IVG, le grand retour en arrière espagnol
(MIS À JOUR : )
Des Femen protestent contre le projet de loi limitant le droit à l'avortement, en Espagne, le 23 décembre. (Photo Pierre-Philippe Marcou. AFP)
RÉCIT
Le projet de loi réduisant drastiquement le droit à l’avortement a été approuvé par le gouvernement, et devrait l’être par le Parlement.
«Hypocrite», «intégriste», «sinistre», «rance», «violent», «patriarcal», «dogmatique»… La liste des qualificatifs employés par les associations féministes pour fustiger le projet de loi du gouvernement conservateur de Mariano Rajoy est interminable - une réforme qui, en vertu de la majorité absolue du Parti populaire (PP, droite) au Parlement, ne laisse pas de doute quant à sa prochaine approbation définitive. La Fédération d’associations de santé publique a été jusqu’à le juger «sadique». Selon l’institut de sondage Metroscopia, 53% des Espagnols appuient l’actuelle législation progressiste, contre 37% favorables au projet du PP. Seule une modification annoncée dans ce projet est favorablement accueillie par l’opinion : celle prévoyant que les moins de 18 ans devront désormais disposer d’une autorisation parentale signée avant de pouvoir prétendre à une opération. Dans l’arène politique aussi, le PP est isolé. Depuis son arrivée au pouvoir, en décembre 2011, jamais une initiative législative n’avait provoqué une levée de boucliers aussi compacte : tous les autres partis politiques s’opposent catégoriquement à ce texte, qui ramène l’Espagne trente ans en arrière, plus précisément en 1985, date de la précédente législation approuvée par la droite. Laquelle n’était elle-même pas aussi drastique et restrictive. Des manifestations monstres sont prévues dans les semaines à venir.
À la traîne
Avec ce projet, qui se faisait attendre depuis l’été, le très conservateur ministre de la Justice, Alberto Ruiz-Gallardón, a relancé les polémiques, alors même que les passions avaient fini par s’éteindre depuis la réforme menée par le socialiste José Luis Zapatero, en 2010. L’Espagne était depuis lors au diapason de la majorité de ses partenaires européens, où le droit à l’interruption volontaire de grossesse, l’IVG, est pleinement reconnu. De nouveau, le pays se situe à la traîne de l’Europe, avec la Pologne, le Luxembourg ou la Finlande - et non loin de Malte, où l’avortement est interdit.
Avec le coup de vis des conservateurs espagnols, non seulement ce droit est banni (on pouvait jusqu’alors avorter librement jusqu’à la 14e semaine de gestation), mais les obstacles se font plus nombreux : le fait d’avorter redevient un délit passible de la prison. «Nous défendons la femme, puisque dans la loi de 1985, c’est elle qui était poursuivie par la justice. Désormais, ce sera le médecin qui sera visé», s’est défendu Alberto Ruiz-Gallardón, très applaudi par la frange la plus radicale du PP. Toute candidate à l’avortement ne pourra plus invoquer que deux motifs : le viol (jusqu’à la 12e semaine) ou un «danger pour (sa) santé physique et psychique». La malformation du fœtus ne constituera plus une raison valable, sauf si ses chances de survie sont très faibles. Autre nouveauté de taille : pour obtenir un certificat ratifiant un de ces deux motifs, il faudra à la femme l’avis de deux médecins pratiquant dans un centre autre que la clinique privée où a lieu l’opération. Cette procédure sera longue, soumise au crible tatillon de l’administration, alors que, jusqu’alors, elle ne présentait aucune difficulté.
Le mouvement Decidir nos hace libres («décider nous rend libres») en est horrifié : «Pour simplifier, avec la loi en vigueur de 2010, aucune femme n’était obligée d’avorter ; avec celle-ci, beaucoup se verront contraintes d’enfanter. Il y a là une confusion totale entre morale publique et privée, l’Etat s’arroge la prérogative de décider à la place des femmes. Ce virage radical est discriminatoire contre elles.»
Création divine
En agissant de la sorte, le Parti populaire provoque un tollé qui satisfait le secteur ultraconservateur de l’Eglise espagnole et la partie la plus radicale de son électorat. Le collectif antiavortement Derecho a vivir («droit à vivre») se réjouit d’une «décision historique» qui «confère enfin des droits aux non-nés». Avec cet avant-projet de loi, en effet, ceux-ci sont davantage protégés que les femmes elles-mêmes. C’est depuis longtemps la morale défendue par le cardinal Rouco Varela, numéro 1 de l’épiscopat, pour qui «l’embryon a le droit absolu à la vie, cela est en accord avec notre conception de la création divine». L’été dernier, 700 gynécologues ont signé un manifeste affirmant que l’obligation de laisser vivre des fœtus atteints de graves malformations était un «non-sens». Officiellement, l’objectif poursuivi par le ministre de la Justice, Ruiz-Gallardón, est de réduire le nombre d’avortements. Pour autant, cet argument est battu en brèche par une large majorité. «On s’est rendu compte qu’avec l’actuelle loi, le nombre d’opérations a diminué ces deux dernières années. Preuve que la décision est purement idéologique», note la chroniqueuse Graciela Cañas. A en croire un manifeste publié par Decidir nos hace libres, l’actuelle législation permet «un suivi sanitaire des femmes candidates à l’avortement», donne à celles-ci «une sécurité juridique», et permet un «meilleur travail de prévention».
Leur crainte est que l’Espagne retourne, comme par le passé, à l’ère de la clandestinité. Aux yeux des féministes, la nouvelle législation restrictive ne réussira pas à dissuader les candidates de se faire avorter, mais leur compliquera la vie. Elles devront affronter le probable refus des médecins - dont beaucoup sont déjà «objecteurs», un choix conforté par la réforme donc. «Les femmes riches iront se faire avorter dans d’autres pays de l’UE, comme c’était le cas dans les années 80 et 90 ; pendant ce temps, les femmes les plus modestes n’auront d’autre choix que de fréquenter des cliniques clandestines, hors de la légalité, et dans l’opprobre publique», s’étrangle la gynécologue Isabel Serra Fuster qui, comme beaucoup d’autres, s’inquiète de ce nouveau clivage socio-économique. Hier, la numéro 2 du Parti socialiste, Elena Valenciano, a supplié les députées du PP de s’opposer à cette «réforme d’un autre âge». Ses chances d’être entendue sont quasi nulles.
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