Bio et local :
quand les villes cultivent
elles-mêmes
leurs fruits et légumes
16 février 2022
Le maraîchage municipal charme de plus en plus. Un nombre croissant de villes veulent des produits bio et locaux pour leurs crèches et cantines scolaires, et créent donc leur propre régie agricole.
Maisons-Alfort (Val-de-Marne), reportage
Il faut demander la clé aux gendarmes en poste pour ouvrir le cadenas qui enserre les portes métalliques, juste derrière leur préfabriqué blanc. Ce n’est pas la clé des champs, mais celle d’une parcelle de 1 700 m2 qui serpente entre plusieurs immeubles et le mur du fort de Charenton, à Maisons-Alfort. Cette langue verte au pied de la bâtisse octogonale est propriété de la Gendarmerie nationale, installée dans l’enceinte depuis plus de soixante-dix ans. Elle a signé en mai 2021 une convention d’occupation avec la mairie de la ville pour que celle-ci y développe un projet de maraîchage. Objectif : cultiver fruits et légumes pour couvrir les besoins des quatre crèches municipales, soit les repas quotidiens de quatre-vingt-cinq enfants.
Sitôt paraphé sitôt planté. « Les premières cultures ont commencé en juillet, les premières récoltes en septembre », dit Kévin Tastayre, directeur des espaces verts de la ville. Il y a eu, en amont, un gros travail d’étude et de planification avec un maraîcher recruté par la municipalité pour mener à bien le projet. Même s’il reste un travail d’aménagement des 1 300 m2 exploités qui devrait prendre fin en avril, les premiers rendus des cultures — sans intrants, « mais on n’a pas encore fait les démarches pour le label bio » — satisfont M. Tastayre. Aubergines, betteraves, blettes, choux, courges butternuts... « On a récolté en quelques mois un peu plus de 300 kilos de légumes. Notre projection, c’est 1,7 tonne par an, de quoi couvrir quasiment 100 % des besoins en fruits et légumes “classiques” des enfants », explique-t-il.
À Maisons-Alfort, les premières récoltes ont eu lieu en septembre 2021. 300 kilos de fruits et légumes ont été récoltés en quelques mois. © David Dinh / Maisons-Alfort |
Chaque semaine, une calèche municipale amène les denrées du maraîchage aux crèches. « Les enfants aiment beaucoup assister à la livraison », poursuit le responsable des espaces verts. C’est une façon, comme la mise en place d’ateliers pédagogiques sur la parcelle, de les sensibiliser à l’agriculture et à une alimentation saine et locale.
« Avoir le bio le plus local possible »
Ces derniers mois, les propositions d’emplois pour des postes de maraîcher municipal ont fleuri sur les sites spécialisés ou sur ceux des collectivités. Razac-sur-l’Isle (Dordogne), Champlan (Essonne), l’île d’Yeu (Vendée), Chaponost (Rhône) recherchent encore ou viennent de clore la phase de candidature. Il y a un an, Bordeaux (Gironde) lançait un appel similaire. Toutes souhaitent reprendre la main sur leur approvisionnement en fruits et légumes — en partie ou complètement — et privilégier les circuits courts. Elles s’inspirent, de près ou de loin, de Mouans-Sartoux. Cette commune de 10 000 habitants de l’arrière-pays cannois fait figure de pionnière : elle a créé sa régie agricole municipale dès 2011. « Le projet a germé quelques années avant, avec l’idée d’avoir le bio le plus local possible dans les cantines », indique à Reporterre Gilles Pérole, élu délégué à l’enfance, l’éducation et l’alimentation.
Après une étude de faisabilité et le recrutement d’un maraîcher, la mairie avait lancé la production sur un terrain de quatre hectares préempté quelques années auparavant pour empêcher la construction d’un projet immobilier. Le terrain dévolu au maraîchage a été agrandi de deux hectares en 2016 — mais seuls quatre sont en culture — et la commune a investi dans une unité de transformation en surgélation. De 10 tonnes de légumes la première année, la production annuelle atteint les 25-26 tonnes. Deux autres agriculteurs ont été engagés. « On est désormais à une vitesse de croisière, apprécie l’élu. On est autonomes à 85 % en légumes bio pour les 1 300 assiettes servies chaque jour dans les cantines municipales (écoles, crèches). » La réussite de la régie agricole de Mouans-Sartoux se mesure aux nombres d’élus venus en Provence s’intéresser au programme : « Plus de 500 collectivités de France et d’Europe depuis 2018 », recense Gilles Pérole.
