Pourquoi
nous avons autant de mal
à réagir (et à agir)
face à l’urgence climatique
Malgré les rapports sur l’urgence climatique, comme celui du Giec publié mercredi 23 juin, notre cerveau refuse d’entendre ce que disent les scientifiques. L’une des causes de cette inaction se trouve dans le striatum, une zone qui guide nos désirs.
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À en croire les derniers extraits du rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), publié le 23 juin, la situation climatique risque de devenir catastrophique pour les générations futures si « rien n’est fait ». Montée des eaux, famine, augmentation de la pauvreté… Les effets sont multiples et tendent à devenir irréversibles si la hausse des températures dépasse les 1,5 °C.
Pourquoi est-il si difficile d’agir en faveur du climat alors que nous avons conscience de l’épée de Damoclès qui plane au-dessus de nos têtes ? Pourquoi les comportements alternatifs, plus écologiques, sont-ils si peu acceptés et mis en place par les individus ? Pour comprendre, il est intéressant de se tourner vers la psychologie sociale et les neurosciences.
Le désir permanent de nouvelles choses
Sébastien Bohler, docteur en neurosciences, a écrit un livre sur le sujet, Le bug humain (Éditions R. Laffont, 2019) dans lequel il explique que le coupable de l’inaction écologique n’est ni l’égoïsme, ni l’avidité de l’Homme mais bien son cerveau lui-même. Ce dernier abrite le striatum, situé en son centre. « Le striatum est un organe très ancien, au cœur du cerveau, présent chez la plupart des animaux. Il est très primitif et est programmé pour désirer en permanence de nouvelles choses », définit Sébastien Bohler.
Son fonctionnement est assez simple. Il envoie de la dopamine, une molécule responsable du plaisir en échange de comportements très précis de la part de l’individu : manger, se reproduire, tendre vers un statut plus élevé et faire le moins d’efforts possible pour économiser son énergie. En bref, tout ce qui nous permet de survivre.
Le problème ? « La dopamine s’arrête rapidement et le striatum en veut toujours plus. Si la stimulation est la même, jour après jour, la sensation de plaisir faiblit », ajoute-t-il. Il crée de l’accoutumance, aussi appelé « habituation hédonique ». C’est un cercle vicieux. Aucune « fonction stop » n’est disponible pour l’arrêter car, sans lui, l’espèce humaine se serait éteinte depuis longtemps.
Les individus achètent donc de plus en plus de voitures, de téléphones pour assouvir les désirs du striatum comme celui concernant le statut social. « Huit milliards d’humains ont chacun un striatum qui désire un statut social toujours plus élevé. Nous allons droit vers la catastrophe », souffle le docteur en neurosciences. Et les entreprises ont bien compris ce processus. Étant donné que l’automobile constitue un signe extérieur de réussite, les voitures sont de plus en plus suréquipées, avec des dizaines de gadgets polluants.
Un bras de fer dans nos têtes
Pourquoi aller au travail à pieds quand on peut prendre la voiture ? Pourquoi aller faire ses courses à l’épicerie bio du coin quand on peut commander via une application en ligne ? Nous sommes tous confrontés à ces petits dilemmes du quotidien. Mais d’où viennent-ils ?
Dans notre cerveau se trouve aussi le cortex cérébral, un organe « beaucoup plus récent que le striatum qui fait partie de nous depuis des millions d’années ». Un bras de fer permanent se déroule dans nos têtes sans même qu’on s’en rende compte : le cortex cérébral est l’organe de l’intelligence. C’est cette partie de notre esprit qui a conscience de l’urgence écologique. Malheureusement, c’est le striatum qui gagne en permanence car « nous sommes devenus esclaves de nos désirs ».
Le striatum désire et le cortex cérébral participe au
développement de nouvelles technologies, toujours plus performantes et
polluantes, pour assouvir les envies du premier. Une compétition
perpétuelle est donc organisée dans notre cerveau « entre les
centres cognitifs qui nous demandent de ne pas polluer le monde et notre
système de récompense – le striatum – qui aimerait que nous possédions
le dernier smartphone, consommant beaucoup d’énergie », explique Sébastien Bohler.
« On est dans l’ici et maintenant »
« Plus le message est délocalisé, lointain, moins l’individu se sentira concerné », explique Isabelle Richard, docteure en psychologie sociale et environnementale. « Par exemple, il aura davantage tendance à modifier ses actions si on l’alerte concernant une pollution de la rivière à côté de chez lui plutôt que sur l’ours blanc qui n’a plus de banquise ».
Selon Sébastien Bohler, le striatum voit ce qu’il se passe maintenant et pas dans des dizaines d’années. Il a besoin de récompense instantanée. « Le striatum accorde une valeur moins importante aux actions dont les effets bénéfiques sont éloignés dans le futur ». Ainsi, les centres de la récompense de notre cerveau se concentrent sur des récompenses proches de nous dans le temps et dévalorisent les bénéfices lointains.
« On est dans l’ici et maintenant. Lorsqu’un événement climatique grave se déroule à 1 000 km, l’émotion est souvent là mais l’individu ne fait aucune connexion avec ses propres actes », affirme Isabelle Richard. Sébastien Bohler partage le même avis. Plusieurs expériences, comme celle du Marshmallow montrent bien qu’il est difficile pour les individus de différer une récompense et la remettre à plus tard. L’expérience du Marshmallow conduite par le psychologue Walter Mischel en 1972 consistait à donner une guimauve à un enfant, et s’il résistait assez longtemps, lui en redonner deux en récompense.
Biais cognitifs et éco-fatigue
Du côté de la psychologie sociale, plusieurs biais cognitifs existent pour expliquer le désintéressement pour les questions d’écologie. « Il y a un important biais cognitif appelé biais de l’action unique. Par exemple, un individu achète une voiture électrique, ce qui lui donne l’impression de faire une bonne action pour l’écologie. Mais il ne regarde plus ses kilométrages et prend beaucoup plus la voiture », explique Isabelle Richard. On parle d’effet rebond pour qualifier ce genre de comportements. Les gains environnementaux sont annulés par l’augmentation de l’utilisation de l’objet.
« À force d’être culpabilisés en permanence par les pouvoirs publics, les individus peuvent cesser leurs comportements écologiques », ajoute-t-elle. C’est ce qu’on appelle l’éco-fatigue ou green fatigue. Les récentes crises économiques, ont participé à l’accélération de cette forme de découragement. Les individus se soucient davantage du chômage, de la précarité et de l’insécurité plutôt que de sauver la planète.
« Il faut ralentir le monde »
Que faire pour prendre totalement conscience de l’urgence climatique et agir en conséquence ? « Notre époque va de plus en plus vite. Avec la société de consommation, le court terme a été privilégié dans nos vies », termine Isabelle Richard. Un avis partagé par Sébastien Bohler. Pour lui, la seule solution est de « ralentir le monde » en supprimant le règne de l’instantanéité.
« Nos fibres cérébrales sont atrophiées, ce qui fait diminuer notre capacité de patience », décrit l’auteur du livre Le bug humain. La balle est dans le camp des parents car la striatum est un organe qui s’entraîne principalement durant l’enfance. « Il faut apprendre à faire attendre l’enfant, lui dire non, faire travailler sa concentration ».
En mettant en place ce genre de choses, les générations futures seront plus à même d’agir pour le climat. Mais ne sera-t-il pas trop tard ? « Il faut réussir à se libérer de l’emprise du striatum pour réussir à réagir face à l’urgence climatique », conclut Sébastien Bohler.
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