Tout le monde
déteste Sun’ Agri
Dans notre précédent numéro, nous présentions comment les margoulins de l’agro-industrie tentent de transformer les paysan.nes en cultivateurs de kilowatts. Afin d’y parvenir les financiers misent sur le Cheval de Troie de l’agrivoltaïsme. Cela tombe bien, le meilleur jockey du moment se nomme Sun’Agri, et se dore sous le soleil des Pyrénées-Orientales…
Il faut « couvrir de panneaux entre 100 000 et 200 000 hectares » affirme le ministère de la Transition (1), soit l’équivalent des départements de l’Essonne ou des Yvelines ! C’est pourquoi le projet de loi relatif à « l’accélération de la production d’énergies renouvelable », en cours de discussion à l’Assemblée, détourne habilement l’attention en mettant en avant « l’agrivoltaïsme » : un terme marketing visant à faire croire que des panneaux vont entrer en « synergie » avec l’agriculture et l’aider à devenir résiliente face au changement climatique. Bien sûr, la loi n’interdit pas les autres projets photovoltaïques (PV) sur des terres agricoles qui vont se cumuler avec ceux estampillés agrivoltaïques. Et si en façade les industriels assurent répondre aux besoins des paysan·nes, François Pelras, développeur chez Eneragri, fait preuve de franchise : « C’est d’abord une réponse aux demandes exprimées par les marchés de l’alimentation et de l’énergie » (2).
En outre, ces investisseurs prospèrent sur le dos de paysans précarisés. Ainsi une paysanne qui a passé un contrat pour couvrir de panneaux solaires ses 33 hectares admet toucher 38 000 euros par an . « Avant elles vous rapportaient quoi ces terres ? », questionne France 2 : « Des dettes », leur répond l’agricultrice (3). Une situation que déplore Alain Halma, directeur adjoint de la Chambre d’Agriculture des P-O : « Une location pendant 20 ou 30 ans à 2000 euros par hectare [par an]. Imaginez ça, un ancien agriculteur, il a 10 hectares, cela lui fait 20 000 euros, c’est quatre fois sa retraite : que vous voulez-vous qu’il dise ? ».
L’Intelligence Artificielle de Sun’ Agri
Sun’R est encore un « petit » du secteur du renouvelable, mais son PDG Antoine Nogier voit grand. Il tente en 2011 une alliance avec Total qui échoue, mais il maintient son objectif visionnaire : « Conduire la révolution énergétique de manière positive, rapide et totale ». Depuis, avec 120 salarié·es et 140 millions d’euros investis dans 150 centrales photovoltaïques industrielles, cet homme d’affaire a flairé la bonne affaire avec « l’agrivoltaisme dynamique » dont il prétend déjà être le leader mondial via sa filiale Sun Agri.
L’origine de ce concept fumeux provient de sa rencontre avec Christian Dupraz, agroforestier à l’INRAE qui invente le terme « agrivoltaïsme ». Comme par hasard Dupraz est aussi corédacteur du rapport de l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie) qui légitime le PV au sol tel que Sun’ Agri le défend, et dont les grands principes se retrouvent dans la loi Énergies renouvelables. Alors que Sun’ Agri se drape de son « agrivoltaïsme exigeant, harmonieux » (4), son dirigeant et président du lobby France Agrivoltaïsme nous déclare qu’il est tout bonnement « un fournisseur de technologie d’intelligence artificielle. Notre métier c’est celui-là, on est une boîte de technologie ».
Lorsque Sun’ Agri installe son projet pilote sur des hectares de vignes dans les P-O, Jean Blin de l’association de protection de la nature Frêne, questionne : « L’équipe de FR3 n’a-t-elle pas vu les longs tuyaux noirs d’arrosage qui courent au pied des vignes sous les ombrières photovoltaïques ?». Une irrigation des vignes dénoncée par Kees Van Leeuwen, professeur de viticulture à Bordeaux : « On peut parler d’une « mal adaptation. » Tandis que selon lui « l’enherbement est une bonne stratégie, comme l’agroforesterie ». Plutôt que ces installations à 800 000 euros l’hectare pilotées à distance par algorithmes, il rappelle que « la conduite historique en gobelet très répandue dans le bassin méditerranéen rend la vigne incroyablement résistante à la sécheresse » (5).
