A Porte de la Chapelle,
« on vit comme des animaux »
—
Paris, le 23 juin 2017. Migrants porte de la Chapelle devant le centre humanitaire.
Photo Albert Facelly pour Libération
Plus de deux mois après son évacuation, le campement sauvage du nord de Paris a réapparu. Faute de place en centre d’hébergement, les réfugiés doivent survivre dans des conditions indignes.
Sept heures du matin, porte de la Chapelle, dans le nord
de Paris. Une cinquantaine de réfugiés patientent déjà en silence le
long de la grille du centre de premier accueil, sous le regard
impassible des gendarmes. Les yeux mi-clos, ils somnolent debout en
attendant l’ouverture de l’établissement humanitaire. Chaque matin, dans
la file, c’est la loterie : le personnel du centre sélectionne et
accueille une poignée d’entre eux en fonction des places vacantes, puis
les redirige ensuite vers des centres d’hébergement plus pérennes. Mais
ce vendredi, le flux et le reflux du centre sont comme suspendus.
« Ça fait trois jours que plus personne n’entre », constate Qusat, qui dort sur la chaussée d’en face. Pour ce Soudanais de 24 ans, le même scénario se répète depuis des semaines : chaque matin, il rejoint la grille avec son groupe vers 3 heures. Ensemble, ils se fondent dans la queue déjà dense et patientent pendant d’interminables heures. Puis, « vers 8 h 30, les policiers s’approchent et nous dispersent en nous aspergeant de gaz lacrymogène », souffle le jeune demandeur d’asile, qui s’inquiète de passer une énième nuit dehors.
Plus de deux mois après son évacuation, le campement sauvage de la porte de la Chapelle renaît de ses cendres. Déchets, sacs de couchage à même le sol, vêtements suspendus aux branches basses des bosquets… Faute de places suffisantes dans les centres d’hébergement, les exilés improvisent à nouveau des installations sommaires sur les parcelles de terre battue qui séparent les voies du périphérique. Les conditions de vie y sont déplorables. Pas de toilettes, pas d’accès à l’eau courante… « On vit comme des animaux ! » s’exclame El Fatih Mohamed, sous le regard abattu de ses amis soudanais.
Les températures caniculaires n’arrangent rien à la situation. En début de semaine dernière, Kenté, originaire de Guinée-Conakry, a été hospitalisé à la suite d’un malaise dans la foule. « J’espère qu’au centre, ils tiendront compte de mes maux de tête et me trouveront une place », confie le jeune homme, qui est revenu à La Chapelle sitôt sorti de l’hôpital. Face à l’urgence sanitaire, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a adressé le vendredi 16 juin une lettre au gouvernement. Elle y plaide pour l’ouverture de nouveaux centres de premier accueil dans les métropoles régionales françaises, faute de quoi « plusieurs milliers de personnes seraient contraintes de vivre dans ces conditions indignes au sein de la capitale au cœur de l’été ».
En guise de réponse, le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, a seulement mentionné qu’aucun établissement ne sera ouvert à Calais, tout en assurant qu’il présentera d’ici quinze jours un nouveau « plan » au président de la République, « pour traiter le problème de l’asile de manière plus facile qu’aujourd’hui ».
Une heure passe à La Chapelle, rien ne bouge. Des membres de l’association Utopia 56 rejoignent les jeunes migrants, qui commencent à perdre patience. « Depuis deux semaines, on ne voit que des Afghans rentrer dans le centre », lance Qusat, qui se rappelle de « fortes bousculades » avec eux les jours précédents. Pour Yann Manzi, le vice-président de l’association, ces réactions emportées sont compréhensibles car le mode d’attribution des places est arbitraire. Pire, il favorise selon lui « la loi du plus fort, au lieu de laisser entrer les personnes dignement ». A la place, l’association a déjà proposé à la mairie de Paris d’organiser des rendez-vous individualisés qui permettraient de désengorger les abords du centre en douceur. Mais à chaque fois, cette option se heurte « aux refus de la préfecture ».
Erythréens, Soudanais, Afghans, Centrafricains… Alignés le long du grillage, ils ont déjà tenté leur chance en Allemagne, en Italie ou en Norvège avant d’atterrir dans le chaos migratoire de La Chapelle. Pour certains, une première demande d’asile a été enregistrée dans l’un de ces pays. Mais faute de réponse, ils retentent leur chance ici.
Pour d’autres, la demande d’asile a été rejetée. Face à la diversité des profils de réfugiés, les membres d’Utopia 56 s’activent dans la queue pour éclairer les migrants sur les procédures à suivre. « Ces jeunes sont en pleine errance administrative », explique Yann Manzi, qui dénonce le fonctionnement de l’établissement d’accueil, devenu pour lui un « centre de tri ». « On les fait entrer dans ce centre, et quand on voit qu’ils sont "dublinés", on les renvoie chez nos voisins européens ». Car en vertu du règlement de Dublin III, chaque réfugié doit demander l’asile dans le pays où ses empreintes ont été enregistrées. « C’est une aberration, poursuit Yann Manzi. Des pays frontaliers comme l’Italie et la Grèce ne peuvent pas accueillir tous les demandeurs d’asile. »
Il est 8 h 30. « C’est mort les gars, lance le directeur de l’association. Ils ne laisseront entrer personne aujourd’hui. » La rumeur circule dans la queue. Au compte-gouttes, les migrants se dispersent lentement et regagnent leurs sacs de couchage, abandonnés à l’aube de l’autre côté de la route. Les mains agrippées à la barrière, trois jeunes Somaliens persistent. S’ils n’arrivent pas à avoir une place aujourd’hui, cela signifie qu’ils passeront un nouveau week-end à la rue. « Peut-être qu’ils en font rentrer cet après-midi ? » demande T. aux deux autres, le regard tourné vers la colonne de gendarmes mobiles. « Mieux vaut rester, on ne sait jamais. »
Photos Albert Facelly
« Ça fait trois jours que plus personne n’entre », constate Qusat, qui dort sur la chaussée d’en face. Pour ce Soudanais de 24 ans, le même scénario se répète depuis des semaines : chaque matin, il rejoint la grille avec son groupe vers 3 heures. Ensemble, ils se fondent dans la queue déjà dense et patientent pendant d’interminables heures. Puis, « vers 8 h 30, les policiers s’approchent et nous dispersent en nous aspergeant de gaz lacrymogène », souffle le jeune demandeur d’asile, qui s’inquiète de passer une énième nuit dehors.
