civile, ce sont en premier lieu les responsables locaux, le préfet
et son directeur de cabinet, absents ce soir-là de la zone. Mais ils
rendent compte au directeur général de la Gendarmerie nationale
(DGGN), Denis Favier, qui est sous les ordres du ministre de
l’Intérieur. Or, plusieurs éléments attestent que des
informations du terrain parvenaient directement à Paris au cours de
la journée du 25 octobre. Bernard Cazeneuve et même Manuel
Valls, pour qui le barrage
de Sivens était très important, ne pouvait donc ignorer le
déroulement des opérations à Sivens. Surtout, au-delà de la seule
nuit du 25 octobre, le ministre de l’Intérieur ne pouvaient
pas ignorer le déroulement des opérations engagées durant les mois
de septembre et d’octobre, comportant de nombreuses exactions
injustifiées de gendarmes mobiles sur des manifestants, comme en
témoigne l’affaire de la caravane dans
laquelle avait été lancée une grenade assourdissante.
5.
Rémi Fraisse a-t-il été assassiné ?
Pour
qu’il y ait assassinat, il faut qu’il y ait meurtre avec
préméditation. Or, rien ne permet d’affirmer que les gendarmes
avaient l’intention de tuer un manifestant ce jour-là, ceux-ci
affirmant qu’il s’agit d’un accident. Mardi 30 mai, dans
la
conférence de presse qu’il
a tenue, Jean-Luc Mélenchon a d’ailleurs accepté de retirer
le mot d’assassinat, « mal
calibré »,
pour choisir celui « d’homicide »,
qui n’inclut pas la préméditation. Il précise : « Je
n’accuse pas M. Cazeneuve d’être venu lui-même assassiner
quelqu’un. »
Ce
n’est pas pour autant que le terme d’assassinat, même s’il
peut être mal choisi, n’a pas de sens politique. Dans les
manifestations de réaction à la mort de Rémi Fraisse, comme dans
celles, plus récentes, suivant la mort d’Adama Traoré ou dans le
cortège de tête contre la loi Travail, le mot d’ordre
« d’assassin » est revenu régulièrement,
scandé et en slogan. Pour les manifestants, c’est une manière de
remettre au premier plan les responsabilités politiques dans
l’organisation du maintien de l’ordre et de considérer que
l’usage de la violence par les forces de l’ordre n’était, à
ce moment-là, pas légitime. Dans cette logique, il ne s’agit pas
d’un « accident », si l’on considère les
moyens déployés en maintien de l’ordre sur place pendant des
semaines, qui faisaient craindre à des militants que « tout
cela va finir par un mort ».
C’est
sur ce terrain politique que le candidat insoumis tente de porter le
débat : « Si
monsieur Cazeneuve estime qu’il est juste de me faire un procès en
diffamation, je l’invite à le faire. De cette façon, nous
pourrons, devant un prétoire, enfin prendre tous les éléments,
toutes les pièces, du dossier, des
conditions dans lesquelles Rémi Fraisse est mort ».
La
France insoumise est par ailleurs bien placée pour comprendre les
enjeux du dossier puisque Claire Dujardin, l’une des avocates des
familles, est la candidate aux législatives pour la France insoumise
dans la 1re circonscription de Haute-Garonne.
6.
L’affaire Fraisse est-elle close ?
La
probabilité de voir une quelconque condamnation sur le volet pénal
est aujourd’hui très mince, mais l’affaire Fraisse pourrait
rebondir devant le tribunal administratif. C’est lui qui pourra,
une fois purgées les questions pénales, établir les
responsabilités de l’État en tant que dépositaire de l’ordre
public. Mais les familles envisagent également de porter la question
devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). En effet,
dans une affaire qui a fait jurisprudence, la CEDH avait estimé
nécessaire de « prendre en considération non seulement les
actes des agents de l’État qui y ont eu recours, mais également
l’ensemble des circonstances de l’affaire, notamment la
préparation et le contrôle des actes en question », des
actes et ordres qui restent toujours introuvables malgré les
2.000 pages du dossier d’enquête.
Par
ailleurs, outre la menace de Bernard Cazeneuve en réaction à la
déclaration de Jean-Luc Mélenchon, l’avocat du gendarme encore
mis en cause, Me Jean Tamalet, a déclaré au Parisien, lundi
29 mai, qu’il envisageait de porter plainte pour diffamation
lui aussi si M. Mélenchon ne retirait pas ses propos. À voir
si, au regard des dernières déclarations, celle-ci sera suivie ou
non.
7.
Et dans le Tarn, que devient le barrage de Sivens ?
Après
la mort de Rémi Fraisse, les travaux ont été suspendus puis
définitivement arrêtés à l’expulsion de la ZAD au
printemps 2015. La zone humide du Testet, détruite par le
chantier initial, n’est à ce jour toujours pas réhabilitée, mais
les rencontres ont débuté pour élaborer un projet de territoire.
Un nouveau volet dans l’histoire de Sivens, qui tente d’associer
tous les acteurs, y compris avec un collège de 14 citoyens tirés au
sort au sein des habitants du bassin versant du Tescou. Si les élus
du Tarn se veulent rassurants sur la volonté de prendre en compte
l’ensemble des besoins locaux, le contexte reste tendu, avec des
menaces régulières sur des opposants au projet de barrage. Le
projet de territoire, nom de cette nouvelle démarche, sera encadré
par des facilitateurs de l’école d’ingénieurs Aderprina/API
AgroParisTech. Une première réunion s’est déroulée le 10 mars
avec une nouveauté : contrairement au silence et à la
discrétion qui régnaient pendant toute la procédure du projet
initial, un compte-rendu est disponible en ligne publiquement sur
le site du conseil général.
Photos :
. chapô : Sur le site du projet de barrage de Sivens, en septembre 2014. Flickr (Metronews Toulouse/CC BY-NC-ND 2.0)
. Rémi Fraisse : Flickr (thierry ehrmann/CC BY 2.0)
. Vital Michalon : Wikipedia (Yann Forget/CC-BY-SA-3.0)
. Gendarmes assassins : Flickr (guy masavi/CC BY-SA 2.0)
. Gazad : Flickr (guy masavi/CC BY-SA 2.0)
. Aujourd’hui : © Grégoire Souchay/Reporterre
. chapô : Sur le site du projet de barrage de Sivens, en septembre 2014. Flickr (Metronews Toulouse/CC BY-NC-ND 2.0)
. Rémi Fraisse : Flickr (thierry ehrmann/CC BY 2.0)
. Vital Michalon : Wikipedia (Yann Forget/CC-BY-SA-3.0)
. Gendarmes assassins : Flickr (guy masavi/CC BY-SA 2.0)
. Gazad : Flickr (guy masavi/CC BY-SA 2.0)
. Aujourd’hui : © Grégoire Souchay/Reporterre
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