Autoroutes :
stoppons les travaux,
car la justice arrive trop tard
Le 22 avril, 8 200 manifestants étaient réunis à Saïx pour lutter contre l'autoroute A69 Castres-Toulouse. - © Alain Pitton / Reporterre |
Le gouvernement se réfugie derrière « l’État de droit » pour justifier la construction de l’A69 Castres-Toulouse. Mais, comme pour le contournement de Strasbourg, la justice arrivera trop tard pour stopper les travaux, avertit l’auteur de cette tribune.
Bruno Dalpra est écologiste et membre du collectif GCO Non merci.
« J’espère que le projet d’autoroute Toulouse-Castres verra bien le jour en 2025 », clamait Jean Terlier, député de la troisième circonscription du Tarn au micro de France Bleu Occitanie au lendemain d’un week-end de mobilisation des opposants au projet de l’A69 (autoroute entre Castres et Toulouse).
Il assurait : « On a bien conscience de l’empreinte écologique d’une telle infrastructure, mais des habitants y sont favorables. » Le projet consiste à construire une autoroute à péage en parallèle d’une route nationale existante entre Castres et Toulouse. Construire une route en parallèle d’une autre, vous voyez l’aberration ?
« Il y a des travaux qui ont commencé, on est dans un état de droit : il y a eu des règles et des procédures et, à chaque fois, la justice a confirmé ce projet », a réagi quant à lui Clément Beaune, le ministre délégué aux Transports, sur France Info lundi 24 avril. Pourquoi le fait d’avoir commencé des travaux pour ce projet inutile devrait justifier leurs poursuites ? Cela s’appelle « Sunk cost fallacy » ou le « piège des coûts irrécupérables » : rien qu’un piège.
Ne devions-nous pas cesser d’artificialiser les terres ?
La loi Climat du 22 août 2021 a reconnu la nécessité de cesser l’artificialisation des terres. Cela ne devrait-il pas pousser nos responsables politiques à revoir leur modèle d’aménagement du territoire, et sortir de la logique du tout-routier là où des alternatives existent ? Dans les faits, les opposants au projet de l’A69 se heurtent au même mur que les opposants à l’A355 de contournement ouest de Strasbourg (ou « GCO »), celui d’élus et de décideurs sourds aux voix des opposants qui tentent de proposer autre chose.
Invoquer « l’État de droit », comme le fait le ministre, devrait suffire à faire taire et mettre tout le monde d’accord. Mais non. Il faut au contraire tout mettre en œuvre pour stopper les travaux de construction. En ce sens, le GCO est un cas d’école. Explication : sept avis négatifs au moment du démarrage des travaux, en septembre 2018. La justice administrative n’a pas suspendu les travaux lors de l’audience en référé-suspension alors qu’elle en avait les moyens. Trois ans plus tard, en juin 2021, elle a examiné sur le fond le dossier. En juillet, elle a donné raison aux opposants et demandé des compléments sur les aspects environnementaux, alors que le GCO était quasiment terminé. En novembre, le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) et, en janvier 2022, l’Autorité environnementale (AE) donnaient à nouveau un avis négatif sur les mesures compensatoires proposées par le concessionnaire (huitième et neuvième avis négatifs). En mai, la commission d’enquête publique complémentaire donnait, elle aussi, un avis négatif (le dixième). Pour autant, en juillet, la préfecture délivrait une nouvelle autorisation unique corrigée.
En janvier 2023, le tribunal administratif (TA) de Strasbourg réexaminait le dossier. En février, il validait le projet malgré dix avis négatifs d’organismes d’État. En fait, il validait un projet déjà construit et en service, tout en reconnaissant que les opposants avaient été légitimes dans leur action à, selon les juges, « corriger les pièces manquantes ou incomplètes dans le dossier des mesures environnementales ».
« Il faut tout faire pour stopper les travaux de l’A69 »
Dans ce même tribunal en juin 2021, le rapporteur public avait dit que si les travaux n’avaient pas commencé, l’autorisation environnementale unique aurait été annulée. La moralité de cette histoire : un projet peut être stoppé si et seulement si les travaux de construction n’ont pas commencé. Et pour ceux qui pensent à la déviation de Beynac, elle est une exception. Quoique l’affaire ne semble pas terminée puisque le département s’entête.
Un moratoire pour sortir de la logique du tout-routier
Pour éviter cette mise devant le fait accompli de la population et des élus, il y a bien des solutions :
- faire en sorte que l’avis du Conseil national de la protection de la nature ou de l’Autorité environnementale ne soient plus seulement consultatifs, mais aient pouvoir de stopper les travaux ;
- permettre à la justice administrative d’être plus réactive et suspensive de droit lorsqu’elle est saisie, pour éviter d’avoir des travaux terminés ou quasiment terminés pour se prononcer sur le fond.
Aujourd’hui, en 2023, au moins 7 projets autoroutiers sont contestés et contestables. Plus de 70 projets d’infrastructure routière ont été identifiés par la coalition La Déroute des routes, dont au moins 55 sont controversés, selon un article de Reporterre. Ces projets pèsent plus de 18 milliards d’euros d’argent public, pointe la coalition. Cet argent pourrait être réorienté vers une mobilité plus en phase avec les enjeux climatiques : vélo, covoiturage, train du quotidien, ou soutenir, par exemple, le télétravail là où il peut l’être.
Face à l’urgence écologique, le ministre délégué aux Transports ne peut plus se réfugier derrière « l’État de droit » pour justifier la construction de l’A69 Castres-Toulouse. Le projet de l’A355 de contournement ouest de Strasbourg démontre que si nos institutions avaient fonctionné dans les règles, le projet n’aurait pas été construit.
Lire aussi : Bloquer un funeste projet d’autoroute, c’est possible
Ainsi, pour éviter que l’histoire se répète, avec la coalition nationale forte de quarante-sept collectifs, la Déroute des routes demande la mise en place d’un moratoire sur l’ensemble des projets d’infrastructure routière en France, dans l’attente de leur réexamen au regard des stratégies fixées par l’État en matière climatique, écologique et sanitaire. La pétition a déjà dépassé la barre des 10 000 signataires.
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