On a reçu ça :
Argumentaire contre le refus progressif
de distribuer dans les gares
les fiches horaires sur papier des lignes TER.
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Le 25 juillet 2017, au guichet de la gare de Prades, je demandais les fiches horaires des TER Perpignan Toulouse et Carcassonne Quillan, et l’on m’avait répondu qu’elles n’étaient pas encore arrivées. Au 25 juillet ! S’il s’agissait d’un cinéma, il aurait fait faillite depuis longtemps. Puis on m’a proposé, dans l’hypothèse d’un projet ponctuel de déplacement, de m’imprimer sur trois fiches cartonnées les horaires des TER de Quillan à Carcassonne avec les correspondances pour Bordeaux, le tout étant valable en principe pour un jour précis et sans aucune indication sur les gares intermédiaires. Mais c’est au guichet d’information des voyageurs de la gare de Perpignan que l’agent SNCF m’a informé que la Région, autorité organisatrice des TER, avait décidé de ne plus distribuer dans les gares que les fiches horaires correspondant aux relations directes, à savoir, dans les gares de Perpignan, Ille, Prades, Villefranche, les fiches de PerpignanLatour-de-Carol, PerpignanCerbère, PerpignanNarbonne, et Perpignan Narbonne>Montpellier>Avignon. Notons que la relation avec Toulouse, nouveau chef-lieu de région, n’est pas envisagée, même avec des correspondances, des TER directs n’existant toujours pas à ma connaissance.
Je trouve cette décision, qui que ce soit qui l’ait prise, parfaitement néfaste (pour ne pas écrire les autres mots qui m’ont sauté à l’esprit) et je vais m’en expliquer ci-dessous.
Initialement, quand j’étais étudiant, j’ai acheté pendant des années le Chaix, qui me permettait, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, de projeter un déplacement en train de n’importe quelle gare de France à n’importe quelle autre. Mais le Chaix a cessé de paraître, soi-disant pour des questions de rentabilité, mais en fait parce qu’il était externe à l’entreprise ferroviaire, pour laquelle il aurait pu être un simple investissement publicitaire. Curieuse décision, sachant qu’Internet, alpha et oméga de l’information commerciale, n’apparaitrait que quelques décennies plus tard. En fait aucune alternative n’était proposée, les cahiers horaires destinés aux cheminots restant eux-mêmes jalousement confidentiels. Finis les rêves de voyages, finies les comparaisons entre les relations rapides (passant par ce qu’on n’appelait pas encore des Hubbs), mais plus coûteuses en argent, et les alternatives plus lentes et plus riches en paysages (notion se réduisant de plus en plus à deux murs de béton), mais le plus souvent moins chères.
Je me suis alors rabattu sur les fiches horaires Grandes Lignes et les cahiers horaires régionaux, renonçant évidemment à m’informer sur des voyages peu probables dans des régions situées hors des zones que je fréquentais. Plus question de perdre du temps à rêver ! Obligation d’être productif et efficace, même pendant mon temps libre ! Et puis les cahiers régionaux ont commencé à disparaître, et avec eux ces cartes des lignes qui permettaient de se projeter dans l’espace territorial. Désormais, les gares sont devenues des cases sur des tableaux, et la dernière carte de réseau ferroviaire vraiment accessible à tous (jusqu’à quand ?) est celle de la Compagnie du Midi peinte à l’intérieur du mur nord de la gare Bordeaux-St Jean.
Cet effacement programmé des repères spatiaux est cohérent avec la priorité grandissante du marketing, conçu d’abord au service du transporteur, sur la vente, pour laquelle l’intérêt du voyageur était prioritaire. C’est ainsi que de plus en plus de billets entre grandes villes passent par Paris, selon la stratégie du hubb, héritée du transport aérien, qui, à la différence du chemin de fer, n’a de contact avec les territoires traversés qu’au décollage et à l’atterrissage. Simplification de la billetterie, réduite à des trajets Paris quelque part, mais débauche de kilomètres, d’usure des voies et du matériel roulant, voire de temps dépensé par le voyageur : qu’on pense aux billets Perpignan Toulouse via Montpellier proposés à certaines heures, l’arrêt général à Narbonne ayant été supprimé pour une raison inconnue. Mais supplément de recettes, puisqu’on va proposer, autant qu’on le pourra, de rouler en TGV, même sur des lignes limitées à 160, ce qui compensera, au bénéfice de la SNCF, le temps supplémentaire consacré par le voyageur à parcourir les deux côtés d’un triangle sans même savoir que le trajet le plus court, c'est-à-dire le troisième côté de ce triangle, est desservi par des trains dont on n’attend que le découragement de la clientèle locale pour les supprimer.
