Critique TELERAMA :
Son
art du dépouillement n'a jamais semblé aussi utile. Dans un monde qui
se raconte de plus en plus comme une série télé dramatique et bavarde,
Kaurismäki va à l'essentiel. Des plans comptés, des dialogues choisis. « Showers ? », c'est le premier mot qu'on entend dans L'Autre Côté de l'espoir :
parti d'Alep, en Syrie, et arrivé à Helsinki caché dans un tas de
charbon, sur un cargo, Khaled cherche des douches. Du savon d'abord.
Avant d'essayer de reconstruire sa vie. Ce dont le Finlandais Wikström
doit se préoccuper lui aussi : il a quitté sa femme, qui lui préférait
la vodka, et repart à zéro. Khaled va tout miser sur sa demande de droit
d'asile. Heureusement, Wikström, qui a joué son avenir au poker, sera
là pour l'aider.
L'essentiel, c'est la solidarité. Comme au temps de l'Armée du salut et de la soupe populaire, dans L'Homme sans passé (2002). Comme dans Le Havre (2011),
où un gamin arrivé clandestinement du Gabon était recueilli par un
cireur de chaussures. Si Kaurismäki nous parle à nouveau aujourd'hui du
destin d'un migrant, c'est pour faire entendre un besoin de fraternité
devenu encore plus criant. La réalité s'est durcie. Lorsque Khaled est
questionné par les autorités finlandaises sur son parcours et raconte
les violences qu'il a subies, le décor froid de la pièce dit qu'il n'y a
plus de place pour la compassion. Nul besoin de protection pour le
Syrien, qui peut être renvoyé chez lui, jugeront les autorités. Sur un
écran de télé, surgissent alors les images d'Alep en ruines...
En
même temps qu'il épingle la gestion bureaucratique d'une crise
humanitaire, Kaurismäki reste dans la générosité. Les images du
reportage télé, il les accueille dans son film. Lui qui a toujours rendu
hommage à la pureté du cinéma des origines, aux films muets et à
Charlie Chaplin, il met l'actualité au premier plan. Montrer Alep est
essentiel. Dans son univers si personnel, le Finlandais fait entrer le
monde d'aujourd'hui comme une évidence. Il y a ces noms de pays qui
résonnent dans le récit de Khaled, Turquie, Grèce, Slovénie, Allemagne,
Pologne... Il y a les tenues colorées des Africaines, au centre
d'hébergement, à Helsinki. Et aussi un exotisme plein de fantaisie. Le
représentant de commerce Wikström vend des chemises à une commerçante
qui va prendre sa retraite au Mexique pour y danser le hula, comme à
Hawaii. Et quand Wikström change de vie, il rachète une brasserie où le
prix du steak de hareng est toujours affiché en marks finlandais, pour
en faire un restaurant japonais. L'espoir est dans ces vies
mondialisées qui inspirent des scènes burlesques et tendres, et font
basculer le drame du côté de la comédie. Avec quelques personnages, une
nouvelle Internationale prend forme !
En
allant vers les autres, Kaurismäki revient à lui, retrouve son passé. A
travers Wikström, il évoque son père, qui était VRP spécialisé dans les
chemises. Et comme à ses débuts dans le cinéma, il nous fait souvent
croiser ici des musiciens, des rockers qui chantent au coin des rues,
dans les bars. L'Autre Côté de l'espoir est un film plus
juvénile que ses précédents, en même temps qu'il est très réfléchi,
engageant sa vision du monde aujourd'hui. C'est le film de tous les
partages. Entre la sombre réalité et la légèreté qui permet d'y
survivre. Entre les souvenirs et le changement. Entre Khaled et
Wikström. Un Syrien et un Finlandais qui, avec leurs cheveux gominés,
ont belle allure. Leur héroïsme, c'est l'humanisme. — Frédéric Strauss
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