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vendredi 29 octobre 2021

Enfin toute la vérité sur le PCPE, le plus grand parti au monde !

 

Texte à l’appui. UNE BARRICADE N’A QUE DEUX CÔTÉS. Un texte de Daniel Mermet

 

Enfin toute la vérité sur le PCPE, 

le plus grand parti au monde !

 

Le


 

Qu’est-ce que le PCPE ?

PCPE signifie : « Pas de Couilles, Pas d’Embrouilles » (en anglais, PCPE se dit NBNT : « no balls, no trouble »).

Précisons tout de suite que le PCPE n’est pas exclusivement masculin.

Beaucoup de femmes en font partie, PCPE signifie aussi « Pas de Courage, Pas d’Embrouilles ».

Les initiales PCPE désignent aussi bien la personne qui en fait partie que le parti lui-même.


 

Le PCPE a pour emblème la manche à air

La manche à air ne fait rien par elle-même, c’est le vent qui la gonfle et la dirige. De même, le PCPE se laisse gouverner et ne prend pas parti. Il conteste, il rechigne mais il finit par se soumettre au vent dominant. Pour le PCPE, ceux qui prennent parti sont des idéologues, des extrémistes de tous bords, des fascistes ou des gauchistes, ce qui pour lui revient au même. Le PCPE n’est ni de gauche ni de droite, bien au contraire.

Comment reconnaître un PCPE ?

On le reconnaît aisément aux expressions qu’il emploie abondamment tel que :
- « c’est plus compliqué que ça »
- « c’est pas tout noir tout blanc »
-  « ça dépend »
- « on sait jamais »
- « on peut en penser ce qu’on veut »
- « on n’y peut rien »
- « faut pas se prendre la tête »
- « je ne me mêle pas de ça »
- « c’était mieux avant »
- « je peux pas, j’ai piscine », etc.

On trouve des PCPE partout dans le monde, dans tous les milieux et à tous les âges. Il y a une grande variété de PCPE, nous n’en évoquerons ici que quelques-uns. Pour les toutologues (les experts en toute chose), le PCPE, c’est l’opportuniste, le courtisan, le fayot, le faux-cul. Évidemment, le PCPE ne se reconnaît pas dans ces termes péjoratifs, pas plus d’ailleurs qu’il ne se reconnaît comme PCPE. Souvent, il se voit même comme un toutologue, qui n’hésite pas à fustiger le PCPE. Tout comme le bobo parisien méprise le bobo parisien, le PCPE méprise le PCPE.

Sociologie du PCPE

Le PCPE est présent aussi bien chez les dominants que chez les dominés. Le PCPE dominant tient le dominé à distance, par la loi, par la culture ou par le gaz lacrymogène. Il proclame que c’est l’ordre naturel des choses, naturel et même nécessaire. Chacun son monde, chacun sa manière de voir, apprend-il à ses enfants. C’est le développement séparé des classes. Ses enfants hochent la tête. Entièrement dévouée à son service, il dispose d’une élite politique, médiatique et intellectuelle bien dressée qu’il récompense d’une petite tape sur le derrière. Il aime faire le modeste qui est parti de rien, l’homme tout simple d’origine paysanne ou ouvrière qui ne manque pas de dire son admiration pour l’authenticité du pauvre pour sa gouaille, sa frugalité et son sens du rythme si c’est un pauvre de couleur.

Le PCPE dominé ne conteste pas cet ordre naturel. Il y a toujours eu des riches, il y en aura toujours, apprend-il à ses enfants. S’il n’y avait plus de riches, qui achèterait les produits de luxe qui donnent du travail aux pauvres ? Et qui servirait de modèle au pauvre ? Sans le riche, c’est le goulag et la Corée du nord. Chacun son monde. Ses enfants hochent la tête. Chacun sa manière de voir. Et d’ailleurs, le PCPE dominé admire la splendeur du riche, ses yachts et ses jets privés, tout comme il compatit à ses déboires et à ses joies. Si l’homme le plus riche du monde est un Français, il en ressent de la fierté. Mais ce PCPE cache parfois son jeu. Le PCPE dominant a beau veiller à bien l’attacher à sa niche, il arrive que le dominé casse sa laisse et s’en aille mordre le monde et y mettre le feu. À maintes reprises dans l’histoire, ce PCPE-là s’est montré bien ingrat. Aussi le dominant – bien à contrecœur – a dû quelquefois faire rétablir l’ordre dans un grand bain de sang salvateur.

Tout comme la manche à air se soumet au vent, le PCPE se soumet au chef. Il préfère occuper un rôle subalterne plutôt que de prendre des risques. Le PCPE ne prend pas de risque. En cas de grève, il sera en arrêt maladie ou posera un congé. Il n’oublie jamais de complimenter son supérieur sur sa taille fine et son bronzage. Mais attention, il arrive que le valet devienne le maître de son maître. Il arrive que le PCPE, par ruse ou par hasard, se retrouve sur le trône du monde à bénir des foules immenses, ou qu’il chevauche à la tête d’une armée à la conquête de la Pologne. Mais ce n’est pas très fréquent.

