Le GIEC sort sa synthèse
et tout le monde s’en fout
Paloma Moritz
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Huit ans de travail pour publier son rapport de synthèse : le GIEC a
dévoilé lundi 20 mars, selon les termes du secrétaire général de l’ONU
un « guide de survie pour l’humanité ». Ce travail entamé en 2015 sur
l'état des connaissances scientifiques à propos du changement
climatique, les moyens de s'y adapter et les solutions pour l'atténuer
est malheureusement à nouveau éclipsé par l’actualité politique
française et le vote d’une motion de censure.
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Le 49.3 cette année, mais cela avait aussi été le cas lors de la sortie des précédents volets avec le transfert de Lionel Messi au PSG ou encore la guerre en Ukraine : la répétition de l’invisibilité médiatique des rapports du GIEC commence à peser lourd. Pourtant ces travaux devraient être diffusés sur tous les plateaux télé et rendus accessibles au plus grand nombre car leur prise en compte déterminera nos conditions de vie à moyen terme et la survie de l’humanité à long terme.
Cette synthèse, rédigée par 93 scientifiques, est la version la plus à jour de l’état des connaissances sur la science climatique. Elle a pour objectif d’éclairer les Etats dans leurs actions face à l’urgence (vaste projet). Elle résume à la fois les trois volets de son 6ème rapport mais aussi les trois rapports spéciaux sur les conséquences d’un réchauffement de 1,5°C, sur les terres et sur les océans (et la cryosphère).
La conclusion de cette synthèse est attendue : si les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas réduites immédiatement et de façon drastique dans tous les secteurs, conserver un monde vivable pour toutes et tous deviendra quasiment impossible.
« Il existe de nombreuses options réalisables et efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et s’adapter au changement climatique d’origine humaine, et elles sont disponibles dès maintenant. »
Les experts du GIEC
À
Blast, j’essaie autant que possible de vous donner les clés pour
comprendre l’urgence écologique et agir, c’est la raison pour laquelle
j’ai couvert les travaux du GIEC à travers des vidéos de décryptages et
des entretiens. Retour sur les grands enjeux de cette synthèse, du 6ème
rapport, le fonctionnement du GIEC et des vidéos pour aller plus loin !
Pour commencer, il conviendrait de se poser une question simple :
Qu’est-ce que le GIEC exactement ?
C’est le Groupe Intergouvernemental d’experts sur l'évaluation du Climat. Il a été créé en 1988 par le Programme des Nations unies pour l’environnement et l’Organisation météorologique mondiale.
Sa mission : fournir au monde une vision claire et des évaluations détaillées de l’état des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques sur les changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions potentielles et les stratégies de prévention. Il est le principal organe international chargé d’évaluer le changement climatique sans parti pris et réunit 195 pays membres. Des milliers de scientifiques du monde entier contribuent aux travaux du GIEC sur une base volontaire, à titre d’auteurs, de collaborateurs et d’examinateurs.
Ils sont répartis en 3 groupes : le groupe I est chargé des éléments scientifiques de l’évolution du climat. Le groupe II traite des impacts, de l’adaptation et de la vulnérabilité des sociétés humaines et des écosystèmes au changement climatique, le groupe III des solutions pour atténuer le changement climatique.
Pour travailler, ces scientifiques se basent sur des dizaines de milliers d’études scientifiques dont certaines qui mettent en doute le changement climatique ou l’attribution humaine et c’est à partir de ces études, de questions, de remarques qu’ils établissent une synthèse. À toutes les personnes qui pensent encore que le GIEC est un « lobby », un « organisme politique », que « le changement climatique est contredit par les faits », la façon même dont le GIEC fonctionne démontre que les données mises en avant sont incontestables. Elles peuvent d’ailleurs même être considérées comme précautionneuses (du fait des processus de validation) ou un peu « en retard » puisque le climat change encore plus vite que ce qui avait été prédit et que les rapports se basent sur des études d’il y a quelques années..
L’état des lieux des connaissances scientifiques
Le 9 août 2021, le GIEC dévoilait les conclusions du premier volet du 6ème rapport. Il confirme l’accélération du réchauffement de notre planète à un rythme sans précédent depuis 2000 ans. Les scientifiques sont plus certains que jamais que les activités humaines sont responsables du changement climatique et de tous les phénomènes de réchauffement observés depuis les 150 dernières années. Cette affirmation est basée sur 14 000 études scientifiques.
