Présidentielle 2017 et
transition énergétique:
analyse comparative des programmes
La
transition énergétique n'est pas une option, c'est une nécessité. Une
loi a été votée en ce sens en 2015, et même si elle ne répond pas
vraiment à toutes les attentes, elle illustre à minima l'importance qu'a
pris le sujet dans la politique contemporaine. J'ai donc voulu regarder
les programmes sous l'angle de la transition énergétique, afin de mieux
cerner à quel point les candidatEs prenaient en compte cet enjeu.
N.B.:
L'analyse que je vous propose ici n'est pas exhaustive car, de mon
point de vue, la transition énergétique implique une transformation
profonde des institutions, de l'organisation et de l'aménagement des
territoires. Il aurait donc fallu que j'analyse l'intégralité de tous
les programmes, et cela m'est impossible. Par ailleurs, aucun des
programmes ne va assez loin pour envisager de potentiels effondrements
ou ruptures, mais cela n'est pas surprenant, il faut quand même vendre
du rêve, de la vision ...
Après
avoir décortiqué les programmes dans le domaine de l'énergie, j'ai
décidé de classer les candidatEs dans plusieurs catégories.
Les onze candidatEs passéEs au grill de la transition énergétique !
Source image: http://images.midilibre.fr
La catégorie "le sujet ne m'intéresse pas vraiment, j'ai d'autres chats à fouetter"
On retrouve ici Nathalie Arthaud (LO)
qui veut simplement donner la parole, si ce n'est le pouvoir, aux
ouvriers. Tous les problèmes viennent de là, donc inutile de chercher
d'autres explications. Elle parle bien d'une forme de transition, mais
qui serait plutôt une révolution aux couleurs de lutte des classes. Aucune orientation politique sur l'énergie, il s'agit juste de "faire entendre la voix des travailleurs".
On y retrouve également Jacques Cheminade, qui veut simplement soutenir la recherche dans la fusion thermonucléaire.
Il s'agit là d'une technologie qui ne serait pas disponible avant près
d'un siècle, ce qui nous laisse largement le temps de mourir de plein
d'autres choses d'ici là. Précisons que la mise à disposition d'une
énergie illimitée serait catastrophique, car elle donnerait le feu vert pour un pillage total (déjà bien engagé) des ressources planétaires.
La catégorie "je ne suis pas certain de bien comprendre, mais je propose une liste de trucs non chiffrés, qui font plaisir à mon électorat"
On y trouve Marine Le Pen,
qui estime que tous les problèmes environnementaux viennent de la
mondialisation, et qu'il faut produire et consommer localement. En toute
cohérence, elle veut développer massivement les énergies renouvelables
... mais décréter un moratoire immédiat sur l'éolien (?!?) et
faire de l'isolation des bâtiments une priorité budgétaire -c'est plutôt
bien et ça ne mange pas de pain, car ça fait plaisir à tout le monde-.
Pour
le reste, on mettra la cohérence de côté ! Elle ne veut pas
spécialement se priver du gaz, mais elle interdira l'exploitation du gaz
de schiste en France. Bon finalement, le gaz justifie bien un peu de
mondialisation. Ensuite, elle veut développer l'hydrogène, qu'elle considère comme une "énergie propre". Il faudrait lui expliquer que, comme l'électricité, l'hydrogène n'est pas une source d'énergie, mais un vecteur
et que 95% de l'hydrogène est issu du gaz naturel. Mais il faut
peut-être subtilement déduire qu'elle veut produire l'hydrogène avec de
l'électricité nucléaire, puisqu'elle souhaite maintenir et moderniser le
parc, engager le programme de Grand Carénage
pour prolonger la durée de vie des réacteurs ... et refuser de fermer
Fessenheim. Allez tiens, pour l'uranium aussi on reprendra bien un peu
mondialisation ! Bref, la transition énergétique à la mode Front
National, c'est on continue comme avant, mais on arrête l'éolien.
Ensuite, il y a François Asselineau
qui fait de la sortie de l'Union Européenne un préalable à toute
politique écologique. Sa vision : il veut donner la parole au peuple, par
exemple avec des QCM
pour définir les politiques à conduire, pour faire des choix sur le
nucléaire ou la sobriété énergétique. S'en suit une liste d'une vacuité
remarquable mais qui peut faire consensus, qui va de la volonté de
réduire l'énergie consommée dans les bâtiments, à la réduction de la
dépendance aux hydrocarbures, en passant par la réduction des émissions
des gaz à effet de serre. Avec ça, on n'est pas très avancé, mais un
point a cependant retenu mon attention, une volonté d'améliorer la résilience du pays et d'augmenter les stocks stratégiques d'hydrocarbures. Ce détail sur la vulnérabilité de notre société est tout de même un bon point.
