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samedi 25 mai 2024

« Mesdames et messieurs les députés, ne sacrifiez pas la radio et la télé publiques ! »

TRIBUNE

« Mesdames et messieurs les députés, 

ne sacrifiez pas la radio 

et la télé publiques ! »

 
Une lettre ouverte, signée à l’unanimité de tous les syndicats de Radio France et de France Télévisions, par certaines organisations de l’INA et France Médias Monde, ainsi que des sociétés de journalistes et des salariés de ces entreprises, interpelle les députés amenés à se prononcer sur une fusion de l’audiovisuel public. Un « mariage forcé » et un « texte trompeur » selon eux.

 

Lors d'une manifestation des salariés de France Télévisions, à Paris en 2022. (Lionel Préau/Riva Press) 

par Les syndicats et salariés de l'audiovisuel public
publié le 22 mai 2024 à 21h03

 

Mesdames et messieurs les députés,

C’est un texte majeur, une proposition de loi dangereuse, qui vous est présentée à l’Assemblée. C’est l’avenir de l’audiovisuel public qui est en jeu, au moment où les attaques des plateformes et des médias privés n’ont jamais été aussi fortes.

Un texte trompeur surtout. Il est question de créer un « holding » de l’audiovisuel public, dès le 1er janvier 2025, avant de donner naissance à une société commune, une « ORTF, le retour » le 1er janvier 2026. En préambule, le but affiché est de « rendre l’audiovisuel public plus fort », mais nous en sommes convaincus, ce projet de loi l’affaiblira.

Si vous souhaitez que les chaînes de Radio France, France Télévisions et leurs plateformes web continuent de remplir leurs missions de service public, réfléchissez avant de voter ce texte.

Fusionner, c’est d’abord prendre le risque d’uniformiser et appauvrir l’information.

En créant une entreprise audiovisuelle unique, ce texte fragilise la diversité des contenus. La tentation sera grande, en effet, de rogner le budget de l’audiovisuel public, devenu précaire depuis la suppression de la redevance. Vous entendrez partout les mêmes interviews, les mêmes reportages. Imaginez, par exemple, que le son de la télévision soit diffusé sur les chaînes de radio pour réduire le nombre d’équipes sur le terrain. Ce serait une fausse bonne idée. Les reportages seront moins nombreux, moins en prise avec le terrain au moment où notre public exprime, au contraire, un besoin croissant de proximité.

Fusionner, c’est aussi prendre le risque de créer une entreprise publique plus vulnérable aux pressions du pouvoir. Imaginez le poids du futur directeur de l’information du groupe. Il sera bien plus facile pour l’Elysée ou le ministère de la Culture d’intervenir pour empêcher la diffusion d’un reportage qui dérange, ou au contraire pour imposer une ligne éditoriale unique.

Pourtant, depuis quelques années, nos entreprises se sont engagées durablement dans la lutte contre les « fake news », l’éducation aux médias, des domaines qui ne se mesurent pas en termes d’audience mais qui préparent les citoyens de demain. Pourquoi prendre le risque d’affaiblir cet édifice si précieux pour le débat public ?

Fusionner, c’est prendre un risque financier : alors que nos audiences se portent bien, que les budgets de nos entreprises sont à l’équilibre, cette fusion pourrait coûter 20 millions d’euros par an, rien que pour aligner les conventions d’entreprises. Un chiffre largement sous-estimé. Où trouverez-vous l’argent pour financer cette fusion ?

Fusionner, c’est également mettre en péril la création culturelle française. Combien d’artistes ont été propulsés par l’audace et le dynamisme de nos chaînes ? Par des émissions comme Totémic, le Masque et la Plume ou la Grande Librairie ? Combien de spectateurs ont pu profiter des talents des formations musicales de Radio France ? Si, un jour, le ministère de la Culture décidait de ne plus soutenir la création indépendante, qui le ferait ?

Nos médias sont des supports fondamentaux de diffusion pour la création française (concerts, dramatiques, documentaires, séries, téléfilms, cinéma). Fusionner l’audiovisuel public, c’est prendre le risque de voir diminuer le nombre de productions, et réduire le nombre de salariés.