C’est ainsi qu’on proposera, par exemple, de passer par Bordeaux pour aller d’Agen à Périgueux, le « tortillard » direct n’étant pas évoqué, et le voyageur qui ne connaît plus la géographie du réseau trouvant forcément l’unique solution qu’on lui propose tout à fait satisfaisante, d’autant qu’il pourra quand même choisir entre couloir et fenêtre, et s’attacher à rouler dans le sens de la marche. Si la politique de distribution restreinte se généralise, on ne trouvera d’ailleurs la fiche horaire de ces trains qu’à Agen, Périgueux, et dans les gares intermédiaires restées ouvertes, ce qui me parait extrêmement efficace pour couler une ligne. De la même façon, une collègue de travail est allée d’Albi à St Etienne en passant, obligatoirement croyait-elle, par Toulouse, Avignon et Lyon. A cette époque, j’avais vérifié qu’on pouvait encore passer par Neussargues, en mettant quatre heures de plus, certes, mais en voyant des paysages magnifiques et en payant beaucoup moins cher. La recherche de la vitesse devient, non seulement naturelle, mais discrètement obligatoire.
C’est ainsi également qu’on a toujours voulu me vendre des billets Mussidan>Perpignan transitant par Bordeaux, alors que le trajet par Périgueux et Brive me faisait économiser un taxi de 25 €uros à l’arrivée. Un jour, en gare de Prades, la correspondance à Périgueux m’a été refusée au guichet par l’informatique, alors que j’avais fait ce déplacement quelques semaines avant. J’ai dû fragmenter ma demande en trois billets afin d’obtenir satisfaction, au grand étonnement de la guichetière. Un peu plus tard, la gare de Mussidan m’a révélé que la direction souhaitait la priver de l’arrêt du train concerné, un BordeauxLyon par Limoges, peut-être pour contrer le cabotage, qui remplissait pourtant efficacement cette liaison transversale, mais contre lequel la SNCF s’est déjà déclarée opposée par principe dans d’autres instances. J’ai donc écrit à la Région Aquitaine pour leur signaler que la SNCF s’employait à vider les TER PérigueuxBrive qu’elle prenait la peine de subventionner, et, quelques temps après, j’ai constaté, par un test en gare de Rivesaltes, que ce blocage, sans doute réservé aux autres Régions, dont on pouvait supposer que les voyageurs ignoreraient la géographie périgourdine, désormais n’existait plus. En informatique, tout ceci est enfantin à manipuler. Mais bientôt, comme par hasard, la correspondance en gare de Brive fut rompue, le Périgueux>Brive arrivant 5 minutes après le départ du Brive>Perpignan. D’ailleurs aujourd’hui ce dernier n’existe plus, sauf à accepter une correspondance fatigante et chronophage en gare de Toulouse.
Le sommet de ces perversions est atteint par un billet Paris>Rang-du-Fliers (Le Touquet) et retour, dont j’ai découvert le contenu dans le train qui m’amenait à Paris, billet que j’ai scanné, commenté en public, soigneusement archivé, et que je mets en PJ. Le trajet aller, en effet, passe par…. Lille et Calais. Cela représente deux fois plus de kilomètres que par la ligne classique, mais, comme il s’agit d’un TGV qui va deux fois plus vite, on met quasiment le même temps que pour le retour, qui emprunte la ligne ParisCalais. Petit détail, cet aller très original me coûte 8,20 €uros de plus, quand même, mais c’est la rançon du progrès inutile.
La SNCF étant en train de supprimer les fiches horaires Grandes Lignes, je trouve toutefois étonnant que les Régions lui emboitent le pas et commencent à restreindre la distribution des fiches TER, soumettant le voyageur à la dictature d’Internet. Or Internet n’est surtout pas une usine à rêves et aucune loi n’oblige encore le citoyen à être connecté. Il s’agit donc d’une rétention d’information.