D’où vient le PCPE ?

Le PCPE est immortalisé par la figure du petit singe qui n’a rien vu, rien entendu, et qui n’a rien à dire. On trouve beaucoup d’exemples pour illustrer l’histoire du PCPE. Depuis Ponce Pilate qui s’en lave les mains jusqu’à Brassens chantant ce bourgeois qui possède « pour tout cœur un viscère sans fièvre ». On le retrouve faisant allégeance à la France de Vichy. Mais attention, le vrai PCPE ne s’engage pas dans la collaboration, ce serait prendre trop de risques. Non, lui, c’est celui qui dénonce ces soi-disant résistants qui, par leurs actions terroristes, entraînent des représailles qui frappent des innocents. Tout comme la manche à air obéit au vent dominant, le PCPE obéit à la loi. Si la loi fait obligation aux Juifs de porter une étoile jaune, en bon citoyen, le PCPE signalera tout manquement aux autorités, mais discrètement et de façon anonyme, il ne voudrait pas être récompensé pour un acte civique aussi naturel.

Quelques genres de PCPE


Un poltron ? Un mouton ? Une chiffe molle ? Pas toujours. Le PCPE est parfois radical, inflexible même. Entre le fromage et le dessert, il lui arrive de se déclarer bruyamment partisan de l’homme fort qui va remettre le pays debout car il marche sur la tête. Chaque jour, des policières sont égorgées par des islamistes, des tueurs en série sont remis en liberté, des sans-papiers violent des vieilles dames, des drogués pédophiles prennent en otage nos fillettes, sans parler des vélos qui roulent sur les trottoirs. Pour ramener l’ordre et la sécurité, il faut un pouvoir fort, une police forte, et des chars s’il le faut ! Résistance ! Sa femme lui dit pas si fort, pas si fort, et il reprend un peu de gâteau. Souvent dans l’histoire, le PCPE est ce ventre mou d’où sortent des matières brunes et des chants virils.

Le PCPE et l’histoire

Le PCPE a joué un rôle majeur dans l’histoire humaine, et les exemples abondent. Ainsi, en 1942, lors de la Seconde guerre mondiale, le gouvernement polonais en exil à Londres adressa aux gouvernements alliés un rapport documenté sur l’existence des camps d’extermination dans la Pologne occupée. La réaction des gouvernements anglais et américain fut l’incrédulité et le déni. Et l’inaction. Ces informations irréfutables furent passées sous silence. Combien de centaines de milliers de victimes sont imputables aux PCPE ? Aux États-Unis, même les quotas d’immigration des ressortissants juifs ne furent pas revus à la hausse. Les responsables nazis furent condamnés lors du procès de Nuremberg en 1946, mais ces PCPE restèrent impunis et gardèrent leurs mains blanches, faisant le V de la Victoire.

Si le PCPE est chez lui dans le monde politique, il prolifère tout autant dans le monde médiatique. Il en est le principe même : la neutralité. Il en est son dogme, l’équilibre, le débat, le même temps de parole, cinq minutes pour les Juifs, cinq minutes pour les nazis. Entre deux verres, un illustre directeur de France Inter le répétait dans la bonne humeur à ses journalistes : « pas de couilles, pas d’embrouilles ! »

Le PCPE et le RWANDA

On peut parcourir toute l’histoire humaine, on trouvera le PCPE à chaque détour. Le 17 octobre 1961, la police parisienne sous les ordres du préfet de police Maurice Papon assassinait des dizaines de manifestants algériens pacifiques. Ce massacre en plein Paris, aux yeux de tous, est passé sous silence pendant trente ans. Lorsqu’une rare voix évoquait ce pogrom, il se trouvait toujours un PCPE pour en douter, affirmant : « si c’était vrai, ça se saurait ». Durant les années de cette guerre, le PCPE fut souvent à gauche. La gauche « enlisée dans une misérable prudence », disait l’écrivain Jean-Paul Sartre.

Mais dans l’histoire récente, c’est lors du génocide des Tutsis du Rwanda que le PCPE s’est surpassé. En 1994, durant cent jours, le monde entier a laissé faire sans rien faire. 800 000 Tutsis et nombre de Hutus modérés furent massacrés au vu et au su de toute l’humanité. Jusqu’à cinq cents tonnes de cadavres par jour sans que personne ne fasse un geste pour s’opposer aux tueries qui se déroulaient sous les yeux de millions de témoins. Les reportages se succédaient, des images de tas de cadavres en décomposition d’hommes, de femmes et d’enfants torturés étaient publiées dans tous les médias, dans l’indifférence générale.