Le changement climatique a des conséquences irréversibles et d’autres que nous pouvons encore limiter. La température moyenne du globe s’est déjà réchauffée de 1,1°C (par rapport à l’ère pré industrielle 1850-1900), cela peut paraître peu mais c’est énorme. Pour s’en rendre compte, il suffit d’un chiffre : en 2010 nous étions à + 0,9°C de réchauffement moyen. Or ces 0,2 degrés supplémentaires ont tout changé. L’été que nous venons de vivre a marqué des millions de personnes avec son lot de sécheresse, de canicules et de feux de forêts. Souvenez-vous, 2010 ne ressemblait pas à ça… La mauvaise nouvelle c’est que si nous continuons sur cette voie là - le « business as usual », cet été risque d’être le plus agréable du reste de nos vies.
Sur les cinq scénarios étudiés par le GIEC, le plus pessimiste prévoit un réchauffement compris entre 3,3 et 5,7°C d’ici la fin du siècle. Le scénario médian, qui verrait la poursuite des politiques actuelles, nous mène tout droit vers un réchauffement à + 2,8°C. Et même dans un scénario plus « optimiste » où les engagements pris par les Etats seraient respectés nous irions tout de même vers un réchauffement de + 2,5°C d’ici la fin du siècle, avec des conséquences irréversibles sur les écosystèmes et les vies humaines.
Sans une action politique d’ampleur, le seuil des 1,5°C (qui constitue un possible point de bascule) sera très probablement atteint sur les 20 prochaines années, et dans les pires scénarios dès 2030.
Au-delà de cet empilement de chiffres, les
scientifiques nous rappellent que chaque fraction de degré compte, et
l’actualité nous le rappelle chaque jour. Chaque fraction de degré
supplémentaire entraîne des risques et des morts supplémentaires. Je
vous expliquais les conclusions de ce premier volet mais aussi le
fonctionnement et l’histoire du GIEC dans cette vidéo :
Toutes les vidéos sont à voir sur le site de l'article
Comment s’adapter au changement climatique ?
« Un terrible avertissement » c’est par ces mots que le président du GIEC a décrit le 2ème volet de leur 6ème rapport. Montée des eaux, pertes agricoles, canicules, manque d’eau, inondations… Nous pouvons constater que la situation s’est significativement aggravée et que les risques climatiques sont de plus en plus importants et font déjà des morts partout dans le monde. Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU a partagé son effroi à sa lecture « J’ai vu de nombreux rapports scientifiques dans ma vie, mais rien de comparable à celui-ci. C’est un atlas de la souffrance humaine et une accusation accablante de l'échec du leadership climatique. Je sais que partout, les personnes sont angoissées et en colère, il est temps de transformer cette rage en action ».
Pour les auteurs, il ne s'agit pas seulement de réduire nos émissions mais aussi de s'adapter aux effets déjà tangibles du changement climatique. Le deuxième volet du rapport 6 est très clair sur un point : « Tout retard supplémentaire dans l’action mondiale concertée et anticipée en matière d’adaptation et d’atténuation des effets du changement climatique manquera une brève occasion, qui se referme rapidement, de garantir un avenir vivable et durable pour tous. » Près de la moitié de l’humanité (3,3 à 3,6 milliards de personnes) vivent dans des contextes très vulnérables au changement climatique. Ces populations sont d’ors et déjà affectées de façon disproportionnée par le réchauffement et l’aggravation de la situation va non seulement exacerber les inégalités, mais rendre leurs territoires partiellement invivables. Le changement climatique et les événements extrêmes qui en découlent augmenteront considérablement les problèmes de santé et les décès prématurés à court et à long terme partout dans le monde. Sans parler du manque d’eau, des risques liés aux rendements en agriculture, des déplacements de populations causés par les effets du changement climatique… Il y a urgence à améliorer nos politiques d’adaptation, car certaines mesures ne seront bientôt plus possibles, par exemple pour les petites îles face à la montée des eaux. Elles n’auront bientôt plus les moyens techniques ou financiers pour empêcher la mer de recouvrir les terres, ces petites îles de l’océan Indien et du Pacifique sont à terme menacées de disparition. Il en va de même pour le Bangladesh où les inondations et l'érosion, dues au réchauffement climatique, chassent des millions de personnes de leur village.
C’est d’ailleurs l’un des caractères inédit de ce second volet : il a une approche beaucoup plus systémique et prend aussi en considération la justice sociale, climatique, les inégalités économiques et les discriminations…
Pour autant, le rapport insiste également sur les solutions à mettre en œuvre : il est encore possible de réduire les risques associés au dérèglement climatique en pensant des politiques d'adaptation ambitieuses et en évitant la mal adaptation..
