Nucléaire : vent debout contre la «poubelle de Bure»
Le mur entourant le site démantelé dimanche par les opposants. Photo Albert Facelly pour libération |
Des centaines de militants se sont mobilisés, ce week-end, dans la Meuse, sur le site du projet d’enfouissement de déchets radioactifs.
Dimanche, 11 h 15, face à la mairie de Mandres-en-Barrois, petit village de 130 habitants, voisin de celui de Bure et situé dans la Meuse. Plusieurs dizaines de personnes dansent devant une enceinte crachant Eye of the Tiger. Le visage dissimulé derrière des masques d’animaux découpés dans des assiettes en carton, les manifestants s’égosillent au rythme de la musique : « Andra, dégage, résistance et sabotage ! » Andra ? C’est l’Agence nationale pour la gestion des déchets nucléaires, chargée, dans le département du projet dit « Cigéo » (centre industriel de stockage géologique), et rebaptisé « poubelle nucléaire » par ses opposants. L’idée : enterrer à 500 mètres sous terre les déchets les plus radioactifs et ceux ayant la durée de vie la plus longue du parc nucléaire français.
Un projet en gestation depuis deux décennies, mais contre lequel la lutte des « antis » a trouvé, il y a quelques mois, un nouveau souffle. Galvanisés au printemps par les premiers coups de pelleteuse dans le bois Lejuc, entre Bure et Mandres, ils ont été confortés début août par la décision du tribunal de grande instance de Bar-le-Duc (Meuse), qui a suspendu les travaux, jugeant nécessaire une autorisation préfectorale. Pour ce week-end du 15 août, le collectif « Sauvons la forêt », qui rassemble divers groupes et associations, a donc lancé un appel à la mobilisation, afin de « continuer à mettre un coup de pression », explique Nicolas (1), casquette Gavroche sur la tête, peu avant le début du rassemblement.
A la place de cette forêt, ancien bois communal acheté par l’Andra, devrait se trouver une partie de l’infrastructure destinée à l’aération des souterrains (voir page 3). Dimanche après-midi, c’est sur ce site que la manifestation, partie de Mandres, emmène les protestataires, groupés derrière un tracteur qui ouvre la voie. Après une heure de marche en plein soleil, le cortège de 300 à 400 personnes découvre le bois, et surtout le mur de béton de deux mètres de haut - jugé illégal par la justice - qui l’entoure partiellement. « La symbolique du mur, c’est écœurant », tempête Sylvain (1), l’un des porte-parole du mouvement.
Gendarmes absents
En chantier depuis juillet, l’enceinte fait partie du dispositif mis en place pour protéger le lieu, avec, normalement, la présence 24 heures sur 24 de gendarmes mobiles et de vigiles. Sauf que la veille, le collectif a été « pris de court » par le départ de ces derniers, laissant grand ouvert le portail en ferraille vert à l’entrée de la forêt. « On sait pas ce qui se passe », avoue Sylvain. Après l’évacuation, au début de l’été, de dizaines d’opposants qui occupaient le bois, le collectif n’avait plus pu y pénétrer. Et s’attendait donc, ce week-end, à un face à face pacifique en lisière de forêt. Jamais ils n’avaient envisagé pouvoir y pénétrer.
Un peu dépassés par le changement de programme, les membres du collectif n’ont pu empêcher, samedi, quelques dégradations - tags, sanitaires mobiles renversés, cabane de travaux incendiée. Au grand dam de Sylvain : « Si on décide de faire quelque chose, il faut que ce soit un acte politiquement fort, pas comme ça. » C’est finalement la destruction du mur qui est décidée, et entamée dimanche. Au même moment, « l’équipe bleue » - comprendre, les forces de l’ordre - se contente d’observer depuis leur hélicoptère.
Pendant que certains entreprennent de casser le mur, Cécile, un peu à l’écart, regrette qu’à Bure, « comme dans tous les projets toxiques, on donne des échéances lointaines pour empêcher les citoyens, plus sensibles aux actions immédiates, de s’en emparer ». La mise en service de Cigéo est en effet prévue pour 2025 et officiellement les gros travaux ne démarrent pas avant quelques années. Quant à l’acheminement des déchets par voie ferroviaire, il devrait durer plus d’un siècle. « Une ampleur démentielle », souligne Laura, du collectif «Sortir du nucléaire». D’autant que pour Cécile, quadra originaire de Nice et ingénieure en géologie, « les certitudes n’existent pas dans le domaine des sciences de la terre. Cacher ces déchets contribue à nous faire nous sentir moins coupable, c’est tout… » Pour Charlotte, elle aussi du réseau « Sortir du nucléaire », « on a l’impression que le nucléaire n’est qu’un objet de bisbille entre les écolos et le PS. On oublie que ça concerne tout le monde. Et ce n’est pas parce qu’on n’a pas d’alternative immédiate qu’il faut s’empêcher d’être contre Cigéo ».
Parmi les inquiétudes des opposants : la potentielle dangerosité des émanations de gaz qui remonteront en surface, la contamination des nappes phréatiques ou encore l’évolution des déchets auxquels, dans un peu plus d’un siècle, plus personne n’aura accès. Une non-réversibilité qui inquiète David Corman, secrétaire national d’Europe Ecologie-les Verts, présent à Mandres dimanche pour l’« un des premiers rassemblements après la décision prise de façon très cavalière par l’Assemblée nationale d’autoriser Cigéo ».
« Projet effrayant »
La proposition de loi a été adoptée début juillet, au lendemain de la finale de l’Euro de foot, en présence d’une vingtaine de députés seulement. Deux mois plus tôt, le Sénat avait donné son feu vert à un projet dont le coût estimé oscille entre 25 et 40 milliards d’euros.
Samedi, dans le bois où s’étaient réunis quelques dizaines de militants, Florence Lamaze, secrétaire régionale d’EE-LV, s’élevait, elle, contre « le sacrifice d’une région complète » par ce « projet effrayant ». Car personne n’est dupe. Si l’Andra a finalement choisi de s’implanter dans la Meuse - après avoir envisagé d’autres possibilités -, c’est parce que la résistance y a été moins forte qu’ailleurs. Et pour cause : « Ici, on est dans un trou », reconnaît Claude, venu en voisin de Saint-Dizier (Haute-Marne).
A Bure ou Mandres, la densité de la population ne dépasse pas, en effet, sept habitants au kilomètre carré. Dès lors, le noyau dur de la contestation vient d’ailleurs. Plusieurs dizaines d’opposants vivent ainsi de façon plus ou moins permanente à la « Maison de la résistance à la poubelle nucléaire de Bure », ou ont planté leur tente sur le site de l’ancienne gare de Luméville, un village voisin. Certains sont passés par Nuit Debout, d’autres par Notre-Dame-des-Landes ou Sivens. Pour autant, ici, l’appellation « ZAD » - zone à défendre - ne fait pas l’unanimité. « Pour la bonne raison qu’il n’y a pas un endroit unique à défendre, mais tout un territoire », selon Nicolas. Et de pester contre certains élus du coin, « achetés ». Même si, d’après lui, certains commencent à changer d’avis.
(1) Les prénoms ont été changés.
Source : http://www.liberation.fr/france/2016/08/14/nucleaire-vent-debout-contre-la-poubelle-de-bure_1472400?xtor=EPR-450206&utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=quot
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