Note de lecture :
« L’âge des LOW TECH », de Philippe Bihouix,
édité par Seuil - 2014,
Vers une civilisation techniquement soutenable
Après « Quel futur pour les métaux ? »,
édité en 2010, et le chapitre 4 de l’ouvrage collectif « Penser la
décroissance », dirigé par Agnès Sinaï, où il invoque déjà la remise à
l’honneur de « basses technologies », Philippe Bihouix explore
l’ensemble des comportements économiques soutenables dans « L’âge des LOW
TECH ». Par
« soutenables », il faut entendre à la fois généralisables à toute
l’humanité et durables dans le temps au fil des générations. J’ai trouvé dans
ce livre une mise en ordre experte de différents problèmes que j’essaie de
soulever depuis plusieurs années de colloques en articles. C’est dire mon
bonheur et mon soulagement.
Voici enfin, dans la perspective d’une transition
écologique inévitable qui soit en même temps possible, voire désirable, un vrai
programme d’orientation des différentes activités humaines tenant compte à la
fois des limites de la planète (énergétiques, minières, biologiques,
temporelles), des contraintes générées par le partage des ressources entre 7
milliards d’habitants (ceux qui préfèreront la guerre la perdront de toute
façon), et des handicaps cachés des nouvelles technologies (nommées High Tech
pour faire moderne), censées nous permettre de concilier l’inconciliable, à
travers la croissance « verte », les irrésistibles progrès de la
science, la substituabilité des facteurs et des processus de production par
l’innovation permanente, et autres mantras répétés par les grands prêtres de la
religion dominante.
Au sujet de l’énergie, nous avons une fâcheuse
tendance à ne prendre en compte que l’énergie que nous consommons directement.
Or l’énergie « grise », demandée par l’extraction des matériaux, leur
transport, la production des biens, y compris celle nécessitée par la
construction des outils de production eux-mêmes, les emballages, les
livraisons, est parfois bien plus importante. Certains immeubles réclament pour
leur construction des dizaines de fois l’énergie consommée par saison de
chauffe. Cette énergie « grise » peut d’ailleurs être mise en jeu en
Chine ou ailleurs, et, quand on intègre les importations et exportations dans
les calculs, le bilan-carbone de la France est beaucoup moins reluisant.
Quant aux limites minières, l’équation est simple.
Comme nous avons d’abord puisé dans les gisements les plus riches et les plus
accessibles, la concentration des métaux recherchés baisse au rythme de notre
consommation exponentielle, ce qui exige donc de plus en plus d’énergie pour
l’extraction. Le pic énergétique des ressources fossiles, déjà amorcé, va donc
provoquer par ricochet un pic de toutes les extractions, mais les métaux les
plus abondants, comme le fer et l’aluminium, garderont une disponibilité plus
soutenable. D’où l’intérêt de « basses technologies », pas
forcément issues des siècles passés, mais incluant le moins possible de terres
rares et de composants électroniques, dont le recyclage est par ailleurs quasi
impossible à cause de la façon très désinvolte avec laquelle on les utilise.
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Les limites biologiques frappent évidemment certaines
énergies renouvelables. Le bois, déjà manquant en Afrique, ne suffirait pas à
nous chauffer selon notre train de vie actuel. Je tremble quand j’entends
parler de projets de chaufferies consommant par an 100.000 tonnes de bois
coupées dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres pour faire de
l’électricité, dont une partie
sera gaspillée en chauffage, pour lequel une calorie émise au final exige trois
calories d’énergie primaire. A-t-on oublié que les Européens se sont tournés
vers le charbon fossile parce que toutes les forêts exploitables avaient été
rasées, alors que l’industrie était à peine naissante ? Philippe Bihouix
n’hésite pas à nous livrer des évaluations planétaires, qui, si elles ne sont
pas strictement exactes à la troisième décimale, ont l’avantage de nous
confronter à des ordres de grandeur qui borneront très vite notre avidité.
Il n’oublie pas non plus de soulever la question du
renouvellement des équipements dans la durée, que ce soit les téléphones
portables, les utilisations récurrentes qui consomment des métaux sans espoir
de recyclage (peintures, encres, alliages complexes), ce qui en épuise d’autant
plus vite les réserves, ou les gros équipements, comme les centrales nucléaires
(qu’il ne défend aucunement), mais aussi les très grandes éoliennes, en passant
par l’industrie automobile, qui n’utilise que de l’acier de première fonte.
L’auteur reprend toutes ces observations au niveau de la vie quotidienne pour,
après avoir bien posé les limites, explorer les différents aspects d’un mode de
vie possible, généralisable, durable, et qui reste séduisant.
Il n’oublie pas de rappeler que le retour à un passé
sans machines et sans technique n’est plus possible à sept milliards. N’en
déplaise aux « luddites », le simple objectif d’un vélo pour chacun
implique le maintien d’une industrie dépassant de loin les capacités d’un
forgeron de village, qui sera par contre très bien placé pour en assurer
l’entretien. Il faut aussi admettre que, malgré les incantations sur une
prévention parfaite qui réduirait le besoin à rien, peu de gens sont prêts à
renoncer au fauteuil du dentiste, ce qui implique le maintien de productions
assez complexes, qui pourra se payer par l’abandon de filières pas vraiment
utiles mais concurrentes sur le plan des ressources.
En bref, tous les aspects de notre relation à la
planète sont passés en revue, de l’utilisation des terres agricoles à celle des
intrants versus main d’œuvre, du stockage de la nourriture aux bouteilles
consignées, des tendances urbanistiques aux matériaux de construction, des
modes de transport doux à de nouvelles pratiques touristiques, d’une réduction
du temps de travail à une vie culturelle à plus faible empreinte écologique
mais plus excitante. Bien sûr, tout ceci nécessite une politique beaucoup plus
volontariste, mais certaines décisions qui ne pourront être prise qu’au niveau
de l’Etat passeront bien mieux si elles vont dans le même sens que les
initiatives des collectivités locales, ou les changements de pratique des
citoyens.
Les pistes d’un avenir possible et heureux dans la
sobriété sont ouvertes dans tous les domaines. C’est pourquoi, d’où qu’on
parte, il est passionnant et tonifiant de lire et faire lire ce livre.
Jean Monestier, Le Soler, le 19/05/2014.
Titulaire
d’une maîtrise d’économie auprès de l’Université de Toulouse.
Artiste-Auteur-Indépendant.
Objecteur de croissance.
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