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vendredi 14 février 2025

Viols à Bétharram : Bayrou a menti, Mediapart publie de nouveaux documents


Viols à Bétharram : 
Bayrou a menti, 
Mediapart publie de nouveaux documents
 
Le premier ministre a déclaré, mardi 11 février à l’Assemblée, n’avoir « jamais » été informé des violences commises dans cet établissement catholique de la région de Pau. Mediapart publie un courrier avec son accusé de réception ainsi qu’une photo d’archive qui font voler en éclats sa défense.

Interrogé ce mardi à l’Assemblée, François Bayrou a affirmé n’avoir « jamais » été informé des violences physiques et pédocriminelles commises dans l’établissement privé sous contrat Notre-Dame-de-Bétharram.
Le premier ministre a annoncé porter plainte en diffamation.
Mediapart publie de nouveaux documents prouvant les mensonges du premier ministre devant la représentation nationale.
 
En mars 2024, François Bayrou a reçu un courrier avec accusé de réception à la mairie de Pau d’une victime ayant subi plusieurs viols et reconnue comme victime depuis par l’Église. Il n’a jamais répondu.
 
En 1996, François Bayrou s’était lui-même exprimé sur Notre-Dame-de-Bétharram pour défendre l’institution mise en cause pour des violences physiques. Mediapart publie une archive de Sud Ouest relatant sa visite au sein de l’établissement.
 
En 1998, François Bayrou était de nouveau alerté après des accusations de violences sexuelles pesant sur le directeur de l’institution mis en examen pour viol sur mineur. Le premier ministre avait même rencontré le juge d’instruction saisi de l’affaire pour l’interroger de manière totalement officieuse.
 
Sûr de son fait, François Bayrou l’a répété à deux reprises devant l’Assemblée nationale. « J’affirme que je n’ai jamais été informé de quoi que ce soit de violences ou de violences a fortiori sexuelles. Jamais », a déclaré le premier ministre, mardi 11 février, face à la représentation nationale. Le chef du gouvernement venait d’être interrogé par le député La France insoumise (LFI) Paul Vannier sur les révélations de Mediapart portant sur ses mensonges pour défendre l’établissement catholique Notre-Dame-de-Bétharram, dans la région de Pau, où ont été scolarisés ses enfants.
 
L’institution est au cœur d’un immense scandale de violences physiques et pédocriminelles – 112 plaintes pour des faits s’étalant des années 1950 aux années 2010 – que l’élu béarnais n’a jamais dénoncées.
 
« Pourquoi n’avez-vous pas protégé les élèves de l’école Notre-Dame-de-Bétharram victimes de violences pédocriminelles ? […] Avez-vous depuis reçu d’autres alertes ? Voulez-vous l’impunité de cet établissement financé sur fonds publics ? », a aussi demandé le député du Val-d’Oise, spécialiste des questions d’éducation, poussant le premier ministre à s’enferrer dans le mensonge.
 
Or, le premier ministre n’a pas reçu une mais au moins trois alertes.
 
Une récente alerte ignorée par François Bayrou 
 
Un nouveau courrier que révèle Mediapart prouve en effet que François Bayrou a été directement saisi par une victime de Bétharram en mars 2024. La lettre en question lui a été adressée par Jean-Marie Delbos, un ancien élève aujourd’hui âgé de 78 ans, ayant subi plusieurs viols de la part d’un religieux dans les années 1950, lorsqu’il était adolescent. Son témoignage est difficilement contestable, puisque cette victime a été reconnue comme telle par l’Église. L’homme a même été indemnisé à la suite de la signature d’un protocole d’accord signé le 20 mars 2023 avec la Commission reconnaissance et réparation (CRR).
 
