Aujourd’hui et demain :
qui va s’occuper de nos malades âgés ?
mercredi 24 mai 2017
Un rapport récent de la Drees a été largement repris
dans la presse car il annonçait une baisse de l’hospitalisation des
personnes âgées d’ici 2030. Cette baisse concernait surtout un scénario
très optimiste et un peu un scénario médian, et reposait principalement
sur un développement de l’ambulatoire. Or ce développement de
l’ambulatoire ne peut se faire correctement et en toute sécurité pour
les malades que s’il y a suffisamment de médecins, d’infirmières, de
kinésithérapeutes pour s’occuper des malades en ville, et pour les plus
âgés d’aides-soignantes ou d’auxiliaires de vie. Ce qui n’est pas du
tout le cas aujourd’hui et la situation va plutôt s’aggraver dans les
années à venir si rien n’est fait au niveau national. De plus, le virage
ambulatoire n’est pas du tout adapté aux plus de 75 ans, et la Drees
prévoit d’ailleurs une augmentation des séjours hospitaliers pour cette
tranche d’âge.
Or, dans le nouveau gouvernement qui a été nommé le
18 mai rien n’a semble-t-il été prévu pour les personnes âgées, ce qui
est un premier signal plutôt négatif.
Quelle est la situation actuelle de la gériatrie et comment va-t-elle évoluer ?
Il n’est pas nécessaire de rappeler les chiffres
concernant le vieillissement de la population française dans les années à
venir. On peut quand même donner l’exemple le plus frappant, c’est
celui des centenaires : ils étaient 200 en 1950, 23 000 aujourd’hui et
seront plus de 200 000 en 2060. Or, plus l’âge augmente, plus le nombre
moyen de pathologies par personne augmente. Même si on fait d’énormes
progrès sur la prévention (ce qui n’est pas dans la culture française)
et si on s’améliore sur la prise en soin des pathologies chroniques (où
on est déjà plutôt bons) il y aura quand même une augmentation
significative des personnes âgées malades et dépendantes. Par ailleurs
il y a aussi le fléau de la maladie d’Alzheimer et des pathologies
apparentées, pour lesquelles nous n’avons aucun traitement et dont on
n’est pas sûr de pouvoir les traiter un jour. Du coup, qui s’occupe de
ces malades aujourd’hui et qui va s’en occuper demain ?
On sait qu’il y a une pénurie de médecins
généralistes (mais aussi de spécialistes) et de nombreux déserts
médicaux en France. Ces déserts concernent même les grandes villes, y
compris l’Île-de-France et certains arrondissements parisiens. Mais ces
déserts s’étendent aussi de plus en plus à l’hôpital, ce qui a largement
été favorisé depuis plus de 10 ans par une politique dite d’efficience
qui consiste principalement à réduire les recrutements.
Depuis plusieurs années j’alerte sur la situation dramatique en gériatrie et sur les conséquences prévisibles de la réforme du 3e
cycle des études médicales. Cette réforme a été envisagée uniquement
sous l’angle « formation » des étudiants sans jamais tenir compte du
rôle important des internes dans le fonctionnement de l’hôpital !
Tout
le monde a oublié le titre historique qui était « internes des
hôpitaux ». L’hôpital étant un lieu d’enseignement et d’accompagnement,
permettant aux médecins en formation de voir une médecine de pointe et
des personnes présentant des pathologies plus ou moins complexes. C’est
un lieu où on se crée souvent ses futurs réseaux, où l’on apprend à
raisonner, à rationaliser ses prescriptions (examens complémentaires et
traitements) et à synthétiser son raisonnement médical. Certaines
maladies sont difficiles à suspecter si on ne les a jamais vues. Les
futurs médecins généralistes qui feront par la suite toute leur carrière
en ville n’auront souvent plus l’occasion de travailler à l’hôpital. Il
est dommage que la réforme actuelle ne soit envisagée que sous l’angle
d’éviter l’hôpital, alors que ces futurs médecins, généralistes ou
spécialistes en libéral, auront toute leur vie professionnelle pour bien
comprendre les subtilités administratives du travail en cabinet !
Que se passe-t-il avec cette réforme, en dehors des 3
phases : socle, approfondissement et consolidation ? Deux choses : une
formation de plus en plus ambulatoire de la médecine générale dont les
responsables ne voient pas l’intérêt de faire des stages à l’hôpital et
la création d’un DES (diplôme d’études spécialisées) de gériatrie, dont
les coordonnateurs n’ont qu’une vision universitaire, sans appréhender
les besoins immenses qu’il y a en dehors des CHU (centres
hospitalo-universitaires) : ville, EHPAD (établissements d’hébergement
pour personnes âgées dépendantes), services de réadaptation, unités de
long séjour, etc. Il est aussi intéressant de noter que les responsables
de la médecine générale ne voient pas l’utilité de rendre obligatoire
un stage de 6 mois en gériatrie.