La centrale de Flamanville. Source image: https://www.lesechos.fr/
La catégorie "on ne change rien au système, on remplace juste une énergie par une autre !"
Il y a d'abord François Fillon, qui veut "préparer l'après pétrole"
... rien que ça ! Je dois dire que, connaissant un peu le personnage
pour l'avoir eu en Premier Ministre et pour l'avoir un peu écouté ces
derniers mois, j'ai souri en lisant certaines parties de son programme :
"Inciter
les villes qui n’en sont pas encore dotées à concevoir une feuille de
route dans laquelle toutes les actions favorables à l’environnement sont
exposées (urbanisme, politique de l’eau, assainissement, déchets,
transports, chauffage urbain…) ; renforcer la vie démocratique locale et
revitaliser les formes de participation et passer ainsi d’une écologie
de l’immobilisme à une écologie de projet, en associant mieux les
collectivités locales et la société civile aux décisions
environnementales."
J'ai trouvé ça émouvant, j'avais l'impression de lire le manuel de transition de Rob Hopkins
ou le programme d'EELV ! Plaisanterie mise à part, Monsieur Fillon veut
développer les renouvelables, mais sans obligation d'achat par
l'opérateur national. Il préfère soutenir l'autoconsommation et donc les
contrats privés, sans participation de l'État. Par ailleurs, il n'est pas question de réduire globalement la consommation d'énergie du pays, mais plutôt d'amplifier les économies d'énergie individuelles pour rendre du pouvoir d'achat aux français.
Si il parle ici d'aider les plus pauvres à sortir de la précarité,
c'est très bien. Si c'est juste pour permettre de relancer une
croissance consumériste en déplaçant les dépenses, il a tout faux.
Enfin, il veut développer la voiture électrique et revenir sur la loi de transition énergétique pour donner plus de place au nucléaire (Grand Carénage et modernisation de la filière). Bref, le programme consiste à passer du pétrole au tout nucléaire,
à isoler les bâtiments pour relancer la croissance, et à favoriser
l'autonomie pour les privés qui pourront investir dans
l'autoconsommation. On remarquera tout de même la mise en avant d'une taxe carbone à 30€/tonne, mais qui sera compensée par des baisses de charges par ailleurs, sans préciser lesquelles.
Avec Nicolas Dupont-Aignant, on est un peu sur le même registre du tout nucléaire, avec l'idée de développer la filière au thorium, qui prendrait le relai (la faisabilité reste à démontrer) en 2050. Il veut revoir la loi de transition énergétique pour supprimer la limite à 50% de nucléaire en 2025 et soutenir la filière EPR actuelle, malgré les erreurs passées.
Il propose tout de même certaines idées originales, comme le livret
d'épargne "dispositif d'économie d'énergie" (sans précision), le guichet
régional pour la fiscalité verte, la forte impulsion pour la
valorisation du solaire thermique ou le remplacement de 10 millions de
véhicules en 10 ans, par un bonus en cas d'achat d'une voiture
consommant moins de 3L/100km. On est ici dans une logique générale de continuité du système actuelle, avec une amplification du soutien à la filière nucléaire et une simple évolution technologique, un remplacement d'une énergie par une autre.
L'isolation des bâtiments est préconisée par presque touTEs les
candidatEs.
Ici, une isolation par l'extérieur en paille.
Source image:
www.accortpaille.fr
Et puis il y a la catégorie "Bon, soyons sérieux, il faut changer pas mal de choses quand même !" Dans cette catégorie, il reste cinq candidats dont les stratégies divergent plus ou moins.
Il y a d'abord le modéré du groupe, Emmanuel Macron (En Marche), qui a trouvé des gens pour bosser un peu le sujet, et qui propose un scénario assez détaillé, mais plutôt soft. Du côté des économies d'énergie, on retrouve 4 milliards pour rénover les bâtiments publics et 4 autres milliards pour les logements, des audits énergétiques gratuits pour les propriétaires en situation de précarité, une prime immédiate pour la rénovation. L'économie circulaire
est une autre piste sérieusement envisagée pour limiter les impacts
environnementaux de l'économie. Côté consommation, on ne fait donc rien
qui puisse fâcher : en isolant les bâtiments, on fait plaisir à tout le
monde (c'est pourquoi presque tout le monde le propose, à plus ou moins
grande échelle).
Côté production, on double la capacité éolienne et solaire en 2022, on investit 30 milliards,
on simplifie les procédures et on fait de la recherche sur le stockage
et les réseaux intelligents. Les énergies fossiles sont ciblées, avec
une fermeture de toutes les centrales à charbon en 5 ans, l'interdiction
d'exploitation des hydrocarbures de schiste, l'augmentation de la taxe
carbone à 100€/t à l'horizon 2030 (combien pendant le quinquennat ?) et
le soutien du véhicule électrique. Mais cela reste léger et imprécis
quand on sait que le charbon est marginal dans la consommation
d'énergie fossile en France, et que le pétrole représente 96% de
l'énergie consommée pour le transport. Pour ce qui concerne le nucléaire, c'est probablement la pire des orientations possibles, c'est-à-dire que l'on continue comme avant, sans avis tranché sur la question.
