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mercredi 27 septembre 2023

Les 200 scientifiques de l’Atécopol demandent l’arrêt immédiat des travaux de l’A69

Les 200 scientifiques 

de l’Atécopol demandent 

l’arrêt immédiat 

des travaux de l’A69

24 septembre 2023  

Atelier d'Ecologie Politique de Toulouse (avatar)

Atelier d'Ecologie Politique de Toulouse

Collectif de chercheur.es

 

Alors que les travaux de l’A69 ont commencé, le collectif toulousain de scientifiques rend public le consensus de l’ensemble de ses membres autour de l’arrêt des travaux de cette autoroute. Les auteur.es de cet article expliquent les raisons de leur opposition : on y parle émissions CO2, train, croissance, projets de territoire, compensation, et imaginaires désirables.

 Lettre ouverte à Carole Delga (Présidente de la Région Occitanie), Christophe Ramond (Président du Conseil Département du Tarn), Pascal Bugis (Maire de Castres), Clément Beaune (Ministre des Transports) et Agnès Pannier-Runacher (Ministre de la Transition Ecologique).

 

Autoroute presque vide filant vers un futur incertain. 

L'Atécopol est un collectif toulousain de plus de 200 scientifiques concerné·es par les enjeux écologiques. Il regroupe des spécialistes de nombreuses disciplines (climatologie, écologie, urbanisme, agronomie, économie, etc.), membres de tous les établissements d'enseignement supérieur de la région toulousaine. Ce collectif est une plateforme d'expertise du CNRS et il a largement contribué ces dernières années à former étudiant·es, citoyen·nes, élu·es et fonctionnaires de la région toulousaine aux enjeux écologiques, dans la plus large interdisciplinarité. Deux auteurs du GIEC en font partie.

Dans ce collectif à l'expertise reconnue, pas un·e seul·e membre n’est favorable à la construction de l'autoroute A69. Pas un. Pas une. Il s'agit d'un rejet unanime. Autrement dit, la politique d'aménagement du territoire que vous soutenez est contraire à l'avis des scientifiques toulousain·es les plus concerné·es par l'habitabilité de notre planète. Toutes et tous s'accordent sur le fait qu'il est crucial d'arrêter ces travaux au lieu de miser sur le passage en force. Il est plus que temps de mettre un terme aux pratiques d'aménagement obsolètes, vestiges d'un passé qui nous a mené·es au désastre climatique et écologique actuel.

Plusieurs instances consultatives, dont certaines regroupent des expert·es scientifiques, ont émis un avis défavorable à la construction de l'autoroute. Le Conseil National de la Protection de la Nature relève par le menu dans son avis défavorable la légèreté, voire les graves manquements du dossier justifiant l’autoroute[1]. Sa conclusion est sans appel : « Le CNPN ne considère pas les arguments invoqués comme suffisants pour constituer une raison impérative d’intérêt public majeur. Ce dossier s’inscrit en contradiction avec les engagements nationaux en matière de lutte contre le changement climatique, d’objectif du zéro artificialisation nette et du zéro perte nette de biodiversité, ainsi qu’en matière de pouvoir d’achat ». Le rapport remis au Commissariat Général à l’Investissement présente également des conclusions défavorables, mais sur d’autres points[2] : surestimation manifeste des gains de temps de parcours, hypothèses discutables sur le taux de croissance routier, conclusion contestable sur le lien entre développement économique et autoroute, large surdimensionnement de l’autoroute par rapport au trafic attendu, gains socio-économiques majoritairement dus à la valorisation économique du « confort », et absence de comparaison avec des projets alternatifs, notamment.

Nous, auteur·es de ce texte, souhaiterions par ailleurs insister sur cinq points. Le premier est que développer un projet permettant à plus de voitures individuelles de rouler plus vite sur de plus grandes distances est tout simplement, sur le principe, absurde au vu des enjeux climatiques. Il serait actuellement plus sensé de limiter fortement la vitesse sur les autoroutes existantes, et on est en droit d’espérer qu’une telle mesure sera prochainement prise par les autorités. Du point de vue de l’intérêt – par ailleurs très discutable – du temps de trajet diminué, une éventuelle limitation des vitesses sur l’autoroute ferait perdre tout bénéfice à ce nouvel aménagement. Cette projection sur le temps long et sur un futur désirable en matière de transport est complètement absente des scénarios présentés par l’entreprise concessionnaire de la construction.