Un an plus tard, le 16 mars 2024, Jean-Marie Delbos entreprend d’écrire au maire de Pau, qui règne sur le département depuis des décennies (ancien ministre, député, président du conseil général…), pour dénoncer son silence et l’inviter à écouter les témoignages sur les violences au sein du pensionnat. 
Orphelin, la victime a rejoint Bétharram en 1956, à l’âge de 10 ans. « Tout aurait pu être idyllique, dormir et manger sans prétentions, je connaissais », témoigne Jean-Marie Delbos dans son courrier à François Bayrou, avant de poursuivre : « Sauf qu’en 1957 arrive au dortoir un jeune ecclésiastique dont nous avions une peur irraisonnée. La suite, vous la subodorez… »
 
L’ancien pensionnaire raconte les « attouchements » et « fellations » subis, commis par ce prélat qui le rejoint la nuit, « soutane ouverte », en lui répétant : « Rendormez-vous, c’est rien. » « Cela a duré jusqu’en fin 1961 où nous avons décidé de nous plaindre à notre directeur de conscience… », appuie Jean-Marie Delbos dans sa lettre. Le septuagénaire y rappelle enfin toutes les étapes de son long combat jusqu’à la reconnaissance de son statut de victime. 
Précautionneux, il envoie son courrier au maire de Pau avec un accusé de réception, prouvant que le document a été remis le 20 mars 2024. 
 
Mais malgré la précision de ce témoignage écrit, et la souffrance qui s’en dégage, la victime n’a jamais reçu la moindre réponse. « Moi je ne suis qu’un pauvre baylet [un domestique, en béarnais – ndlr], je subodore que Bayrou n’en a rien à faire de moi », analyse-t-il auprès de Mediapart. Dans son courrier, déjà, Jean-Marie Delbos relevait la responsabilité de « notables locaux » – pendant des décennies, Notre-Dame-de-Bétharram a attiré les enfants de bonnes familles de toute l’Aquitaine – dans l’omerta ayant permis aux violences de se répéter sur des décennies.
 
Sollicitées par Mediapart, les équipes de Matignon n’ont pas répondu à nos questions quant à l’absence de réponse à ce courrier, qui contredit formellement les déclarations du premier ministre devant l’Assemblée nationale. 
 
La deuxième alerte ignorée par François Bayrou
 
Dans sa réponse au député Paul Vannier, François Bayrou a également énoncé des contre-vérités sur d’autres alertes ignorées. « Lorsque la première plainte [dénonçant des violences à Betharram – ndlr] est déposée, j’ai quitté déjà le ministère de l’éducation nationale depuis des mois, puisque c’est en décembre 1997-1998 et que j’ai quitté le ministère en mai 1997 », a par exemple affirmé le maire de Pau.
 
C’est faux. La première condamnation d’un surveillant général pour des faits de violences date de juin 1996, à une période où le Béarnais était donc bien au gouvernement. Comme nous l’avions raconté, le ministre avait même cru bon d’organiser une visite officielle dans l’établissement en mai 1996, un mois après le dépôt de la plainte de la victime et alors que l’affaire était largement commentée dans les médias, y compris nationaux.
 
Il avait alors fait directement référence à cette première plainte et défendu Bétharram. « Nombreux sont les Béarnais qui ont ressenti ces attaques [contre Bétharram] avec un sentiment douloureux et un sentiment d’injustice », avait-il déclaré dans Sud Ouest. Avant d’engager sa responsabilité pour défendre l’établissement : « Toutes les informations que le ministre pouvait demander, il les a demandées. Toutes les vérifications ont été favorables et positives. Le reste suit son cours. Les autres instances qui doivent s’exprimer le feront. »
 
À la même période, une enseignante en poste à Bétharram de septembre 1994 à septembre 1996 déclare elle aussi avoir alerté celui qui cumulait alors les casquettes de président du conseil général et de ministre de l’éducation nationale.
 
Françoise Gullung, ancienne professeure de mathématiques, explique avoir parlé de violences physiques contre des élèves à Élisabeth Bayrou, qui assurait le catéchisme dans l’établissement, puis avoir prévenu son époux à l’occasion d’une remise de médaille. « Il a minimisé en disant que j’exagérais sans doute un peu, a-t-elle témoigné en juillet 2024 dans Le Point. Je sais que l’infirmière de l’école lui a aussi écrit des courriers. » 
 
Des affirmations qu’elle maintient auprès de Mediapart, malgré les dénégations du premier ministre, en racontant avoir tiré la sonnette d’alarme auprès de toutes les autorités, civiles comme religieuses. « Le problème, c’est que nous sommes dans un monde extrêmement clos », appuie-t-elle. L’avocat historique de Bétharram, Serge Legrand, autour duquel une grande partie du barreau palois a fait bloc lors de l’affaire de 1996, était aussi engagé en politique à l’Union pour la démocratie française (UDF), le parti de François Bayrou.
 
