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A Notre Dame des Landes, on renouvelle la démocratie
EMMANUEL DANIEL (REPORTERRE)
mardi 17 décembre 2013
La Zad est aussi un lieu où l’on recherche à appliquer une vraie démocratie, où chacun et chacune participent vraiment aux décisions, sans représentants. On y parvient, mais ce n’est pas facile. La liberté ne signifie pas l’absence de toute règle.
Reportage, Notre Dame des Landes (Loire-Atlantique)
Dans le volet précédent de ce reportage, les zadistes s’interrogeaient sur l’idée de collectiviser le RSA reçu par certains d’entre eux.
Mais pour appliquer une telle mesure, il faudrait un organe légitime pour prendre des décisions qui s’imposent à tous. Sauf que, pour l’instant, « l’organisation de la ZAD est basée sur des groupes affinitaires, analyse Florian [tous les prénoms ont été changés]. Or on a besoin de structures qui dépassent les affinités, car on ne peut pas être pote avec tout le monde ».
Il existe bien une « réunion habitants » hebdomadaire, où sont discutés les enjeux du moment mais elle n’attire pas les foules. Certains dénoncent une tendance aigüe à la réunionnite, d’autres sont fatigués par les « joutes rhétoriques » qui parasitent les rencontres et les font durer des heures.
Aux assemblées en plénière, de nombreux zadistes préfèrent les regroupements informels, les réunions opérationnelles sur un sujet précis entre gens motivés, de préférence « autour d’une bière ». La gestion du quotidien dépend donc de la bonne volonté de ceux qui s’auto-mandatent pour les questions financières, le ramassage des ordures, l’organisation en cas d’expulsion ou la création d’un potager. Avec plus ou moins de succès selon la pénibilité de la tâche.
Les réunions sont également une occasion d’expérimenter les rapports de pouvoir. « Il y a une attention prêtée à ce que tout le monde puisse s’exprimer. Mais ceux qui savent mieux parler ont plus d’influence », note Camille. Des inégalités de fait qui « bloquent certains qui ont du mal à trouver leurs mots et pensent que les réunions sont réservées à l’élite », estime Jeanne, ancienne infirmière. Malgré tout, elle juge que « la volonté de fonctionner de manière horizontale permet à chacun de donner son avis sans être jugé. J’exprime plus facilement mes envies et ressentis alors qu’avant d’arriver ici, je n’arrivais pas à prendre la parole pendant les réunions ».
Apprendre à gérer la liberté
En l’absence de police, de parents, de politiciens et de patrons, chacun est appelé à se prendre en charge, autant pour assurer sa subsistance que pour ne pas entraver le fonctionnement de la vie en collectif. « Ici, tu as une liberté de ouf, ce n’est pas toujours facile à gérer quand tu n’y a pas été habitué », fait valoir Gildas, arrivé pour un week-end et toujours présent deux ans plus tard. Sur la Zad, les occupants apprennent donc à gérer cette liberté nouvelle ainsi que les responsabilités qui vont avec.
Mais à l’école de l’autogestion, tous ne sont pas logés à la même enseigne car chacun arrive avec dans son cartable le poids des habitudes, bonnes et mauvaises. « Il faut déconstruire pour reconstruire, estime Julie. L’autogestion ça commence par faire soi-même sa vaisselle. Comprendre que c’est pas ta mère qui va passer derrière toi. C’est pas facile, certaines personnes pensent que vu qu’on est sur la ZAD, on peut faire ce qu’on veut, qu’il ne doit pas y avoir de règles ».
Le début d’un nouveau monde ?
Ainsi, certains sont accusés de faire l’école buissonnière dès qu’il s’agit de participer aux tâches collectives. On trouverait d’un côté les bons zadistes, à savoir ceux qui ont une activité, et les mauvais, alcooliques, drogués et inactifs. En d’autres termes, les premiers de la classe et les cancres installés au fond, près du radiateur.
« Certains ont été des consommateurs toute leur vie, avec des chefs qui leurs disent quoi faire et ils attendent ça ici. Ils ont besoin d’une période de transition », lance John qui était « hyper mal dans la société » mais a « réussi à trouver sa place ici ».
Mais le cursus proposé par la ZAD est-il assez long pour permettre de poser les bases d’une société autonome ? Certains en doutent. « L’autogestion et l’autonomie, ce sont des projets qui nécessitent du long terme et là, on est sur du court terme », souligne Fred. Or le temps manque aux zadistes qui vivent dans l’angoisse permanente de l’expulsion.
Cette menace additionnée à la dureté des conditions de vie sur place, a déjà poussé de nombreux zadistes à claquer la porte. Car « vivre sur la ZAD, c’est enrichissant mais éprouvant. On finit par s’oublier », confie Billy qui s’apprête à lever l’ancre, pour la deuxième et sûrement la dernière fois.
D’autant que depuis le printemps et le départ des gendarmes mobiles, les différentes composantes de la lutte n’ont plus en permanence face à eux cet « ennemi commun » qui les réunissait. Certains craignent donc « un pourrissement de la situation » et un regain des tensions, parfois violentes, entre occupants.
ZAD partout
D’autres, comme Jean-Michel, reconnaissent volontiers que la situation sur la ZAD est perfectible. Pour autant, il rappelle qu’il n’existe « pas beaucoup d’endroits en Europe où les gens vivent et travaillent sur un espace autogéré aussi grand. Certes, on est loin d’avoir construit un nouveau monde, mais c’est au moins un embryon. Les paysans du coin sont en train de réfléchir à utiliser les terres de manière collective en cas d’abandon du projet d’aéroport. Sur un coup comme ça, on a gagné dix ans en termes de changement des mentalités ».
Et cette expérience qui marquera à vie les zadistes pourra également inspirer d’autres établissements du même genre qui ne manqueront pas de voir le jour. Car s’il y a bien une chose sur laquelle les zadistes sont d’accord, c’est sur la nécessité de développer ce genre de « zone libérée ». En témoigne le slogan« ZAD partout », tagué à l’envi sur les murs de Notre-Dame des Landes et d’ailleurs.
Source et photo : Emmanuel Daniel pour Reporterre.
Dessin : MCMarco (Carnets NDDL).
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