Le deuxième est que voyager en voiture entre Toulouse et Castres émet pour l’instant 3 fois plus de CO2 que de le faire en TER et 8 fois plus que de le faire en autocar. Ce facteur pourrait monter à 25 si la ligne ferroviaire était électrifiée[3]. Alors que la France peine à tenir ses propres objectifs climatiques, comment justifier de construire une infrastructure qui entrera en concurrence avec les moyens de transport moins émetteurs ? Et ce alors que, en tant qu’habitant·es de la région toulousaine, nous vivons quotidiennement les insuffisances du réseau de transport en commun régional : autocars complets, trains régulièrement annulés et insuffisants. Ce projet aura pour effet d’accentuer les inégalités sociales et climatiques, car il consiste à développer un moyen de transport plus émetteur pour celles et ceux qui peuvent se payer un trajet rapide en voiture sur une autoroute à péage.

Le troisième point est que les recherches réalisées ces quarante dernières années dans le domaine de la géographie, de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire délivrent une vision du lien entre l’autoroute et le développement économique bien différente de celle des défenseurs de ce projet[4]. Il y apparait très clairement que le lien entre infrastructure autoroutière et développement n’est pas automatique, et peut même être négatif : les infrastructures autoroutières, en exacerbant la compétition entre territoires, ont surtout pour effet d’amplifier les dynamiques existantes, ces dernières dépendant plus des projets de territoire que des infrastructures elles-mêmes. Dans le cas plus précis de l’autoroute Toulouse-Castres, les analyses indiquent qu’il n’y a aucun enclavement de la région Castres-Mazamet, mais que « le projet d’autoroute A69 est avant tout un soutien au développement économique de la métropole toulousaine ». Ceci explique peut-être pourquoi de nombreux élus des petites villes de la région s’opposent à l’autoroute[5], qui pourrait n’avoir comme conséquence que l’accentuation de la polarisation des territoires et de l’exode rural, à l’heure où il devient de plus en plus urgent de ré-investir les campagnes, et où l’accroissement des métropoles pose de sérieuses questions de soutenabilité. 

Le quatrième point est que, en admettant même que cette autoroute ait un quelconque effet sur la croissance économique de Castres, nous considérons que cela ne justifie pas les pertes de terres agricoles, l’artificialisation d’espaces sauvages, les dommages sur la santé des populations induits par les centrales à enrobés, les expropriations, les dizaines de milliers de tonnes de CO2 qui seront émises au cours de la construction[6] et les milliers par an supplémentaires lors de l’utilisation[7]. Il est désespérant de constater que la seule boussole en termes d’aménagement du territoire et de politique publique soit la croissance économique, alors que cette dernière rend plus difficile le respect de l’Accord de Paris, comme cela a encore été récemment montré[8]

Le cinquième point concerne la compensation environnementale, que les acteurs favorables au projet mettent systématiquement en avant. Des mesures de compensation permettraient en quelque sorte "d'annuler" les dommages causés par la construction de l'autoroute. Or la validité de la compensation, que l'on parle de carbone ou d'impact écologique, est largement contestée dans la littérature scientifique. Notamment, la compensation écologique repose sur une vision de la nature problématique[9]. La définition d'équivalences requiert un découpage et une simplification à outrance des écosystèmes, à rebours d'une réelle approche écologique. Les décalages temporels et spatiaux sont ignorés. Non, un arbre centenaire ne peut être remplacé par cinq jeunes arbres : il est irremplaçable dans les échelles de temps qui nous concernent, en raison du carbone qu'il contient[10], qu'il continue de capter, des autres vivants avec lesquels il interagit, de son importance dans la régulation du cycle de l'eau et du microclimat local. Au-delà des difficultés techniques, l'existence même du principe de compensation tend à court-circuiter le débat sur la pertinence d'un projet, et décale les décisions vers le moins-disant environnemental : la possibilité de renoncer s'efface rapidement au profit de la compensation, présentée comme un moindre mal face à des dommages prétendument inévitables. Contrairement à son objectif affiché de préserver nature et climat, la compensation devient ainsi un outil au service de la prolifération de projets d'aménagement écocides, en dépolitisant les enjeux sociaux et économiques sous-jacents et en niant au passage le sens et la valeur des luttes environnementales[11]. Ces dérives ont bien été observées dans le cas qui nous occupe.

