On a reçu ça :
LE DEVOIR 18 juillet 2016 |Fabien
Deglise |
S’il fallait une nouvelle preuve, la voici :
l’attentat odieux perpétré au camion lors des festivités du
14 juillet à Nice n’a pas pu être évité, même s’il s’est
joué dans la ville la plus vidéosurveillée de France.
Depuis 2010, en effet, sous la houlette de l’ex-maire de
l’endroit, Christian Estrosi, un conservateur proche de
Sarkozy et chantre comme lui du discours hypersécuritaire,
1250 caméras y ont été installées, transformant le quotidien
des 340 000 Niçois en véritable Truman
Show (vous savez, le film). Un excès de
surveillance cultivé au nom d’une sécurité et qui
aujourd’hui, encore plus qu’hier, ne s’avère rien de plus
qu’un triste leurre.
Surveiller sans relâche, au mépris du respect de la vie
privée, pour plus de sécurité : le discours
ultrasécuritaire a aussi été percuté par un poids lourd jeudi
soir dans le sud huppé de la France, où, malgré la présence
d’une caméra pour 277 habitants, un homme a réussi à déjouer le
regard des 70 fonctionnaires du Centre de supervision urbain
(CSU) de Nice — nom donné au service de vidéosurveillance —,
approcher le périmètre fermé de la promenade des Anglais, puis
accélérer pour emporter dans la mort plus de 80 innocents, dont
plusieurs enfants, et en placer une cinquantaine d’autres à la
lisière de la vie.
En matière de tromperies nourries par la
politique de la peur, Nice ne manquait d’ailleurs pas
d’illustrations affligeantes : ville française avec le
plus gros parc de caméras en milieu urbain, le plus gros
effectif de policiers municipaux, une milice citoyenne formée
de 520 personnes à la « moralité vérifiée », elle n’en
demeure pas moins au 401e rang des 408 métropoles de France
pour les crimes contre la propriété et contre la personne. Et désormais au premier rang des villes de France ayant subi
une attaque de civils au camion.
Une promesse non tenue
Le paradoxe en amène un autre : les atteintes
portées aux libertés individuelles par la surveillance de
masse reposent bel et bien sur une promesse de sécurité, de
protection, de défense du confort des masses, qui, malgré la
conviction des politiques portées comme des dogmes par une
frange grandissante de populistes, est loin de se réaliser. Nice
jeudi. Orlando avant. L’aéroport d’Istanbul, Bruxelles, Paris
également, tout comme le quintuple assassinat de policiers à
Dallas début juillet — et maintenant la fusillade mortelle de
Baton Rouge —, ou les attaques contre des militaires à
Saint-Jean-sur-Richelieu ou Ottawa en 2014. Chaque fois, les
programmes de surveillance posés par les gouvernements comme
gage de sécurité, autant dans les univers numériques que dans
les rues par des caméras, n’ont pas réussi à anticiper
l’horreur et à en changer la sinistre trajectoire.
Tout au plus, leur défaillance vient surtout nourrir la bête. Au
lendemain de l’attentat de Nice, le parti conservateur français,
Les Républicains, a réclamé une modification de la loi pour
autoriser la reconnaissance faciale automatique par
vidéosurveillance. Ainsi, en passant devant une caméra, le
citoyen dévoilerait plus qu’un visage : il livrerait aussi aux
autorités un pedigree, une adresse, un numéro de téléphone, une
date de naissance… Une autre intrusion dans l’intimité des
citoyens qui, on s’en doute, face à l’ingéniosité du désespéré,
ne peut être encore une fois rien de plus qu’un autre leurre.
Liberté menacée
S’il y a une chose sur laquelle la surveillance de masse ne
ment pas, c’est finalement les dérives liberticides et l’érosion
des fondements de la démocratie qu’elle apporte. On se
souviendra qu’en 2013, dans la foulée des révélations d’Edward
Snowden, ex-analyste des services secrets américains, sur la
surveillance institutionnalisée des communications numériques des
citoyens des États-Unis et d’ailleurs, plus de 500
intellectuels, dont 5 Prix Nobel, ont signé une pétition pour
rappeler qu’une « société sous surveillance n’est plus une démocratie » et « qu’une personne sous surveillance n’est plus libre ». Selon
eux, surveillé, l’humain s’autocensure, il perd sa créativité,
il est craintif et soumis. Il laisse également sa pensée
s’homogénéiser, il craint les idées minoritaires, il se perd
dans des cadres moraux de plus en plus étriqués, à en croire une
récente étude de la Wayne State University sur les
environnements surveillés et leur capacité à cultiver et à
rétrécir les consensus. La surveillance de masse n’est pas une
source de sécurité, mais plutôt de conformisme, de lissage,
d’éradication des aspérités…
Dans les heures qui ont suivi le drame de Nice,
un témoin a parlé d’une sombre « configuration
de l’horreur », pour résumer l’attaque et
ses conséquences. Étrangement, il aurait très bien pu le
faire pour évoquer cette surveillance passive à la sauce
niçoise qui, couplée à la montée des populismes, à la peur
induite par le terrorisme et au rétrécissement du spectre
des idées, des perspectives et des points de vue que tout
cela induit, est en train de configurer un avenir obscur
dans lequel entrer est tout sauf réjouissant.
Autant à pied,
en voiture qu’en camion.
Ce blog rassemble, à la manière d'un journal participatif, les messages postés à l'adresse lemurparle@gmail.com par les personnes qui fréquentent, de près ou de loin, les cafés repaires de Villefranche de Conflent et de Perpignan.
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