On va nous servir la rengaine de l’économie de papier, comme on nous la sert par exemple pour la propagande électorale ou pour les factures d’électricité ou de téléphone. Mais ces utilisations représentent au plus quelques milliers de tonnes de papier (je crois avoir lu 6000 pour la propagande électorale), alors que la distribution des flots de publicités dans les boites aux lettres, qu’il n’est aucunement question de restreindre, représente, d’après Philippe Bihouix, UN MILLION DE TONNES de papier par an. De qui se moque-t-on ? Quand Fabrice Flipo, qui a dirigé le rapport ECOTIC sur les coûts écologiques du secteur numérique, s’étonne (article en PJ) que l’on présente comme soutenable une politique visant à remplacer une ressource renouvelable, le papier, par une ressource épuisable, les métaux, on ne peut que s’interroger sur les vraies raisons de cette substitution à marches forcées.
S’il s’agissait seulement de changer de support, on nous proposerait un Chaix numérique, mais ce n’est pas le cas. Il s’agit d’abord, sous prétexte d’efficacité, de concentrer la demande du voyageur sur une gare de départ, une gare d’arrivée et une date et un horaire de départ souhaités. La notion de territoire parcouru est enfin totalement évacuée et l’usager de base ignorera bientôt que Carcassonne se trouve entre Montpellier et Toulouse, ou que, après Toulouse, en venant de Carcassonne, il y a Montauban, Agen et Bordeaux. C’est ainsi, lors d’une coupure de la ligne entre Carcassonne et Narbonne, il y a quelques années, qu’on a pu proposer sans rire aux voyageurs de passer par Paris. On évacue ainsi la notion d’itinéraire de contournement, de plus en plus oubliée en matière ferroviaire, mais pourtant activée en quelques heures en cas de blocage du réseau routier. Dans des temps plus anciens, en cas de coupure entre Carcassonne et Narbonne, on savait utiliser la ligne Carcassonne-Quillan-Rivesaltes, quand elle était praticable dans son intégralité. Cela exigeait quand même moins de km et de temps que le « détour » par Paris. Le plus étrange est que cette notion de contournement, maintenue pour la route, mais oubliée pour le rail, a été, dès le début, présentée comme un atout fondamental d’Internet. Dans le cas de la liaison BordeauxToulouse, un train rapide a dû, le jour même de l’inauguration de la LGV Paris-Bordeaux, piétiner plusieurs heures derrière un train en panne, les voies de cette grande ligne n’étant même pas équipées pour une circulation dans les deux sens, ce qui constitue pourtant le contournement le moins cher qui soit. Alors qu’une nouvelle LGV jouira, elle, du contournement autorisé par la ligne classique qu’elle longe.
La notion de territoire étant ainsi évacuée, il reste à limiter les données temporelles. On consent encore à proposer au voyageur de partir plus tard ou plus tôt, mais il ne sait plus rien de la permanence des trains. L’horaire du lundi est-il valable le mercredi ? Le vendredi ? Pas sûr. Le dimanche ? Encore moins. Il est vrai qu’il y a une dégénérescence de la permanence des trains. J’avais repéré sur une fiche horaire couvrant le trajet de Brive à Perpignan un train qui avait cinq horaires différents, sans compter les jours où il ne circulait pas et ceci pour un service de six mois. Dans certaines gares belges, j’ai vu des affiches permanentes qui donnaient les quais de passage de tous les trains, POUR L’ANNÉE ENTIERE. Ils sont fous, ces belges !
Pour le rétablissement (?) du train de nuit Paris-Cerbère, qu’il ne faut surtout pas prendre comme définitif, on nous fait déjà savoir qu’il ne roulera pas en semaine, sauf durant les périodes de congés scolaires, quand il intéressait justement les salariés obligés d’effectuer une journée de travail à Paris au milieu de la semaine. Par ailleurs, comme je l’avais pressenti, certains militants ont déjà noté qu’il n’était pas proposé à la vente. Il faut demander expressément à l’utiliser. La suppression des fiches horaires Grandes Lignes prend alors toute sa signification. Je pense qu’avec les restrictions croissantes sur les distributions des fiches horaires TER, les Régions pourraient prendre la même direction. Si l’on rénove en trainant les pieds la voie CarcassonneQuillan, n’est-il pas significatif que la fiche horaire de cette ligne ne soit désormais accessible que dans les gares de Carcassonne et de Limoux et à l’Office de Tourisme de Quillan.