Parce qu’il produit et diffuse des centaines d’heures de fictions, l’audiovisuel public est en France le premier employeur de comédiens. Il produit et diffuse chaque semaine des dizaines d’heures de documentaire, des centaines d’heures de débats, des programmes pour toutes les générations. Ce sont des outils de compréhension du monde, que nul autre ne peut offrir.

Mesdames et messieurs les députés, êtes-vous prêts à prendre tous ces risques ? Etes-vous prêts à assumer de faire disparaître ce trésor commun ?

L’audiovisuel public mérite mieux que cette improvisation. La ministre de la Culture, Rachida Dati, veut peut-être laisser une trace rue de Valois. Mais peu importent les calculs politiques, nos chaînes méritent une meilleure stratégie.

Mesdames et messieurs les députés, écoutez les salariés de Radio France qui craignent de voir disparaître leur média. Cette fusion est en réalité une absorption de la radio. Ecoutez les salariés de France Télévisions qui portent encore les séquelles du regroupement de toutes les chaînes en une entreprise unique avec des fusions de rédactions qui se traduisent par des abandons de programmes, comme les éditions nationales de France 3. Ecoutez le refus de la direction de France Médias Monde et d’une grande partie des personnels d’intégrer cette société unique. Ecoutez les craintes des salariés de l’INA, qui ne comprennent pas ce projet, très éloigné de leurs préoccupations.

Ecoutez encore le monde de la culture, très inquiet que ce chantier chronophage affaiblisse les engagements de France Télévisions pour la création audiovisuelle.

Ecoutez l’avis réfléchi de cinq anciens ministres de la Culture, pour qui fusionner l’audiovisuel public est une folie.

Nous avons besoin d’un financement « suffisant durable, et prévisible » comme l’exige le nouveau règlement européen sur la liberté des médias, d’une enveloppe pérenne pour chacun de nos médias, sans chantage à la fusion. Or pour le moment, il n’y a aucune garantie de survie, ni pour la radio, ni pour la télévision.

Mesdames et messieurs les députés, ne votez pas cette proposition de loi ! C’est un enjeu démocratique majeur. Ce mariage forcé est une erreur. Nos auditeurs, nos téléspectateurs, nos internautes, méritent davantage de considération.

 

Premiers signataires : le SNJ Radio France et France Télévisions, le SNJ-CGT Radio France, la CFDT SNME pour Radio France, France Télévisions et l’INA, l’Unsa Radio France et France Télévisions, FO Radio France, France Télévisions et INA, la CGC France Télévisions, la CGT France Télévisions, INA et France Médias Monde, SUD Radio France et France Télévisions, la Société des journalistes (SDJ) de Radio France, la SDJ de France Télévisions, la SDJ de France 3, la SDJ de Franceinfo.fr, la SDJ de RFI, la SDJ de France 24, et plus de 400 salariés dont Charline Vanhoenacker (productrice, France Inter), Rebecca Manzoni (productrice, France Inter), Sonia Devillers (journaliste, France Inter), Mathieu Vidard (producteur, France Inter), Camille Crosnier (productrice, France Inter), Fabienne Sintès (productrice, France Inter), Sylvain Bourmeau (producteur, France Culture), Antoine Guillot (producteur, France Culture), Natacha Triou (productrice, France Culture), Frédéric Carbonne (journaliste, France Info) Nicolas Teillard (journaliste, France Info)…

La listes des signataires est à retrouver ici.

 

Source : https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/mesdames-et-messieurs-les-deputes-ne-sacrifiez-pas-la-radio-et-la-tele-publiques-20240522_CB6YWJH6IVCWHO2XVT72SAHZ4A/?fbclid=IwZXh0bgNhZW0CMTEAAR3qgACFyuS7Qzf2fiiM3lq9Eo79gCI8rMQ7ZQD8uvcDeesp_NxD4JnMhBc_aem_AZadIuvduQ4XDqMuZ11kFnHMwjG4dboMhWiE1M-a5zCAeI0tP6ZuOgRODT84NJ0pf-R33UfRuNgppCUr6yFdaAil

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