A l’occasion de cette réforme, deux nouveaux DES sont
créés : la médecine d’urgence et la gériatrie. Il est clair que les
ambitions de ces deux disciplines ne sont pas les mêmes : ainsi, le DES
de médecine d’urgence a obtenu la création (théorique) de 470 postes au
niveau national (90 en Île-de-France) contre seulement 250 pour la
gériatrie au niveau national (60 en Île-de-France)… Jusqu’à maintenant,
il existait deux voies pour devenir gériatre. La première voie était
celle du DESC (diplôme d’études spécialisées complémentaires) de type 2
(le DESC créé en 1988 est devenu qualifiant en 2004, lorsque la
gériatrie a été reconnue officiellement comme spécialité), qui était
initialement surtout validé par des DES de médecine interne avec souvent
une perspective universitaire. Secondairement, la médecine générale
étant devenue une spécialité, ce sont les DES de médecine générale qui
ont fourni 90 % des effectifs du DESC de gériatrie. La deuxième voie
était celle de la capacité de gérontologie créée elle aussi en 1988. Ce
système a d’abord permis à des médecins généralistes déjà installés et
plus rarement à des spécialistes de se reconvertir à la gériatrie.
Depuis plusieurs années, ce sont aussi les médecins à diplôme étranger
qui choisissent cette voie pour valider leur procédure d’autorisation
d’exercice (PAE). La capacité a fourni de très nombreux médecins
coordonnateurs d’EHPAD, de médecins de SLD (soins de longue durée) et
aussi de SSR (soins de suite et de rééducation) gériatriques : 88,5 %
des gériatres hospitaliers sont détenteurs de la capacité de
gérontologie et seulement 8 % du DESC… Rien que pour les médecins
coordonnateurs d’EHPAD, les besoins estimés sont de 6 000 médecins pour
environ 10 000 établissements dans les secteurs public, privé et
associatif.
En Île-de-France, il y a actuellement 130 internes en
UGA (unités de gériatrie aigüe) et 194 en SSR, presque exclusivement de
médecine générale. Pour novembre 2017 (phase socle), il est prévu
d’ouvrir 30 postes de DES de gériatrie, uniquement en UGA, et seulement
dans des services universitaires (les seuls ayant un niveau de formation
suffisant…) avec quelques services ayant comme responsable un ancien
chef de clinique assistant. Pour la phase 2 (approfondissement) il n’est
prévu que 15 postes en SSR ! Comme la médecine générale ne donnera son
agrément que pour les services ayant déjà l’agrément en gériatrie (qui
du coup seront aussi les seuls à avoir l’agrément pour la PAE), il est
facile d’imaginer la catastrophe annoncée !
La situation est bien sûr différente d’une région à
l’autre et selon les structures. De nombreuses structures privées n’ont
jamais eu d’internes et ont été créées sur cette base. En province ou en
Île-de-France dans la deuxième couronne, de nombreux hôpitaux ont
également modifié leur fonctionnement pour survivre sans internes. Et
ceci grâce aux médecins à diplôme étranger qui pendant longtemps
pouvaient être recrutés très facilement et pour un coût financier très
acceptable. Depuis les règles de recrutement sont devenues de plus en
plus restrictives avec en particulier la création de la PAE (procédure
d’autorisation d’exercice). De très nombreux services, à chaque fois
qu’ils perdaient des internes ont survécu par ce biais. Mais aujourd’hui
ce robinet est presque fermé et ceux qui avaient été recrutés, dès
qu’ils sont inscrit au conseil de l’Ordre, quittent l’hôpital pour
s’installer dans le privé (SSR ou EHPAD) où ils sont largement mieux
payés et avec moins de contraintes (pas de gardes, ni de week-ends).
Dans le même temps, de nombreux praticiens hospitaliers quittent
l’hôpital public pour aller dans le privé.
On se retrouve donc aujourd’hui avec des services,
surtout en gériatrie et en SSR, dans lesquels il manque des praticiens
hospitaliers, des médecins étrangers, et pour lesquels on enlève
progressivement les internes depuis un an et demi. A Paul Brousse par
exemple, nous avons cet été 6 internes au lieu de 14, et en novembre,
probablement 0, 1 ou 2 ! Nous avons déjà fermé 45 lits, mais en novembre
ce sera une centaine. Et cela sur un seul site. Cette situation va
aller en se multipliant, et il est bien évident que c’est tout le
système hospitalier qui va en subir les conséquences. Ceux qui ne voient
rien venir vont vite comprendre quand il n’y aura plus de filière
d’aval pour accueillir leurs malades et conserver leur durée moyenne de
séjour (DMS) dans les bornes autorisées ! Par ailleurs, l’activité en
SSR va s’effondrer au moment où on passe (enfin ?) à la DMA (dotation
modulée à l’activité, une sorte de T2A – tarification à l’activité –
« light »).
Comme on le voit, on va droit dans le mur. On a
laissé les coordonnateurs de DES gérer la santé à leur guise sans aucun
contrôle et personne ne se pose de questions. Est-ce aux directeurs
d’hôpitaux de réagir ? Est-ce aux ARS (agences régionales de santé) ?
Est-ce à la DGOS (Direction générale de l’Organisation des soins) ?
Est-ce à la nouvelle ministre de la Santé ? En tous cas il y a urgence.
Lorsque les services auront fermé, pour beaucoup on ne pourra plus
revenir en arrière.
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