Nouveaux OGM :
l’agro-industrie
multiplie les mensonges
Dans une lettre qu’Inf’OGM s’est procurée, une trentaine d’organisations professionnelles et syndicats agricoles demandent aux députés français « de rejoindre la coalition européenne pour une révision de la directive 2001/18 ». En clair, elles visent à rendre invisibles les nouveaux OGM.
[Photo de Thomas Drouault ->https://unsplash.com/photos/IBUcu_9vXJc
La FNSEA, syndicat agricole majoritaire, et ses alliés, comme d’autres syndicats par filière (betterave, maïs, levures, semences, etc.), le GNIS et Terres Inovia sortent du bois [1]. Dans une lettre aux députés français qu’Inf’OGM s’est procurée, ces organisations demandent à la France « de rejoindre la coalition européenne pour une révision de la directive 2001/18 », la directive qui encadre l’ensemble des OGM, qu’ils soient issus de la transgenèse ou d’une mutagénèse.
Cette coalition, emmenée par les Pays-Bas, regrouperait 12 États membres, selon les signataires. Elle exige tout simplement que l’arrêt de la Cour de justice de l’UE ne soit pas mis en œuvre, car il serait contraire aux intérêts économiques à court terme. Cet arrêt confirmait ce que d’autres organisations paysannes et agricoles soulignaient depuis des années : les OGM ne se résument pas aux plantes transgéniques et les autres OGM présents sur le marché doivent donc être évalués et étiquetés.
La souveraineté alimentaire ne passera pas par les OGM...
L’argument pour réviser la directive est que celle-ci impose « de longues et coûteuse démarches d’homologation pour les variétés obtenues par des techniques de mutagénèses développées après 2001 ». Pour les partisans de la révision, ces démarches menacent « la souveraineté alimentaire de la France et de l’Europe ». Pourtant, cet argument n’a pas de fondement économique : les plantes transgéniques n’ont été que très peu cultivées sur le sol européen du fait de la mise en œuvre du principe de précaution sans que cela ait eu un effet sur notre souveraineté alimentaire. Selon l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la « disponibilité protéinique moyenne » en France n’a que peu évolué au cours des 20 dernières années. Elle oscille entre 110 et 118 g/personne/jour alors que la « suffisance des apports énergétiques alimentaires » [2], c’est-à-dire les corps gras (lipides) et les glucides (sucres et féculents), est restée stable sur cette même période.
La lettre évoque les besoins des consommateurs. Pour les signataires, l’arrêt entrave la recherche et l’innovation qui pourtant « apportent des réponses concrètes et adaptées » à ces besoins. Ces dernières seraient en effet les garantes d’une transition agro-écologique, et il faudrait donc, au nom du bien commun, laisser faire les manipulations en secret. Si les consommateurs exigent des « produits sains, sûrs, durables et d’origine locale », on sait portant qu’ils refusent aussi les OGM. Et que, globalement, ils n’associent pas des produits sûrs et sains à des produits brevetés et issus de manipulations génétiques et multiplication cellulaire in vitro réalisées hors sol, en laboratoire. Et surtout ne pas vouloir étiqueter ces nouveaux OGM comme des OGM ce n’est pas répondre aux besoins des consommateurs mais au contraire les prendre pour des cobayes. Les semences paysannes semblent plus appropriées pour répondre à la demande des consommateurs. Les nouveaux OGM actuellement sur le marché sont essentiellement des variétés rendues tolérantes aux herbicides. En quoi l’utilisation d’herbicide est un pas vers la transition agro-écologique ? La résilience ne réside pas dans une plus forte homogénéisation du patrimoine génétique des variétés mais au contraire dans une augmentation de la diversité génétique. Or les nouveaux OGM sont brevetés. Et les brevets, cela a déjà été démontré à plusieurs reprises, entravent le développement de variétés locales et entravent une recherche publique et participative. Et favorisent la concentration économique de l’industrie des semences, concentration qui est contraire aux envies de relocalisation et de maîtrise de l’économie et de la production agricole.
L’autre argument mis en avant est la distorsion de concurrence. Un argument que les organisations signataires trouvent imparable : si les États-Unis et l’Argentine décident de ne pas réglementer les nouveaux OGM, ces derniers vont produire plus, plus facilement et la France va être écartée de ce marché. La question de la rentabilité agronomique et économique des plantes génétiquement modifiées peut être questionnée, à court et long terme… Mais surtout jusqu’à présent, l’Union européenne avait une législation plus contraignante que d’autres pays et la balance commerciale agricole européenne n’a pas souffert de ces contraintes. D’ailleurs l’Argentine, un pays aux exigences réglementaires faibles sur ces plantes, hésite à autoriser un blé transgénique de peur de perdre les marchés d’exportation [3].
Gros mensonge aux députés
Enfin, troisième argument : la lettre considère que « l’arrêt de la CJUE prévoit des obligations inapplicables en termes de surveillance, de traçabilité et d’étiquetage des produits importés de ces pays. En effet le contrôle des produits ne permet pas de les imputer à une méthode de sélection puisque celle-ci reproduit ce qui se passe dans la nature ». C’est tout simplement faux : si des mutations génétiques existent bien dans la nature, ces dernières ne sont pas du même ordre : les mutations naturelles et induites se produisent dans des temporalités très différentes et dans des contextes biologiques aussi différents. De plus, les techniques de modification génétique in vitro laissent des traces dans le génome (effets hors-cibles) et ces traces permettent de les détecter. D’ailleurs ces entreprises ont des outils de détection au point dès lors qu’il s’agit de défendre leur droit de propriété intellectuelle sur ces mêmes variétés.
La lettre se termine par un vœu ou une demande. Les organisations soulignent : « Le conseil d’État doit encore statuer sur l’exclusion des variétés obtenues par mutagénèse traditionnelle du champ d’application de la réglementation sur les OGM en France. Nous espérons qu’il confirmera le statut réglementaire de produits que les consommateurs ont intégrés depuis longtemps dans leur quotidien ». La phrase est ambigüe pour plusieurs raisons. Certes le Conseil d’État peut proposer de maintenir l’exemption pour des produits issus des techniques traditionnelles de mutagénèse (développées avant 2001) et commercialisés depuis longtemps… mais il peut aussi décider de ne plus les exempter. La CJUE a en effet laissé la possibilité aux États membres de le faire. En revanche, les OGM issus des nouvelles techniques de mutagénèse doivent être réglementés comme tels, au même titre que les OGM transgéniques. Or de tels OGM sont actuellement cultivés sur le territoire européen de façon illégale, notamment le colza Clearfield ou des endives obtenues par fusion cellulaire avec le tournesol.
[1] La
liste complète des signataires : AFCA/CAL, AGPB, AGPM, AIBS, Anamso,
Ania, Arvalis, Centre Français du Riz, CGB, Coop de France, CSFL, CSIF,
Fede, Fédération du négoce agricole, FNAMS, FNPHP, FNPSMS, FN3PT, FNSEA,
FOP, GNIS, Intercéréales, Jeunes Agriculteurs, SNIA, Syndicat des
riziculteurs de France, Terres Inovia, Terres Univia, UFS, Val’hor
[2] La
suffisance des apports énergétiques alimentaires moyens est le rapport
entre l’approvisionnement alimentaire en termes de calories et
l’exigence énergétique alimentaire moyenne.
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