La mise en avant de mesures de compensation ne règle donc en rien les questions fondamentales : l'inutilité du projet, son incompatibilité avec les lois relatives à la transition énergétique et écologique, son orientation à l'opposé des nécessaires changements dont notre société a besoin, et son développement au mépris des règles démocratiques.

Plusieurs milliers de citoyen·nes ont affirmé leur opposition au projet dans le cadre de l’enquête publique ou de manifestations, notamment en avril dernier. Plusieurs personnes mettent aujourd'hui leur vie en danger, engagées dans une grève de la faim. Leur action peut sembler disproportionnée pour un projet d'aménagement du territoire. Pourtant, elle est à la hauteur des enjeux, et nous saluons leur courage. En effet, s'il est impossible de stopper un projet délétère, socialement injuste et peu légitime dans une démocratie pilotée par des hommes et femmes que nous espérons de conviction humaniste et conscientes des enjeux environnementaux et de leurs impacts sociaux, quel espoir peut-on encore avoir pour relever les défis autrement plus importants qui nous attendent ?

Après l'été que vient de vivre notre planète, après les catastrophes endurées par les habitant·es de nombreux territoires, alors que Toulouse a battu son précédent record de chaleur de pratiquement 2°C, et tandis que la France continue d’affirmer son souhait de respecter ses engagements climatiques internationaux, nous nous demandons sincèrement ce qui peut justifier de continuer un tel projet contre l'avis des scientifiques et des citoyen·nes. D'autres responsables politiques ont eu la sagesse et la lucidité de renoncer à la construction de grandes infrastructures de transport, comme à Notre-Dame-des-Landes. En tant que scientifiques, nous considérons que changer d'avis face aux faits est une qualité intellectuelle précieuse et que vous sortirez grandi·es en revenant sur votre position. 

La mobilisation citoyenne, organisée dans plusieurs collectifs, a fait émerger des projets d'aménagement alternatifs enthousiasmants et à la hauteur de la bifurcation nécessaire pour nos sociétés face à l’urgence écologique : véloroutes, agro-écologie, haies bocagères, ressourceries, productions alimentaires locales, arrêts de train supplémentaires[12]. Au contraire, votre projet d’autoroute, en plus d’être délétère pour les écosystèmes et les humains, n’est pas porteur d’un imaginaire désirable.

Ce texte est issu des réflexions collectives de l’Atécopol. Il a été rédigé par Geneviève Azam, Marianne Blanchard, Guillaume Carbou, Julian Carrey, Florian Debras, Jean-Louis Hemptinne, Gabriel Hes, Jean-Michel Hupé, Sylvain Kuppel, Olivier Lefebvre, Odin Marc, Valentin Maron, Soizic Rochange, Sébastien Rozeaux, Laure Teulières et Laure Vieu, avec le soutien des membres de l'Atécopol listé.es en fin d'article.

[1] Avis du Conseil National de Protection de la Nature, référence n°2022-00417-011-001 (2022)

[2] « Contre-expertise de l’évaluation socio-économique du Projet de liaison autoroutière Castres ― Toulouse », A. Breerette, J. Ni, V. Marcus, Conseil Général à l’Investissement (2016)

[3] Un train TER gazole émet environ 80 gCO2/pass.km, un train électrifié environ 9 gCO2/pass.km, un autocar 30 gCO2/pass.km, une voiture moyenne 231 gCO2/km et une voiture électrique d’entrée de gamme 100 gCO2/km (source : base empreinte, ADEME). Pour la ligne ferroviaire Toulouse-Mazamet, la région a malheureusement choisi de ne pas électrifier la ligne, mais d'y faire circuler un train hybride, ce qui devrait en principe conduire à des réductions d'émissions de CO2 de seulement 40% par rapport au diesel. Après ces travaux, prendre le train plutôt que la voiture serait néanmoins toujours 5 fois moins émetteur que la voiture. On peut également noter que le train électrique reste largement favorable par rapport à la voiture électrique (facteur 11).