Quand on est aux responsabilités, on s’explique, on assume et on ne profite pas de son pouvoir pour continuer à tout étouffer.
Jérôme, père de la première victime
 
Pendant trente ans, François Bayrou n’avait d’ailleurs eu aucun mot pour les victimes ou les plaignants de cette affaire. Ce mardi, à l’Assemblée, il les a évoqués pour la première fois en exprimant sa « sympathie » et ses « premières pensées » pour « les hommes ou les garçons qui ont été en souffrance dans ces affaires-là ». Interrogé par Mediapart, Jérôme, père de la première victime de violences physiques de 1996 dont l’enfant a perdu l’audition depuis, ne décolère pas. Son fils était dans la même classe que Calixte Bayrou lorsqu’il avait alerté tout l’établissement des violences qui y existaient.
 
« En tant que ministre de l’éducation nationale, il était responsable. Qu’a-t-il fait de nos alertes ? rien », dénonce-t-il encore, accusant François Bayrou de « cacher le fait de ne rien avoir fait à l’époque ». « Aujourd’hui, François Bayrou doit s’expliquer et arrêter de se réfugier derrière son amnésie. Quand on est aux responsabilités, on s’explique, on assume et on ne profite pas de son pouvoir pour continuer à tout étouffer, implore-t-il. Et s’il est véritablement amnésique, Bayrou ne peut plus assumer ses fonctions et doit quitter son poste. »
 
La troisième alerte ignorée par François Bayrou 
 
Il y a bien eu une affaire judiciaire, datant de 1998, qui est survenue alors que François Bayrou n’était plus ministre, comme il l’a souligné devant les député·es : un directeur de Notre-Dame-de-Bétharram, le père Carricart, mis en examen pour viol. Mais là encore, si François Bayrou prétend ne jamais avoir été alerté, des éléments prouvent le contraire.
 
Comme nous l’avons déjà écrit, le maire de Pau, qui n’était effectivement plus ministre, avait rencontré le juge d’instruction saisi de l’affaire pour évoquer ce dossier pourtant couvert par le secret de l’instruction. « Notre rencontre de l’époque ne portait pas sur autre chose, c’était spécifiquement sur ce dossier, notamment parce que l’un de ses enfants était scolarisé à Notre-Dame-de-Bétharram », a confirmé le juge Christian Mirande à Mediapart. François Bayrou avait d’abord démenti cette rencontre, avant de la reconnaître, tout en la minimisant. 
 
Auprès de Mediapart, Thierry Sagardoytho, avocat du plaignant pour viol, estimait d’ailleurs « évident » que François Bayrou « ait été avisé de la plainte ». Et ce, d’autant plus qu’Élisabeth Bayrou s’était rendue aux obsèques du père mis en cause pour viol, qui s’était suicidé juste avant une nouvelle convocation par le juge d’instruction. 
 
François Bayrou persiste à blanchir Notre-Dame-de-Bétharram
 
Devant la représentation nationale et sous certains applaudissements, le premier ministre a annoncé porter plainte pour diffamation et posé cette question comme « deuxième preuve » du fait qu’il n’était au courant de rien : « Est-ce que vous croyez que nous aurions scolarisé nos enfants dans des établissements dont il aurait été soupçonné ou affirmé qu’il se passe des choses de cet ordre ? »
 
Par cette interrogation, François Bayrou blanchit une nouvelle fois l’établissement de ses enfants. Pourtant, il y avait bien plus que des soupçons ou des affirmations sur Notre-Dame-de-Bétharram, puisqu’un surveillant a été condamné pour des violences physiques en 1996. En 2000, lorsque l’élu questionnait le juge Mirande, le directeur de l’établissement était lui mis en examen pour viol. Si François Bayrou assume avoir laissé son enfant dans une institution gravement mise en cause, il l’a fait en toute connaissance de cause.
 
David Perrotin et Antton Rouget (Via Mediapart)

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