Arbitraire
Plus de deux mois après son évacuation, le campement sauvage de la porte de la Chapelle renaît de ses cendres. Déchets, sacs de couchage à même le sol, vêtements suspendus aux branches basses des bosquets… Faute de places suffisantes dans les centres d’hébergement, les exilés improvisent à nouveau des installations sommaires sur les parcelles de terre battue qui séparent les voies du périphérique. Les conditions de vie y sont déplorables. Pas de toilettes, pas d’accès à l’eau courante… « On vit comme des animaux ! » s’exclame El Fatih Mohamed, sous le regard abattu de ses amis soudanais.
Les températures caniculaires n’arrangent rien à la situation. En début de semaine dernière, Kenté, originaire de Guinée-Conakry, a été hospitalisé à la suite d’un malaise dans la foule. « J’espère qu’au centre, ils tiendront compte de mes maux de tête et me trouveront une place », confie le jeune homme, qui est revenu à La Chapelle sitôt sorti de l’hôpital. Face à l’urgence sanitaire, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a adressé le vendredi 16 juin une lettre au gouvernement. Elle y plaide pour l’ouverture de nouveaux centres de premier accueil dans les métropoles régionales françaises, faute de quoi « plusieurs milliers de personnes seraient contraintes de vivre dans ces conditions indignes au sein de la capitale au cœur de l’été ».
En guise de réponse, le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, a seulement mentionné qu’aucun établissement ne sera ouvert à Calais, tout en assurant qu’il présentera d’ici quinze jours un nouveau « plan » au président de la République, « pour traiter le problème de l’asile de manière plus facile qu’aujourd’hui ».
Une heure passe à La Chapelle, rien ne bouge. Des membres de l’association Utopia 56 rejoignent les jeunes migrants, qui commencent à perdre patience. « Depuis deux semaines, on ne voit que des Afghans rentrer dans le centre », lance Qusat, qui se rappelle de « fortes bousculades » avec eux les jours précédents. Pour Yann Manzi, le vice-président de l’association, ces réactions emportées sont compréhensibles car le mode d’attribution des places est arbitraire. Pire, il favorise selon lui « la loi du plus fort, au lieu de laisser entrer les personnes dignement ». A la place, l’association a déjà proposé à la mairie de Paris d’organiser des rendez-vous individualisés qui permettraient de désengorger les abords du centre en douceur. Mais à chaque fois, cette option se heurte « aux refus de la préfecture ».
« C’est mort les gars »
Erythréens, Soudanais, Afghans, Centrafricains… Alignés le long du grillage, ils ont déjà tenté leur chance en Allemagne, en Italie ou en Norvège avant d’atterrir dans le chaos migratoire de La Chapelle. Pour certains, une première demande d’asile a été enregistrée dans l’un de ces pays. Mais faute de réponse, ils retentent leur chance ici.
Pour d’autres, la demande d’asile a été rejetée. Face à la diversité des profils de réfugiés, les membres d’Utopia 56 s’activent dans la queue pour éclairer les migrants sur les procédures à suivre. « Ces jeunes sont en pleine errance administrative », explique Yann Manzi, qui dénonce le fonctionnement de l’établissement d’accueil, devenu pour lui un « centre de tri ». « On les fait entrer dans ce centre, et quand on voit qu’ils sont "dublinés", on les renvoie chez nos voisins européens ». Car en vertu du règlement de Dublin III, chaque réfugié doit demander l’asile dans le pays où ses empreintes ont été enregistrées. « C’est une aberration, poursuit Yann Manzi. Des pays frontaliers comme l’Italie et la Grèce ne peuvent pas accueillir tous les demandeurs d’asile. »
Il est 8 h 30. « C’est mort les gars, lance le directeur de l’association. Ils ne laisseront entrer personne aujourd’hui. » La rumeur circule dans la queue. Au compte-gouttes, les migrants se dispersent lentement et regagnent leurs sacs de couchage, abandonnés à l’aube de l’autre côté de la route. Les mains agrippées à la barrière, trois jeunes Somaliens persistent. S’ils n’arrivent pas à avoir une place aujourd’hui, cela signifie qu’ils passeront un nouveau week-end à la rue. « Peut-être qu’ils en font rentrer cet après-midi ? » demande T. aux deux autres, le regard tourné vers la colonne de gendarmes mobiles. « Mieux vaut rester, on ne sait jamais. »
Photos Albert Facelly
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