[4] « Note sur les « effets structurants » de l’A69, le « projet de territoire » et le « désenclavement » de Castres-Mazamet », R. Bénos et F. Taulelle, HAL SHS (2023)

[5] « Ménageons nos territoires : non à l'A69 ! », M. Lacoste, Club Médiapart (19 juin 2023)

[6] « Pièce F - Étude d’Impact Unique actualisée Pièce F2 - Étude d’impact unique actualisée des projets A680 et A69 - Castelmaurou – Castres », Atosca (2022)

[7] 9000 voitures par jour sur 50 km, qui émettent 50 gCO2/km supplémentaires en roulant à 130 km/h au lieu de 90 km/h émettent environ 8200 tonnes/an. La courbe des émissions en fonction de la vitesse proviennent des données publiées par le Cerema : « Émissions routières des polluants atmosphériques : Courbes et facteurs d’influence », Cerema (2021)

[8] « Is green growth happening? An empirical analysis of achieved versus Paris-compliant CO2–GDP decoupling in high-income countries », J. Vogel, J. Hickel, The Lancet Planetary Health 7, e759-69 (2023)

[9] « Why bartering biodiversity fails », S. Walker et al., Conservation Letters 2, 149–157 (2009)

[10] « Protecting irrecoverable carbon in Earth’s ecosystems », A. Goldstein et al., Nature Climate Change 10, 287–295 (2020).

[11] « Biodiversity offsetting and conservation: reframing nature to save it », E. Apostolopoulou, W. Adams, Oryx 51, 23 – 31 (2015)

[12] « Castres – Toulouse : un projet de territoire sans A69 », Une autre voie (2023)

Membres de l'Atécopol soutenant cet article :

Camille Besombes, médecin épidémiologiste

Gabriel Hes, doctorant climat et écologie forestière

Hubert Caquineau, Enseignant-Chercheur

Jean-Philippe Decka, Doctorant en sciences de gestion

Eric Rémy, Enseignant-chercheur en sciences de gestion

Gaël Plumecocq, Chargé de recherche en science économique

Alexandre Gondran, enseignant-chercheur en informatique

Adeline Grand-Clément, Enseignante-chercheuse (histoire)

Julien Gros, Chargé de recherche (sociologie)

Corinne Eychenne, enseignante-chercheuse (géographie)

Florian Debras, Chargé de recherche en astrophysique

Didier Poilblanc, directeur de recherche en physique théorique

Laurence Huc, chercheuse

Régis Missire, enseignant-chercheur en sciences du langage

Barbara Köpke, enseignante-chercheur en sciences du langage

Marieke Van Lichtervelde, chercheuse IRD, Géosciences

Marco Faggian, chercheur CNRS, Physique Théorique

Jean-Marc Pierson, enseignant-chercheur en informatique

Gaël Ginot, post-doctorant, physicien

Garance Castino, doctorante en physiologie du vieillissement

Paul Castagné, doctorant en écologie

Julien Milanesi, enseignant chercheur en économie

Claire Couly, docteure ethnobiologiste

Emmanuel Discamps, chercheur CNRS (archéologie)

Laurence Maurice (chercheuse IRD, géochimie environnementale)

Floriane Clément, chargée de recherche en géographie humaine

Romain Guilbaud, chercheur CNRS Géosciences

Charlène Arnaud, enseignante-chercheure en sciences de gestion

 

Source : https://blogs.mediapart.fr/atelier-decologie-politique-de-toulouse/blog/240923/les-200-scientifiques-de-l-atecopol-demandent-l-arret-immediat-des-trav

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