On ne sait pas vraiment si on prolonge le nucléaire ou pas, on attend
un avis technique de l'ASN, on veut bien fermer Fessenheim, mais
seulement quand on ouvre Flamanville, on reste sur l'objectif de la loi de transition énergétique, qui est tout sauf claire sur le nucléaire. Bref, un flou qui est inadapté à la vision de long terme qu'exige l'avenir énergétique de notre pays. Bref, quelques bonnes pistes,
mais une transition énergétique probablement trop modérée pour
atteindre le facteur 4 et diviser par deux la consommation d'énergie
finale à l'horizon 2050.
Couverture du livret spécial sur l'énergie de France Insoumise.
Source image: https://avenirencommun.fr/
Le candidat Benoît Hamon propose un projet assez proche du précédent. On sent qu'il a une vision, qu'il a envie de faire quelque chose de bien et de changer les choses, mais finalement on a plutôt l'impression que le projet manque de maturité au regard des enjeux. Il est d'abord question d'un grand plan de sobriété énergétique
(isolation, transports en commun, véhicules propres). Outre le fait que
les exemples cités entre parenthèses n'ont rien à voir avec la sobriété
énergétique, on ne voit pas bien ce qu'il y a derrière. Ensuite, on
retrouve à peu près les objectifs de scénario négaWatt 2017, c'est à
dire 100% d'énergies renouvelables et la fermeture du parc nucléaire
avant 2050. Il est bien question de transition énergétique profonde,
puisque 100% renouvelable, c'est une vraie transition. La question est
de savoir s'il a une petite idée du chemin qu'il faudra parcourir pour y
parvenir.
Philippe Poutou (NPA)
propose un programme militant, lui aussi basé sur un objectif 100%
renouvelable en 2050. Le programme n'entre pas trop dans le détail, mais
montre clairement que la transition est indispensable, insistant
spécifiquement sur le risques climatiques et nucléaires. Pour diminuer
les consommations et se satisfaire du renouvelable, le NPA exige l'arrêt des productions inutiles et dangereuses dont l'armement avec la reconversion des travailleurEs,
l'interdiction de la publicité énergivore ou la fin de l'obsolescence
programmée. Entre autres propositions, il vise également la gratuité des
transports publics, souhaite en finir avec la logistique en flux tendu
et réduire la place de la voiture. Pour le nucléaire, la préconisation
est une position abrupte, avec une fermeture immédiate de tous les réacteurs de plus de trente ans, ce qui conduirait à fermer 38 réacteurs sur 58 et diminuer la puissance nucléaire disponible de 60%, ce qui est techniquement ... et socialement ingérable !
Enfin, il faut remarquer le poète Jean Lassalle. On ne peut pas tout connaitre, mais on peut avoir conscience des grands défis à relever. Il nous propose de "prendre le temps de comprendre les choix qui se posent à nous et d'en débattre". Pour lui, il est temps de "clore paisiblement ce qui est devenu le cauchemar du pétrole",
car les renouvelables devraient pouvoir remplacer les énergies fossiles
et le nucléaire. Ce discours un peu naïf, mais positif et poétique
montre une sensibilité particulière au sujet, sans pour autant donner le
moindre signe d'une maitrise des enjeux réels.
Source image: https://www.greenunivers.com/
Conclusion
-
Si vous pensez que la transition énergétique n'est pas un élément
crucial des orientations politiques pour les décennies à venir, vous
pouvez voter Nathalie Arthaud et Jacques Cheminade.
- Si vous pensez que changer le type d'énergie est suffisant et que vous aimez les incantations gratuites, le vote Marine Le Pen, François Asselineau, François Fillon, Nicolas Dupont-Aignan ou Jean Lassalle peut vous convenir.
- Si vous pensez qu'une transition énergétique, certes intelligente, mais en version "Quinquennat Hollande ++" sans changer les recettes du passé, permettra d'atteindre les objectifs, le vote Emmanuel Macron est satisfaisant.
Si vous cherchez encore votre candidat, il en reste trois :
- Jean-Luc Mélenchon qui propose un scénario radical mais argumenté
- Benoît Hamon qui propose aussi un scénario radical et peu travaillé
- Philippe Poutou qui propose un scénario très -trop- radical.
Source : http://www.avenir-sans-petrole.org/2017/03/la-transition-a-l-epreuve-des-presidentielles.html
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire