Alerte scientifique sur les fongicides
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Pulvérisation sur un champ d’orge d’un fongicide.
Photo Thiriet. Andia
Après les effets nocifs des insecticides et herbicides utilisés dans l’agriculture, des chercheurs dénoncent dans «Libération» des produits, les «SDHI», qui empêchent le développement des champignons en bloquant leur respiration. Passant dans la chaîne alimentaire, ils pourraient affecter gravement la santé des humains.
Dans la série des dangers des pesticides pour l’environnement et la santé humaine, vous aimez l’épisode sur les herbicides (comme le glyphosate, la substance active du Roundup de Monsanto et ses génériques) et celui sur les insecticides (tels les néonicotinoïdes ou le fipronil «tueurs d’abeilles»), tous deux loin d’être achevés ? Vous allez adorer celui sur les fongicides, qui démarre tout juste. Dans une tribune que nous publions ce lundi en exclusivité, un collectif de chercheurs, cancérologues, médecins et toxicologues du CNRS, de l’Inserm et de l’Inra s’alarment de l’utilisation massive, depuis quelques années, d’une classe de pesticides qui portent eux aussi un nom à coucher dehors : les SDHI (inhibiteurs de la succinate déshydrogénase). Autorisés en Europe à partir de la fin des années 2000 et fabriqués entre autres par les grands industriels (Monsanto, Bayer, Basf, Syngenta, Du Pont, Mitsui et Chemtura AgroSolution), ces fongicides visent à éliminer les champignons et moisissures en agriculture ou sur les pelouses. Ils sont désormais utilisés à grande échelle sur nombre de cultures (70 % des surfaces traitées de blé tendre et 80 % en orge d’hiver en 2014), y compris sur les fruits (tomates, raisins, agrumes, fraises).
Résultat, ils finissent dans la terre, puis dans les eaux, et dans les chaînes alimentaires animales et humaines. Or, leur mode d’action inquiète les scientifiques signataires de la tribune. Pour schématiser, les SDHI bloquent la respiration des cellules des champignons (en inhibant l’activité de l’enzyme SDH, la succinate déshydrogénase) mais «ils bloquent aussi très efficacement tant la SDH des nématodes ou des vers de terre que la SDH humaine», explique Pierre Rustin, directeur de recherches au CNRS - Inserm, cosignataire du texte. Le généticien, qui travaille depuis quarante ans sur les maladies mitochondriales (liées à un trouble des mitochondries, structures responsables de la production énergétique des cellules), raconte être tombé sur le sujet «par un hasard total» en novembre dernier. «Je faisais une revue de ces maladies, et, en recherchant s’il y avait des causes autres que génétiques, je suis tombé sur ces inhibiteurs de la SDH. Ils bloquent bien la SDH humaine, nous l’avons testé en laboratoire. Or, nous savons qu’il est extrêmement dangereux de bloquer cette enzyme.»
Des anomalies de fonctionnement de la SDH «peuvent entraîner la mort des cellules en causant de graves encéphalopathies, ou au contraire une prolifération incontrôlée des cellules et se trouver à l’origine de cancers», écrivent les chercheurs. Sans compter d’autres maladies, comme celle de Parkinson ou la perturbation de la mobilité des spermatozoïdes… Or, déplore Rustin, la toxicité sur le long terme de ces molécules fongicides SDHI pour l’homme n’a pas encore été sérieusement étudiée. Les scientifiques appellent donc dans Libération à «suspendre» l’utilisation des SDHI «tant qu’une véritable estimation des dangers et des risques n’aura pas été réalisée par des organismes publics indépendants des industriels distribuant ces composés et des agences ayant précédemment donné les autorisations de la mise sur le marché».
En France, c’est l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) qui délivre ces autorisations. Contactée par Rustin en novembre, elle n’a pas eu l’air plus affolée que cela, rapporte celui-ci, qui dit avoir été simplement invité à éplucher une myriade de documents ayant conduit à approuver les substances actives des SDHI au niveau européen (les produits qui en contiennent sont eux évalués, autorisés ou interdits dans chaque pays). «Pour l’instant, l’évaluation scientifique des risques liés à l’usage de ces produits, qui prend en compte le mécanisme d’action, conclut à une absence de risque inacceptable. Et nous n’avons pas à ce stade d’éléments pour les interdire ou les suspendre sur la base d’hypothèses tirées de leur mécanisme d’action. Mais nous prenons toujours très au sérieux les alertes qui nous sont adressées par des chercheurs et peuvent nous conduire bien entendu à réévaluer des produits», assure Gérard Lasfargues, directeur général en charge des affaires scientifiques à l’Anses. Il poursuit : «Nous avons demandé à M. Rustin de nous envoyer ses données, mais nous n’avons pas reçu d’éléments nouveaux qui permettraient d’alimenter une réévaluation des risques. Néanmoins, notre comité d’experts en charge de l’évaluation des pesticides sera très intéressé de l’auditionner sur le sujet. Et nous l’avons invité à venir consulter à l’agence les dossiers d’évaluation de ces fongicides pour en discuter de façon très ouverte.» L’Anses et l’Inra remarquent depuis plusieurs années que les champignons et moisissures développent des résistances aux SDHI, de sorte que «l’efficacité de cette famille de fongicides est sévèrement affectée». Potentiellement dangereux et en plus inefficaces…
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