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mardi 26 septembre 2023

Avec la famille de Kamel Daoudi, assigné à résidence depuis quinze ans : «A-t-on le droit de retrouver une vie normale ?»

Avec la famille 

de Kamel Daoudi, 

assigné à résidence 

depuis quinze ans :

 « A-t-on le droit 

de retrouver 

une vie normale ? »

 


 Par Lisa Douard, envoyée spéciale à Aurillac (Cantal)

Publié le 21 septembre 2023

 

Afin de dénoncer les conditions d’assignation à résidence, pour une durée indéterminée, de son mari, Sandra a entamé une grève de la faim et de la soif lundi 18 septembre. Un « acte de résistance pour être entendue en tant que personne à part entière ».

Sandra se tortille sur le canapé pour trouver une position à peu près confortable. Celle qui ne sollicitera pas trop son dos, lui fera oublier les crampes d’estomac. Son compagnon se tient à ses côtés, dans cette pièce à vivre sommairement meublée – « s’il vient à être de nouveau transféré, toutes ses affaires doivent rentrer dans le coffre d’un fourgon », précise la quadragénaire au visage émacié. Kamel Daoudi et elle se sont rencontrés dans la Creuse en 2008. Il venait d’achever six ans de prison pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». On lui reproche d’avoir été impliqué dans un projet d’attentat contre l’ambassade des Etats-Unis à Paris, ce qu’il a toujours nié.

Déchu de sa nationalité française, l’homme de 49 ans est sous le coup d’une interdiction du territoire français (ITF). Mais non expulsable vers l’Algérie, qu’il a quittée à l’âge de 5 ans, où la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) reconnaît qu’il risque des « traitements dégradants et inhumains ». En attendant une solution qui semble ne jamais se présenter, le père de famille est assigné à résidence pour une durée indéterminée. Depuis quinze ans, il est ballotté de villes en villages, à des centaines de kilomètres de son foyer. Une vie « au carrefour d’Ubu roi de Jarry et du Procès de Kafka », écrit-il dans sa biographie Twitter (renommé X), réseau sur lequel il poste chaque jour des nouvelles de sa femme. Sandra a commencé une grève de la faim et de la soif lundi 18 septembre, à partir de 10 heures.

« C'est plus facile de s'en prendre à moi »


Quelques jours plus tôt, la CEDH a jugé irrecevable la demande de Kamel Daoudi de mettre fin à son assignation. Motif : les voies de recours internes à la France n'ont pas encore été épuisées ; il faudra réessayer dans cinq ans. « La forme est contestée mais les arguments de fond, qui dénoncent le traitement dégradant, les arrestations arbitraires et l'impossibilité d'avoir une vie privée et familiale n'ont pas été étudiés », tente de positiver leur avocat, Me Emmanuel Daoud. Les innombrables procédures vont reprendre. « C'était notre dernier espoir. On finit par perdre le goût de la vie. Aujourd'hui, je fais un acte de résistance pour être entendue en tant que personne à part entière. Il y a Kamel mais nous aussi on existe et on souffre », explose Sandra qui vit avec leurs trois petits à deux heures de route, et épuisée de faire le trajet tous les week-ends. « Je ne supporte plus cet isolement. A-t-on le droit, mère et enfants, de retrouver une vie normale ? Personne n'imagine tout ce qu'il s'est passé en quinze ans. » Les dénonciations des voisins déchaînés par la presse locale, les regards accusateurs et surnoms dans la cour de l'école, les manifestations sous leurs fenêtres. « C'est plus facile de s'en prendre à moi, la femme de », appuie-t-elle. Ils ont pris l'habitude de comparer l'assignation de Kamel Daoudi à « une prison à ciel ouvert », dont le périmètre est celui de la commune choisie par les autorités. Environ 29 kilomètres carrés pour Aurillac, le septième et actuel point de chute en quinze ans. Pointage deux fois par jour, parfois plus. En 2016 - période d'état d'urgence -, un couvre-feu de 21 heures à 7 heures a été ajouté, sans jamais être levé depuis. « Il n'y a pas vraiment d'explications données à ces changements qui reposent sur un motif général de prétendue dangerosité. Des obligations sont souvent renforcées selon l'actualité : alertes attentats ou recrudescence des risques terroristes, sans justification le concernant personnellement », défend Me Daoud. Alors que son client cuisinait dans un café associatif en 2020, ses 25 minutes de retard à l'heure de pointage lui ont valu quatre mois de prison.


Victimes collatérales


Avant le Cantal, il y a eu la Charente-Maritime et, encore avant, le Tarn, où Sandra avait
obtenu sa mutation pour enseigner dans une classe spécialisée. Le couple avait acheté une ferme à retaper, celle où vit encore l'institutrice. « Les enfants ont une forme de stabilité grâce à ça. On ne peut pas revendre la maison dans cet état et je peux être envoyé ailleurs à tout moment », explique à son tour Kamel Daoudi, interdit de travailler. Contacté par Libération au sujet de ces conditions qui pèsent sur toute la famille, le ministère de l'Intérieur n'a pas répondu. La femme et les enfants sont des victimes collatérales. « L'acharnement de l'Etat à maintenir ces restrictions, alors que la peine de prison a été purgée, a de lourdes conséquences sur l'entourage. Ce genre de mesure administrative devrait être mieux encadrée car, aujourd'hui, la loi française permet des abus manifestes », estime Nicolas Krameyer, ancien responsable du programme Libertés au sein d'Amnesty France, qui a participé à une enquête sur les dérives « de la lutte contre le terrorisme » en 2019, et dont un chapitre est consacré au cas Daoudi. Le document liste une dizaine de recommandations, comme « ne pas imposer de mesures de contrôle administratif sur la base d'informations secrètes » ou « évaluer l'impact discriminatoire potentiel des mesures de contrôle administratif adoptées dans le cadre de l'anti-terrorisme, et rendre cette évaluation publique ».


A l'étage, les trois enfants jouent à déchiffrer des énigmes. Un jour, celui de 9 ans a dit à son père qu'il deviendrait policier pour être présent pendant les transfèrements. Il s'était ensuite mis à collectionner les clés. En voiture, l'ado s'enquiert toujours de savoir s'ils roulent « dans la zone autorisée » et si l'heure de pointage n'est pas dépassée. La fratrie rêve de manger des glaces sur la plage. Ils ne sont jamais partis en vacances. Le soir, Sandra écoute le bruit des vagues sur son téléphone pour trouver le sommeil

 

Source : https://www.liberation.fr/societe/avec-la-famille-de-kamel-daoudi-assigne-a-residence-depuis-quinze-ans-a-t-on-le-droit-de-retrouver-une-vie-normale-20230921_EXSFZICSQFCJ7IKZMC7MSN3Z4Q/

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