Depuis longtemps, l’insaisissable « communauté internationale » était informée des préparatifs d’une extermination massive. Belgique, Vatican, Afrique du Sud, États-Unis, France… l’apathie cynique des responsables politiques en fit les complices des génocidaires. Aucun n’a été poursuivi pour complicité de crime contre l’humanité.

Pour justifier la non-intervention des États-Unis, Bill Clinton et Madeleine Albright s’acharnèrent à imposer l’expression « crise humanitaire », mais surtout pas génocide. Ce qui fit dire à Rony Brauman, président de Médecins sans frontières, « si Auschwitz avait eu lieu dans les années 1990, ce serait une crise humanitaire ». Lors du génocide du Rwanda, seul le petit État du Ghana, l’un des plus pauvres au monde, se déclara résolu à intervenir. Ses gouvernants demandèrent un soutien militaire aux États-Unis, qui leur fut refusé.

PCPE, COURAGE, FUYONS !

Partout, on retrouve ce PCPE caché derrière son petit doigt et les jambes à son cou. Courage, fuyons ! On sourit. Le PCPE suscite aussi notre indulgence, car nous avons tous en nous quelque chose de PCPE. C’est le grand timide, c’est l’anti-héros. En amour, c’est celui qui n’entreprend rien dans la crainte d’essuyer un refus, c’est celle qui garde le sac de sa copine, c’est celui qui plie son pantalon. Le PCPE, c’est aussi le dilettante, le chantre du farniente, l’évitiste, l’aquoiboniste. C’est celui qui, dans son hamac, se laisse bercer par les alizés, cet oisif que l’athénien Thucydide montrait du doigt en disant « il faut choisir : se reposer ou être libre ». Le PCPE est celui qui se repose, le cool qui ne se prend pas la tête, celui qui se dit libre alors qu’il est prisonnier derrière les barreaux de son ignorance.

La soumission à l’autorité

On se souvient de l’expérience de Stanley Milgram sur la soumission à l’autorité. En 1963, ce chercheur en psychologie sociale a montré comment 65 % d’entre nous, nous les braves gens ordinaires, comment nous sommes capables d’infliger des tortures à autrui pour peu qu’on nous en donne l’ordre. Le scientifique en blouse blanche peut bloquer notre capacité de penser par nous-mêmes et nous conduire à torturer notre semblable en restant insensible à ses cris de douleur. Cette expérience dérangeante a mis le PCPE en évidence. Le brave appelé en Algérie par exemple, celui qui faisait tourner la machine à torturer, la gégène, parce qu’il en avait reçu l’ordre. Quelle leçon a-t-on tiré de la démonstration de Milgram ? Quelle prévention ? Quelle éducation ? L’expérience a été reproduite depuis à plusieurs reprises, avec sensiblement les mêmes résultats.

Le PCPE joue un rôle considérable par le fait même qu’il refuse de jouer un rôle, par crainte, par ignorance ou par choix. Son contraire, l’homme « engagé », n’est pas toujours un progressiste, et tout ce qui bouge n’est pas rouge. Mais le PCPE, le « dégagé » qui ne fait rien risque de faire autant de grabuge que celui qui fait quelque chose. Personne ne peut prétendre à la neutralité, et une barricade n’a que deux côtés. Comme disent les toutologues, nous sommes responsables de nos actes même si nous n’agissons pas. Le « black bloc » qui casse la vitrine de la banque est moins nuisible que le banquier qui se terre à l’intérieur.

Le PCPE d’aujourd’hui

Si le PCPE est aussi ancien que l’humanité, on le rencontre de plus en plus souvent de nos jours. Pourquoi ? Avec le triomphe du néolibéralisme, la précarité s’est généralisée. Intermittent, auto-entrepreneur, nous sommes dans l’ère de l’individu-entreprise. Chacun gère sa petite boutique dans sa petite rue. Or la précarité mène à la docilité. Et la précarité générale conduit à la docilité générale. Finies les grandes contestations collectives, les grèves générales et les pavés d’enthousiasme. Le PCPE est au néolibéralisme ce que l’homme nouveau fut au stalinisme. Si le PCPE était auparavant synonyme d’opportunisme et d’égoïsme, aujourd’hui il est devenu banal, il est partout, revenu de tout, désenchanté et résigné à un avenir sans surprise. Il est dans la vie comme un eunuque dans un harem. Mais notre malheur ne vient pas seulement de l’action des méchants, il vient de l’inaction des gentils. C’est à eux, c’est-à-dire à vous que ces révélations s’adressent. À vous et à nous tous. Comme dit le vieux Gaston Bachelard, le futur n’est pas ce qui arrive, c’est ce que nous en faisons.

Mais bon, moi je dis ça, je dis rien.

Daniel Mermet

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