L’âpre goût de la pédagogie
Les « Aspres » sont une région aride des P-O. C’est là que la cave coopérative du Terrassou défend des paysages « sauvages, bruts et préservés » placés « sous la bienveillance du Mont Canigou », au pied duquel « les collines se parent de vignes, de champs d’oliviers et de garrigues ». Et de panneaux… car Sun’ Agri a plusieurs projets en plein cœur de l’appellation Les Aspres. Patrice Perez, administrateur de la Cave, nous révèle que les vignerons se sont opposés au projet sur la commune de Terrats : « On aurait aimé que cela se casse la gueule.» Sa description des méthodes des représentants de Nogier, qui a besoin que des viticulteurs s’occupent des vignes sous les panneaux, en dit long : « Cela aurait intéressé Sun’Agri que mes enfants reprennent une partie de leur exploitation. J’ai discuté avec un intermédiaire, Christophe Koch. Et de là… ils sont arrivés à la mairie avec la ferveur de dire « c’est les enfants de Monsieur Perez qui vont reprendre cela ». À la mairie, forcément cela leur a fait plaisir, ils sont natifs du village, c’est deux gamins qui s’installent. À un moment donné c’est arrivé à mes oreilles et tout le monde me disait : mais Patrice, tes enfants reprennent cette exploitation, comment cela va se passer ? » Pourtant Patrice Perez n’a jamais rien négocié de tel avec Sun’ Agri : « Ils ont avancé des choses, pour prétendre avoir des arguments pour le permis de construire. Alors cela m’a un peu refroidi sur le coup ».
Du côté de la mairie de Terrats, l’adjoint Denis Ferrer est catégorique : « On avait voté à l’unanimité contre le projet ! C’était en bordure d’un chemin de randonnée, avec une vue imprenable sur le Canigou. Il n’ y a pas eu de concertation, on nous l’a présenté comme accompli.» Mais suite à un recours gracieux d’Antoine Nogier, cette mairie a été contrainte d’accepter leur projet. « Quand il y a eu le recours tout le monde a botté en touche », précise t-il.
Dans son art éculé de l’euphémisme, Antoine Nogier nous relate ainsi la chose : « La mairie ne s’oppose pas. Il y a eu des questionnements au début. L’agrivoltaïsme, cela nécessite beaucoup de pédagogie. Sun’Agri a sollicité un recours gracieux apportant des éléments complémentaires d’explication du projet, qui ont de toute évidence convaincu la mairie puisque celle-ci a accordé l’autorisation sollicitée.»
Des explications qui n’ont pourtant pas convaincu la Chambre d’Agriculture. « Pour nous c’était un avis négatif que l’on a transmis à la société. Il y a des impacts qui sont quand même significatifs et il faut que la commune soit d’accord avec ce projet », nous confie Alain Halma le directeur adjoint.
Terroirs de profits
Pourquoi est-ce la mairie de Terrats qui a instruit les permis de construire et non les services de l’État ? Agathe Triaire, en charge des Énergies à la Chambre, m’explique que les ombrières à 11 mètres du sol de Sun’ Agri sont « considérés comme un bâtiment agricole, et donc c’est instruit par les mairies, contrairement aux centrales au sol qui sont directement transmis à la préfecture ». Mais comment différencie-t-on un projet dit « agrivoltaïque » d’un autre projet au sol ? « C’est la difficulté et effectivement c’est ambigu, parce que c’est finalement juste une question de sémantique et c’est quand même plus simple d’aller en mairie qu’à la DDTM [Direction des Départements des Territoires et de la Mer]. C’est au bon dire du pétitionnaire, parce finalement il suffit qu’il écrive agrivoltaïque ». Cela fonctionne donc comme une auto-certification ! Elle ajoute qu’il leur est impossible d’avoir une vue sur le nombre de projets dans le département : « C’est une vague. C’est terrible de ne même pas avoir la vision de cela ».