De même que le « yield management », procédé totalement antidémocratique qui consiste à tirer du client le maximum d’argent qu’il est disposé à payer, d’où des prix d’un trajet qui peuvent varier de 10 €uros en cinq minutes, permet d’évacuer peu à peu la notion de tarif, de même la proposition personnalisée des horaires, qui pourront bientôt, n’en doutons pas, varier d’une journée à l’autre, et même, qui sait, d’une heure à l’autre, permettra peu à peu de ne faire partir que des trains dont on estimera la probabilité de remplissage suffisante. Cela existe déjà pour certains TGV exclusivement accessibles par Internet. Ne doutons pas que c’est en projet pour les TER. On aura alors « bla bla train », comme on a « bla bla car », avec les mêmes incertitudes et le même manque de fiabilité. On peut d’ailleurs déjà lire sur les fiches horaires TER d’Aquitaine qu’elles n’ont aucune valeur contractuelle mais aussi qu’il convient de vérifier avant le départ que le train en question n’est pas supprimé, avancé, ou retardé.
Ayant un peu étudié le droit civil, dont le droit des contrats, je me demande quand l’engagement ferme au transport est alors réellement pris par le transporteur. La veille du départ ? Une heure avant ? Au moment où les portes de la rame s’ouvrent pour pouvoir y accéder ? En principe deux mois avant s’il y a réservation, excellente raison de supprimer cette dernière, après avoir bien sûr commencé par la rendre facultative. Merci pour les handicapés, les vieux, les malades. Sinon Un simple compteur des voyageurs à la montée dans le train ne suffirait-il pas, comme dans les cinémas ? La réservation obligatoire, dans les deux cas, diminue-t-elle réellement le risque d’attentat ? Cela fait penser, au choix, au transport du bétail, ou, en moins sinistre, au petit train de la fête foraine, qui ne part que quand il est plein. Mais la vie n’est pas une fête foraine. Le transporteur s’engage au minimum, c'est-à-dire à déplacer le voyageur de la gare de départ à la gare d’arrivée dans des conditions normales de sécurité. Mais ce dernier, privé en réalité de toute information sur les itinéraires et les horaires des trains, à part ceux qu’on lui aura spécifiquement proposés, ne s’en sentira pas frustré puisqu’il en ignorera tout.
J’ai vu il n’y a pas très longtemps dans Perpignan une personne qui marchait place Arago, les yeux rivés sur son smartphone. Soudain, une grosse voix synthétique a dit : « prenez la rue à droite ! » La personne a sursauté et a levé les yeux. Oui, il y avait bien une rue à droite. J’ai alors compris qu’elle se laissait entièrement guider par le GPS. J’ai trouvé cela terrifiant, d’autant que tout est organisé pour que cela devienne peu à peu obligatoire. Nous avons encore la liberté d’utiliser un plan et de lire les plaques des rues, c'est-à-dire d’être à la fois autonomes et relativement incontrôlés. Mais bloquons la vente des plans papier, qui donnent une perspective détaillée de toute la ville, alors que sur Internet, taille de l’écran oblige, soit le plan est détaillée, mais il ne couvre que quelques rues, soit il inclut toute la ville, mais ne donne que les grands axes. Ensuite supprimons les plaques de rues. Sans plan et sans possibilité d’interroger d’autres passants, qui de toute façon n’en sauront pas plus que nous, elles n’ont plus aucune utilité. Le système nous met alors dans la situation du veau qui suit sa mère. Il n’a pas besoin de savoir où aller et par où passer, puisqu’elle le sait et qu’il veut seulement rester avec elle. Il se contente de la suivre, même si elle va à l’abattoir, ou, en toute liberté, dans un quelconque Vel d’Hiv du 21ème siècle.
Le Soler, le 7 août 2017.
Jean Monestier.
Membre de plusieurs associations intéressées au thème des transports,
Diplômé en économie auprès de l’Université de Toulouse,
Artiste-Auteur-Militant,
Objecteur de Croissance,
Militant pour le maintien d’une biosphère humainement habitable.
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