Le GIEC l’affirme, si nous parvenons à contenir le réchauffement en dessous de la barre des 1,5°C, il y aura plus de bien-être, moins de risques, plus de justice, d’équité, une meilleure santé des écosystèmes, une baisse de la pauvreté. Ce qui demanderait plus de démocratie et de justice sociale.
Avec Camille Etienne, nous vous avions résumé les grands points de ce deuxième volet sur l’adaptation.
Pour aller plus loin, j’ai reçu Alexandre Magnan, co-auteur du GIEC,
chercheur senior en « adaptation au changement climatique » à l’IDDRI
pour comprendre comment nous adapter au changement climatique.
Les solutions pour atténuer le changement climatique
« Nous savons quoi faire, nous savons comment le faire, et maintenant il faut décider de le faire.» voilà ce que disait Jim Skea, co-président du groupe III, à propos du 3ème volet du sixième rapport dédié aux solutions.
Que nous disait ce volet ? Pour conserver une planète habitable pour toutes et tous, il nous reste un peu moins de 3 ans (désormais c’est plutôt 2) pour inverser la trajectoire de la courbe des émissions de gaz à effet de serre. Le GIEC appelle à prendre des mesures immédiates et dans tous les secteurs pour « garantir un avenir vivable.» Et la bonne nouvelle c’est que nous avons les outils pour cela. Il ne reste plus qu’à y aller pour éviter un monde invivable et ingérable. Le 4 avril 2022, Julia Steinberger, co-autrice du groupe III du GIEC déclarait « Nous implorons les citoyens d'écouter les scientifiques, de lire le rapport du GIEC, de prendre le message à cœur et de faire partie des personnes qui vont provoquer le changement. Autrement, on n’y arrivera jamais.»
Rappelons le ici, le coût de l'inaction est plus élevé que celui de l'action. Mais comment agir ? En transformant en profondeur nos sociétés nous disent les auteurs. Le rapport consacre pour la première fois un chapitre entier à la sobriété : « les politiques de sobriété évitent la demande en énergie, matériaux, eau et sol tout en offrant à chacun une vie décente dans les limites planétaires.» Les auteurs estiment qu’une action efficace sur la demande des ménages en énergie et biens manufacturés permettrait de réduire de 40 à 70 % les émissions mondiales de CO2 d’ici à 2050. Et ce sont majoritairement les pays développés qui devront faire ces efforts.
En effet, les habitants des pays les moins développés émettent en moyenne 1,7 tonnes de CO2 par an, contre 19 tonnes dans certaines régions du monde (en France, notre empreinte carbone est environ de 10 tonnes de CO2 par an par habitant). Dans le monde, les 10% des ménages les plus riches représentent entre 36% et 45% des émissions totales de gaz à effet de serre.
Le rapport détaille également les mesures à prendre en fonction des secteurs. Il s’agit de repenser les zones urbaines (rénovation thermique, développement des transports en commun, espaces verts pour absorber le carbone…) mais aussi l'agriculture avec l'agroécologie, changer les régimes alimentaires et réduire la consommation de viande, développer les voitures électriques…
Mais la mise en place de politiques de sobriété nécessite une métamorphose de nos économies et des politiques publiques transversales pour accompagner les citoyens. Comme le soulignait Yamina Saheb, co-autrice du groupe III du GIEC, dans une tribune au Monde « réduire la sobriété aux changements de comportement des individus serait une erreur fatale car les citoyens sont en vérité enfermés dans les solutions autorisées par les politiques publiques.»
Enfin, et c’est un point essentiel de ce rapport : « sans fermeture anticipée d’une partie des exploitations de charbon, gaz et pétrole, nous dépasserons un réchauffement de + 1.5°C.»
Il s’agit donc de fermer ces infrastructures fossiles plus tôt que prévu, de ne surtout pas en ouvrir de nouvelles et de développer les énergies renouvelables.
La protection des terres, des eaux douces et des océans de la planète (entre 30 et 50%) de façon « efficace et équitable » est aussi une condition essentielle pour préserver une planète habitable.
Qu’attendons-nous pour appliquer toutes ces mesures ? Pour vous permettre de comprendre ce rapport, les solutions qu’ils proposent et les blocages à l’action, j'ai reçu Céline Guivarch, directrice de recherche et économiste au CIRED, membre du Haut Conseil pour le Climat et co-autrice du groupe III du GIEC.
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