Agathe Triaire nous resitue le contexte : « Avant c’était un « non » généralisé. C’est vrai qu’il y a eu une grosse pression sur le nombre de dossier, même au niveau politique, d’aller sur les terres agricoles ». Puis de questionner : « Est-ce une opportunité pour l’agriculture ? Non je pense pas. C’est pas ça qui va redynamiser le secteur agricole et qui va augmenter les productions agricoles, ça c’est sûr ». La prudence reste aussi de mise chez son collègue Julien Thiery, en charge de la viticulture : « Je mettrai ni ma carrière ni ma vie en jeu pour défendre farouchement l’agrivoltaïsme ! »
Comment ensuite prendre au sérieux Antoine Nogier lorsqu’il prétend « essayer de maintenir les terroirs tels quels » ? À nos demandes d’explications, celui-ci répond légèrement agacé : « Quand vous êtes dessous, je ne trouve pas cela moche ; s’ il y en avait dans tous les champs à perte de vue, je trouverais cela moche bien sûr. Je dirais : « Cela suffit, j’en ai ras-le-bol » . Et agacé, Patrice Perez l’est par le projet de Nogier : « Cela va être clôturé, cela va fermer, cela va être industriel. C’est implanté dans le cœur de notre vignoble ». Nous joignons Célia qui est voisine des parcelles où Sun’Agri a déposé deux permis de construire. Elle nous explique que « Sun’ Agri a tout rasé. Ils ont enlevé les vieilles vignes, ils ont arraché des arbres, alors les écolos j’aimerais bien les voir. Avec le centre équestre, je vais me retrouver à faire des balades à cheval dans le photovoltaïque. Moi je m’étais mise là car il y a pas de fil électrique, y a pas une baraque, y a rien. On m’a fait galérer pour les permis de construire pour des abris pour chevaux et je n’ai pas obtenu l’autorisation. Et les mecs ils arrivent là et ils vont faire des hectares et des hectares de panneaux photovoltaïques qui vont gâcher complètement les Aspres. C’est un peu rageant ».
Quant à la préservation du terroir chère à Nogier, il semble que l’INAO (6), en charge des appellations agricoles, ne soit pas sur la même longueur d’ondes. Un de ses responsables, Gilles Flutet, se demande si « ce type de process ne met pas à mal cette naturalité ? Une centrale photovoltaïque au sol même lorsqu’il y a de l’agriculture, quand c’est sur des zones d’appellation, nous on donne des avis défavorables en disant clairement qu’il faut garder ces terres pour produire de l’appellation et pas pour faire des projets qui n’ont rien à voir avec les terroirs et les enjeux de la région.» Ce qui n’a pas l’air de déranger Nogier qui tente de nous convaincre : « Acceptez qu’il y aura 150 000 hectares de couverts avec des panneaux (…) C’est ce que je m’évertue à dire dans la tournée des CDPENAF (7) : si vous bloquez tout, ceux qui vont gagner c’est les grands lobbys avec des giga projets qui vont remplacer l’agriculture. Dire non, c’est les servir, vous allez faire le nid de ces gens-là. Y a rien de pire que les positions jusqu’au-boutistes », s’énerve t-il. « Si vous faites des trucs à charge sur l’agrivoltaïsme,vous ne servez que ces gens-là. Faites attention à ce que vous écrivez », nous met-il en garde. L’inversion accusatoire est bien maîtrisée. Nogier cherche à faire oublier que son modèle détruit l’agriculture paysanne telle que défendue par la Confédération Paysanne. Il n’y a « rien de pire » que les lobbys agrivoltaïques qui servent médiatiquement de caution éthique et empêchent la condamnation des projets financiers.
