"J'ai plus peur du monde
qui se prépare
que d'aller derrière les barreaux"
L'accusation requiert des peines d'emprisonnement avec sursis d'un à trois mois et des amendes de 400 à 600 euros pour chacun des prévenus, notamment pour "tentative d'entrave à la circulation d'aéronefs" et "dégradation en réunion" du grillage à l'entrée du tarmac.
"C'est totalement disproportionné", réagit Chloé Saynac qui défend les militants aux cotés des avocats Arié Alimi et Alexis Baudelin. Pendant tout le déroulé de l'audience, leur objectif a été de défendre la "légitimité" et la "nécessité" de leur action face à l'urgence climatique et "l'inaction du gouvernement".
Une action de "dernier recours"
Avant d'en arriver à cette action de "désobéissance civile" en "dernier recours", les activistes estiment avoir épuisé "tous les moyens légaux possibles" pour contester l'extension du terminal 4.
"On avait lancé une pétition qui a reçu près de cinquante mille signatures, interpellé nos élus, rencontré le préfet d'Île-de-France, manifesté, demandé un rendez-vous au gouvernement, intenté une action en justice… Le gouvernement a fait la sourde oreille, constate Audrey Boehly, co-fondatrice du collectif Non au Terminal 4. Donc, cette action était nécessaire pour faire bouger les lignes, même si cela nous a valu 33 heures de garde à vue, une nuit en cellule, un procès et peut-être, nous le verrons, une condamnation."
"Ce n'est pas nous qui devrions être sur le banc des accusés, mais plutôt les multinationales qui polluent et le gouvernement."
"Je ne devrais pas être ici", estime cette mère de deux filles de 8 et 11 ans. Mais pour elle, il en va de sa "responsabilité", même si "c'est dramatique d'en arriver à prendre des risques personnels pour que l'État tienne ses engagements climatiques". Sixtine Dano, 25 ans, membre de l'association Alternatiba, considère elle aussi qu'elle ne devrait pas être sur le banc des accusés : "Ce sont plutôt les multinationales qui polluent et le gouvernement qui ne respecte pas l'Accord de Paris qui avait été hypocritement célébré", qui devraient s'y trouver selon elle.
La désobéissance civile "nécessaire" ?
Devant le juge, Sixtine Dano dresse l'autoportrait d'une jeune femme en prise avec l'angoisse de l'avenir dans un monde confronté aux enjeux du changement climatique, qui "se pose la question de savoir si c'est une bonne idée d'engendrer un enfant dans un monde aux canicules à 50°C" et "croise les cartes des risques de sécheresses, de pénuries d'eau et de submersion des terres pour savoir où emménager et éviter de devenir une réfugiée climatique dans quelques années". Fatiguée des "petits gestes", de se contenter de "signer des pétitions et manger du soja", elle revendique cette action de "désobéissance civile" comme une "nécessité" et affronte ce procès en ayant "plus peur du monde qui se prépare, avec la hausse des températures, que d'aller derrière les barreaux".
"Que répondrez-vous à vos enfants si vous les condamnez ?"
Au-delà des questions de procédure et de qualification des faits, c'est sur cet enjeu de la nécessité de l'action menée par les militants que s'opposent le procureur et l'avocat d'Aéroports de Paris, et les avocats des prévenus. Le premier estimant qu'il s'agissait d'une action "dangereuse" et que ce n'était pas le "seul moyen d’empêcher un péril grave et éminent", les seconds faisant venir à la barre des témoins, climatologue et autres chercheurs, et citant des données pour démontrer l'impact sanitaire et environnemental du trafic aérien et appuyer l'urgence de la situation. "Je vous demande de faire œuvre de justice et de droit au bénéfice de l'humanité", plaide Maître Arié Alimi qui interpelle le juge : "Que répondrez-vous à vos enfants si vous les condamnez ?"
La salle d'audience comme "tribune"
"Je regrette sincèrement d’avoir dû désobéir à la loi, mais je pourrai dire à mes enfants que j’ai fait ce que je peux", insiste Audrey Boehly. Les sept prévenus prennent la parole tour à tour à la barre qui est aussi "une forme de tribune", concède Camille Blot, 35 ans, membre d'ANV-COP21. Lorsqu'elle a sectionné le grillage pour entrer sur la tarmac de l'aéroport, "j’avais pleinement conscience que je prenais un risque pour mon casier judiciaire et mon portefeuille", dit-elle. Mais pour ces militants qui n'avaient jusque-là jamais fait face à un juge, l'attente de la décision qui sera rendue le 12 novembre est difficile.
Le 4 novembre prochain, ce sont neuf activistes de Greenpeace qui seront à leur tour convoqués à ce même tribunal pour s'être introduits sur le tarmac de Roissy-Charles de Gaulle, le 5 mars dernier. Ils y avaient repeint partiellement en vert un avion d’Air France, afin de dénoncer le "greenwashing" du gouvernement sur l'aérien.
Une nouvelle infraction en perspective
Désormais, si des activistes s'aventurent à nouveau sur le tarmac d'un aéroport, ils devront faire face à une difficulté juridique supplémentaire. Un peu plus d'un mois après l'action de Greenpeace, le gouvernement a engagé la procédure accélérée sur le projet de loi "portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine des transports, de l’environnement, de l’économie et des finances".
Ce texte, adopté en commission mixte paritaire le 28 septembre 2021, introduit une nouvelle infraction dans le code des Transports qui prévoit de punir de six mois d’emprisonnement et de 7 500 € d’amende le fait de s’introduire sans autorisation dans une zone réglementée d'un aéroport. La peine est alourdie à un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende, "lorsqu’elle est commise en réunion", ou bien "précédée, accompagnée ou suivie d’un acte de destruction, de dégradation ou de détérioration", même s'il s'agit d'une tentative.
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