C’est un israélien qui parle ainsi, un des
plus célèbre, Moshe Dayan, figure politique et militaire, héro de la
guerre des Six Jours, l’homme au bandeau sur l’œil.
La scène se passe en 1956 soit huit ans après la création de l’État
d’Israël qui a été suivie par la Nakba, c’est-à-dire l’expulsion de 700
000 palestiniens de leurs maisons et de leurs terres par des
paramilitaires sionistes.
La Nakba - la catastrophe en arabe - est vécue comme un prolongement
du colonialisme occidental au moment même où celui-ci va commencer son
sanglant déclin. La Nakba n’est pas seulement un évènement, pour les
palestiniens c’est le début d’un processus qui reste présent, un
traumatisme qui se transmet de génération en génération.
Cette année-là, donc, le 28 avril 1956, Moshe Dayan, alors chef
d’état-major de l’armée israélienne, arrive dans le kibboutz Nahal Oz,
situé près de la frontière avec la bande de Gaza. Déplacement officiel
suite à un meurtre qui bouleverse Israël. Roi Rothberg, un des membres
du kiboutz ,vient d’être assassiné par des palestiniens infiltrés depuis
Gaza où ils vivent comme réfugiés.
Moshe Dayan va prononcer alors un éloge funèbre resté dans l’histoire
et qui a un écho terrible avec la tragédie actuelle. Il commence par
évoquer les meurtriers de Roi Rothberg :
« Aujourd’hui ne maudissons pas ses assassins. Que savons-nous de
leur haine sauvage envers nous ? Ils vivent depuis huit ans à Gaza dans
des camps de réfugiés, tandis que nous nous emparons sous leurs yeux des
terres et de leurs villages où ils vécurent et où vécurent leurs
ancêtres. Ce n’est pas aux Arabes de Gaza qu’il faut demander le prix du
sang, mais à nous-mêmes ».
Et Moshe Dayan précise : « Au-delà du sillon qui marque la
frontière, s’étend un océan de haine avec un désir de revanche. Nous
sommes une génération de colons, et sans casques ni canons nous ne
pourrions pas planter un arbre ni construire une maison. »
Terrible rapprochement, 67 ans plus tard, le 7 octobre 2023, le
kibboutz Nahal Oz sera la cible de massacres et de destructions lors de
l’attaque terroriste du Hamas.
Une colombe, ce chef d’état-major ? Un islamo-gauchiste antisémite ? Pas vraiment, selon l’historien Shlomo Sand : « Dayan
était un adepte de la force, au plus mauvais sens du terme, mais il
était moins hypocrite que la plupart des dirigeants et des habitants
d’Israël passés et présents. En tant que chef du Commandement sud de
l’armée, de 1948 à 1950, il a incité et pris l’initiative de l’expulsion
des habitants autochtones d’al-Majdal. Dayan connaissait parfaitement
les raisons de la frustration et de l’hostilité des Palestiniens, et il
n’a pas éprouvé le besoin d’inventer un récit mystificateur et
justificateur. »
Quelques mois plus tard, en novembre 1956, les troupes israéliennes
occupent la bande de Gaza, histoire de liquider la présence des « fedayins »
selon le terme qui qualifiait les combattants palestiniens. Les quatre
mois d’occupation ont fait un millier de morts dans la population de
Gaza, soit un habitant sur trois cents, selon l’historien Jean-Pierre
Filiu , qui précise :
« Dayan a représenté, surtout jusqu’à la guerre d’octobre 1973, la
tendance dure et intransigeante à l’égard des pays arabes. Sa politique
est cependant pragmatique, et il est convaincu que le conflit
israélo-arabe s’enracine dans l’hostilité profonde d’un peuple spolié de
sa terre au bénéfice d’un autre. »
Il n’est pas le seul à faire ce constat d’évidence. En 1967, après la
guerre des Six Jours, en pleine gloire, il revient sur son analyse :
« Nous sommes venus dans un pays habité et nous y construisons un
État juif. Les Arabes n’acceptent pas notre entreprise. Nous sommes
condamnés à une belligérance éternelle. Nous sommes un corps étranger
transplanté dans cette région que les autres organes repoussent. »
Un constat qui résume tout le colonialisme et qui peut s’appliquer aujourd’hui à la Kanaky dont la France « a pris possession »
en 1853 et dont le délicat et patient processus de décolonisation vient
d’être mis à bas par le subtil Macron et les plus malins de son
entourage partisans de la fermeté.
Que peut la force contre le droit ? Contre ce droit physique et tangible qui est la terre et la mémoire d’un peuple ?
Il est capital de comprendre et de faire comprendre que les massacres
du 7 octobre 2023 qui justifient pour beaucoup la vengeance génocidaire
infligée au peuple de Gaza, sont l’épisode d’une longue et lourde
histoire en forme d’impasse. Les voix simplement lucides ont été
étouffées par des aveuglements fanatiques les plus criminels assortis de
chantages à l’antisémitisme envers quiconque dénonce la course à
l’abîme et au génocide.
Un phénomène évoqué sur un autre ton par Jonathan Duong cette semaine à propos d’un certain « filousophe »
dont on hésite de moins en moins à oser supposer qu’il fait bénéficier
de ses conseils éclairés la nouvelle direction de France Inter, dont il
faut reconnaitre le discernement dans son choix de virer les meilleurs.
Une chasse aux sorcières à bas bruit. Le « filousophe » on le retrouve d’ailleurs parmi les élites unanimes pour dénoncer avec perspicacité le manque d’humour de Guillaume Meurice, qui n’est rien d’autre qu’un bien piètre militant.
À reprendre en choeur cette semaine « Bread and Roses » racontée par Olivier Besancenot. Pas de lutte sans beauté ni émotion, c’est à dire sans la poésie. Mais quelle chanson pour accompagner l’idée de Gérard Mordillat qui propose cette semaine de rétablit l’esclavage. Ne manquez pas non plus les films que tante Zoé vous a dégotté en supplément GRATOS pour ces privilégiés que sont nos abonnées et abonnés modestes et géniales et géniaux.
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Quelques baisers tendres ce n’est qu’un début, continuons les ébats !
Daniel Mermet
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De Shlomo Sand lire : Deux peuples pour un État ? Relire l’histoire du sionisme, Seuil, 2024, Paris
De Jean-Pierre Filiu lire : Comment la Palestine fut perdue. Et pourquoi Israël n’a pas gagné. Histoire d’un conflit (XIXe-XXIe siècle), Seuil, 2024, Paris


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