Le cow-boy de Sun’Agri
Alors que Nogier dénonce ses concurrents et leurs « cow-boys qui parcourent la pampa » (8), revient souvent le nom de Christophe Koch qui joue l’intermédiaire pour Sun’ Agri. Alain Halma, responsable de la Chambre, le pointe du doigt : « À partir du moment où vous avez quelqu’un qui fait le battage, que ce soit Sun’ Agri ou les autres, qui cherche des terrains en proposant des prix de vente qui sont au-dessus du prix du marché, le propriétaire qui sait que cela se passe comme cela, il dit « je vends pas, j’attends qu’ils viennent me voir » ». Simon Molinier, animateur de Terre de Liens dans les P-O, confirme : « Dans les Aspres, on a été à la rencontre des propriétaires qui attendent toujours la proposition de telle ou telle société parce qu’ils ont été contactés par un commercial et tant qu’ils ont cet espoir, ils vont rien faire du côté agricole ». Est-ce que Sun’ R, la holding qui chapeaute Sun’Agri en arrive à être propriétaire de terres ? Joint par téléphone, Nogier nie farouchement :
«- Non, Sun’ R n’est pas propriétaire de domaine viticole.
– Et à Fourques, les 14 hectares rachetés par Sun’ R ?
– Non c’est une erreur, Sun’ R n’a jamais acheté des domaines viticoles, de qui tenez-vous cette information ? Faut faire attention à ce qui se dit, Sun’R n’a jamais acheté de domaine viticole, Sun’ Agri non plus ».
Pourtant nous découvrons qu’en juin 2022, la SAFER (9) a envoyé à la mairie de Fourques l’avis de rétrocession de 14,5 hectares à la SCI Nos Terroirs Solaires Pyrénées-Orientales, pour la modique somme de 232 000 euros, soit 16 000 euros l’hectare. Comme bénéficiaire de cette SCI, on retrouve Antoine Nogier, qui détient 92,3% des droits de vote. Qui plus est, l’établissement secondaire de cette SCI, NTS-SolAspres, est détenu à 99% par Nos Terroirs Solaires Développement qui a pour objet « l’acquisition de domaines viticoles et agricoles ». Antoine Nogier en est aussi le président.
De nouveau questionné, il réfute encore : « Sun’R n’achète pas de vigne », avant d’admettre à demi-mots : « Je suis engagé dans une initiative à but social, consistant à remettre en état d’exploitation des vignes délaissées ou sans repreneur, pour y installer de jeunes agriculteurs, dans une exploitation modernisée et pérennisée. C’est dans ce cadre et avec un partenaire financier tiers que l’achat a été réalisé ». C’est donc à minima une trentaine d’hectares que Nogier rachète en quelques mois dans les Aspres.
Quant au projet à Terrats, l’émissaire de Sun Agri est plus prompt aux aveux. « Ces terres ont été proposées 3000 euros l’hectare, et nous on les a rachetées aux alentours de 10 000 euros l’hectare » m’avoue Christophe Koch, qui ajoute : « C’est des montages. Vous prenez le groupe Sun’R, ils achètent avec une SCI. Il y a des structures dédiées au foncier, mais là c’est fiscal, et d’un point de vue fiscal, on achète avec des SCI ». Mais en plus de racheter des terres à des prix mirobolants, Sun’ Agri les obtient alors que la Cave du Terrassou était intéressée afin de les redistribuer aux coopérateurs. En outre, la SAFER octroie ces mêmes terres à Sun’ Agri alors qu’il existait à minima une autre candidature officielle d’un jeune agriculteur. L’ex-président des JA, Pierre Pagnon, nous confirme cette histoire : « Je trouve cette situation regrettable et j’aurais aimé éviter ce rachat par Sun’Agri. Ce genre de projet, on a beau les refuser, il y en a de plus en plus ». Ce que déplore Agathe Triaire de la Chambre : « Forcément, le rachat des terres par les porteurs de projets implique qu’il y a du foncier bloqué, du foncier qui est plus cher. Une terre agricole, c’est grand, c’est plat, c’est une carte blanche pour faire ce qu’ils veulent. C’est sûr que ce n’est pas du tout la bonne solution. Toutes les sociétés se tournent vers les terres agricoles, on est bien obligés de rentrer dans ce jeu-là, en tout cas de donner notre avis ».