« Qu’est-ce que je peux faire moi-même ? »
Dans leur réflexion initiale, les élus sont pourtant tombés sur un os : impossible de trouver des producteurs locaux volontaires pour répondre à leur appel d’offres. « Ils ne s’embêtent pas avec un marché public », commente l’élu mouansois. Constat identique à Vannes (Morbihan), qui a lancé sa régie de maraîchage bio en 2019. « Pour quatre crèches, on ne demandait pas des quantités énormes, mais il y avait des exigences de traçabilité, de l’administratif et le besoin d’une programmation des légumes fournie à l’avance… Bref, c’était compliqué pour les producteurs du coin », pointe Gérard Thépaut, l’élu à la biodiversité, au climat et aux finances. « La restauration collective publique n’est pas un débouché intéressant pour les maraîchers privés, résume Christine Aubry, ingénieure de recherche à l’Inrae (lnstitut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et spécialiste de l’agriculture urbaine. Les collectivités sont donc toutes confrontées à ce questionnement : qu’est-ce que je peux faire moi-même ? » La contractualisation d’un maraîcher est l’une des solutions.
Les équipes de Mouans-Sartoux organisent des sessions collectives de travail avec des élus et des techniciens d’autres villes intéressés par le projet. © Jean-Claude Galan / Grand Projet des Villes Rive Droite |
À Vannes, où 4,7 tonnes de fruits et légumes ont été récoltés en 2021 sur un terrain de 7 000 m2, il n’y a aucun regret : « C’est un cercle vertueux à plusieurs niveaux. Socialement, car il y a une communication très forte entre le maraîcher et les cuisinières et cuisiniers, qui sont très contents de travailler sur des produits parfois oubliés comme la poire de terre. Écologiquement, car les produits viennent d’une parcelle située juste à côté de Vannes. Les épluchures et déchets des cantines y retournent pour faire du compost », décrit Gérard Thépaut, dont l’ambition serait d’agrandir la production.
Une régie de maraîchage n’est « pas la solution miracle partout »
Pour un début de projet ou une extension, la même interrogation s’impose aux mairies : où s’installer ? « Il faut se poser la question du rapport entre les besoins et le foncier disponible, confirme Christine Aubry. Certaines communes ont des domaines fonciers importants mais ils ne sont pas utilisés pour l’agriculture. » D’autres n’ont que peu de terrains disponibles. « Maintenant que notre objectif est atteint, on se concentre sur la reconquête de terres agricoles », prévient Gilles Pérole, l’élu de Mouans-Sartoux, où le nombre d’hectares classés agricoles est passé de 40 à 112 au plan local d’urbanisme (PLU). Chasser les quelques espaces disponibles intra muros, s’étendre autour des villes ou monter des projets avec les communes voisines peuvent être des schémas possibles pour les municipalités, en fonction de leur situation.
Visite de la ferme communale de Mouans Sartoux, en octobre 2020. © Jean-Claude Galan / Grand Projet des Villes Rive Droite |
Malgré ces difficultés, l’ingénieure de l’Inrae constate « un engouement colossal pour ces formes d’agriculture ». La prise de conscience, qui remonte au début du siècle, s’est amplifiée, selon elle, avec la conjonction de plusieurs inquiétudes : celles du climat, de la précarité alimentaire, de la crise économique, de l’envie de changer de filière devant le caractère discutable de certaines pratiques alimentaires, de la crise sanitaire… La création de régie de maraîchage est « une voie très intéressante, mais plutôt pour les petites et moyenne villes. Ce n’est pas la solution miracle partout », estime Christine Aubry.
À Maisons-Alfort, dans les douves du fort de Charenton, elle participe à « un retour vers la nature en ville, à la redécouverte des sens et des vertus des légumes, à une incitation à consommer en fonction des saisons », dit Marie-France Parrain. L’édile se rappelle des maraîchers qui cultivaient leurs parcelles au sud de la ville, dans les années 1960. « On en revient aussi à une tradition ».
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