Convergences d’intérêts
Comment la SAFER a-t-elle pu attribuer des terres à Antoine Nogier ? Plusieurs hypothèses apparaissent. Selon Pierre Pagnon, « quand un investisseur ne fait pas de chichis pour acheter une terre qui est à côté, alors que le jeune agriculteur va être en difficulté financière pour aller racheter des lots complets, la SAFER, elle va favoriser le plus offrant. C’est une distorsion de concurrence, mine de rien, qui est claire. »
Le rôle des élu·es de la Région issu·es des P-O pose aussi question. La vice-présidente Agnès Langevine souhaite faire sauter tous les verrous de l’implantation du PV (10), c’est donc tout naturellement que sa collègue qui siège à la SAFER, Judith Carmona, se retrouve radieuse et côte à côte avec Antoine Nogier pour couper le ruban d’inauguration de la centrale de Sun’ Agri à Llupia. Alors même que la Confédération Paysanne affirme que « notre métier n’est pas de produire de l’énergie » et qu’elle dénonce Sun’ Agri (11), cette ancienne secrétaire nationale du syndicat a refusé de s’exprimer.
Mais on va le voir, comme partout en France, ce sont les mêmes personnes qui tiennent la FNSEA, la chambre d’agriculture, les banques agricoles et… la SAFER. Quand ils ne sont pas aussi des investisseurs dans toutes sortes de sociétés liées à l’industrie énergétique. C’est ainsi que Sun’ R a fait entrer dans son capital le Crédit Agricole via sa filiale du Languedoc. Parallèlement, Groupama entre au capital de la filiale énergie renouvelable du Crédit Agricole. Cette dernière filiale est associée à Engie… qui s’est elle-même associée à Sun’ R en 2022.
Mieux encore, le président de la SAFER des P-O, Denis Basserie, est membre du bureau de la FNSEA des P-O et administrateur de Groupama Méditerranée. Parmi les autres membres de la SAFER, on retrouve Gérard Majoral, président de Groupama des P-O, Roger Pailles, qui en fut un dirigeant national, Annie Conte, administratrice régionale du Crédit Agricole, ou André Tomas qui dirige les affaires méditerranéennes de cette banque, par ailleurs ardent défenseur du photovoltaïque.
On constate aussi que des membres de la Chambre d’Agriculture, qui siège à la SAFER, ont des liens avec l’industrie de l’énergie. Ainsi Jean-Pierre Bails, 1er secrétaire général, est administrateur du Crédit Agricole Sud-Méditerranée. Mathieu Maury, secrétaire adjoint, dirige jusqu’en 2017 « La Garbelouse », une société dans le secteur des énergies renouvelables. Mais le plus intéressant est Bruno Vila, secrétaire adjoint à la Chambre, président de la FNSEA des P-O et mandataire de plus de 50 sociétés…
Bienvenue à Dollars Agri City
Le patron de la FNSEA locale dirige les entreprises Légum city et Horta de la mar, laquelle a pour objet « l’ acquisition d'exploitations agricoles pour la production d’électricité ». Ces boîtes détiennent Solar Agri City, toujours présidée par Vila, et celle-ci est associée avec Tenergie, le deuxième producteur d’électricité solaire en France : notre homme a le sens des montages financiers ! La société Saint Laurent Solar était aussi entre les mains de Bruno Vila, avant qu’il ne démissionne – mais il reste au capital – et laisse la place à Eric Gay, propriétaire du groupe Valeco, un des plus grands acteurs du photovoltaïque. Citons encore Vertisolar, avec laquelle il s’achète un château à 500 000 euros, ou Sud Roussillon Agri Solar, fondée en 2011 par Vila et qui se fait absorbée par Tenaoc-Battle pour la coquette somme de 7 millions d’euros… Surprise, cette dernière société est liée à Pierre Battle, également au bureau de la FNSEA à ses côtés, et dont l’entreprise est majoritairement détenue par Ténergie. Autant dire qu’en réunion de bureau de la FNSEA à Perpignan, on parle plus de Ténergie et du marché de l’électricité que de paysannerie !
Signalons que c’est chez Pierre Battle à Llupia que Sun’ Agri vient d'inaugurer sa centrale sur poirier, dont le ruban a été coupé par Judith Carmona, élue de la Région. Sun’Agri qui vient de se lier à Tenergie via sa filiale Volterres… Nous n’oublions pas le président de la Coordination rurale siégeant à la SAFER, Philippe Maydat, qui a signé deux baux sur ses terres pour installer des centrales de PV de Tenergie. Bref, l’écosystème « vertueux » des barons de la FNSEA et de la Coordination Rurale – dont Sun’ Agri recueille les fruits – fiche une insolation !
Du noir ou du vert ?
Au vu des critiques portées à l’agrivoltaïsme, on est en droit de s’étonner de la position de France Nature Environnement qui n’appelle pas à l’interdiction du PV au sol, étant même partenaire d’une centrale en Provence défrichant 600 oliviers (12). Quant à Greenpeace, qui se contente de prôner un encadrement plus strict des projets au sol, elle soutient la première centrale agrivoltaïque d’Europe dans les P-O, construite par Christophe Koch, et se félicite que « l’exploitant du parc [prenne] en charge la taxe foncière et paie un loyer [aux paysan·nes] de 1950 € par hectare et par an ». Pis encore, ces projets prospèrent sur la baisse des dotations de l’État aux communes. Ainsi l’industriel Juwi’ Enr effectue un don de 1,25 millions d’euros à la mairie, et l’ONG jubile que la commune puisse ainsi construire « une aire de jeux pour les enfants de 300 000 euros » (13).
Mais Benoît Bousquet, responsable des JA, réalise qu’en travaillant pour Sun’ Agri, « si, du jour au lendemain, cela ne marche pas, les terres sont plus à nous. Cela me plaît pas trop que je doive rendre des comptes à quelqu’un. Cela dénature un peu le métier, niveau paysage, niveau tout ». A l’ INAO, Gilles Flutet abonde dans ce sens : « Il faut que l’agriculteur reste maître de sa production et ne doit pas dépendre d’un producteur d’énergie renouvelable. L’origine de la propriété est un vrai sujet qui fait partie des questions que l’on se pose dans les instances. » Benoît Bousquet conclue : « Au lieu d’avoir du vert, y’ aura du noir, on verra d’abord les panneaux photovoltaïques ».
En pleine fièvre agrivoltée dans les Pyrénées-Orientales et alors que l’ombre des panneaux grandit dans tous les départements, La Conf’ affirme qu’en « mettant notre outil de production à leur disposition, nous les enrichissons et dépossédons les paysan·nes de leur autonomie. Favoriser le photovoltaïque sur les terres agricoles est un choix politique que rien, dans un budget étatique, ne peut justifier. Nous appelons à refuser massivement ces projets et exigeons leur interdiction sur toutes les terres agricoles, naturelles et forestières ».
texte : Loïc Santiago / Images : Pierro
Enquête entière sur CCAVES.ORG/photovoltaïque
1 : « Christiane Lambert, Il faut identifier des terres où produire du solaire », Terre.net, 11/11/22.
2: « Abris photovoltaïques », L’Agri, 01/10/22.
3 : Journal de 20h, France 2, 09/11/2022.
4: « Pourquoi le producteur d’énergie Qair s’associe à Sun’Agri », La Tribune, 08/04/22.
5: « Vendanges 2022. Millésimes, sécheresses et fumée », France Inter, 01/09/2022.
6 : Institut National de l’Origine et de la Qualité
7 : Commission Départementale de Préservation des Espaces Naturels Agricoles et Forestiers.
8: « La difficile quête de terrains », Le Monde, 10/03/21.
9: Société d’aménagement foncier et d’établissement rural
10: « Contre l’agrivoltaïsme, l’agriculture paysanne », L’Empaillé n°7.
11 : « Paysans, notre métier n’est pas de produire de l’énergie », Reporterre, 02/12/22.
12 : «Visite d’un parc photovoltaïque », Linkedln de FNE, juin 2022.
13 : « La manne inexploitée des Enr. 4 territoires en avance », Greenpeace, 2015
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