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dimanche 19 juin 2016

"Nuit Debout, ça existe encore ?"

« Nuit Debout, ça existe encore ? »

LE MONDE | 28.05.2016 à 14h55 | Par Nathalie Quintane (Ecrivaine et poétesse)

Manigestation Nuit debout à Toulouse, le 19 mai. PASCAL PAVANI / AFP

 
Par Nathalie Quintane, écrivaine et poétesse

Une enquête récente, réalisée par un collectif de chercheurs et parue dans Le Monde,  proposait une sociologie des Nuit debout, et concluait par ces mots : « Une limite à l’extension du mouvement réside probablement dans la perception qu’en ont ceux qui se suffisent de descriptions univoques. Voulant clore la question de ce qu’il est, ils s’interdisent la possibilité d’être surpris par le mouvement. »

Le fait qu’une partie non négligeable de mes amis de gauche soient absents du mouvement, que ce soit à Paris ou en province (où je vis), n’a pas laissé de m’interroger dès le début. Si l’on écarte celles et ceux qui sont malades, trop âgés, qui travaillent de jour comme de nuit, qui viennent d’avoir un enfant ou qui en ont beaucoup, il en reste tout de même un certain nombre qui préfèrent rester chez eux. Comme je les croisais à une occasion ou à une autre, j’en venais à aborder le sujet. De ce qu’ils m’ont dit, j’ai gardé ces trois phrases :

« C’est des réunions Télérama, quoi ! » 

Au-delà de la sociologie rudimentaire des médias, qu’on colporte par paresse et par indifférence, et qui réduit les Nuit debout à un rassemblement bobo, il y a chez mes amis de gauche la crainte de la ringardise, du retour à l’époque des militants moustachus en sabots, d’avoir à côtoyer les activistes locaux, telle l’« asso pour la sauvegarde des marmottes » ou, pire, les « teuffeurs du coin », qui vont à coup sûr débarquer plein de bière passé 20 heures.

S’ils se décident à venir tout de même y jeter un œil, c’est assortis d’une protection ad hoc, la participation dandy, qui permet d’y goûter à distance convenable, sans se mouiller, toujours dans le souci principal de ce qu’il convient de faire, dire et être.
Je conçois qu’habitué à manifester pour quelque chose, on puisse être désarçonné par une convergence des luttes sans revendication autre que le pourtant ferme « En finir avec la loi travail et son monde »

« Ah non, je peux pas, je vais déjà à l’AG de l’association X ! » 

Débordés parce qu’actifs, mes amis n’ont pas toujours le temps de réaliser qu’il y a une différence entre Nuit debout, l’association pour la sauvegarde des marmottes, la piscine et le yoga : « Aussitôt que plusieurs personnes se rassemblent et agissent de concert, le pouvoir est manifeste, mais il tire sa légitimité du fait initial du rassemblement plutôt que de l’action qui est susceptible de le suivre », écrit Hannah Arendt.

Accoutumés à cette forme de puissance paradoxale qu’est l’inertie (ne parle-t-on pas de « force d’inertie » ?) ; préparés depuis trois décennies à ce que les barbares passent ; bien calfeutrés, voire en pleine résistance passive (sait-on de quelle imagination on se console ?), mes amis de gauche, dans un pessimisme a minima qu’ils n’ignorent pas – pour les plus lucides –, en pleine débandade, n’ont pas spécialement envie de s’organiser : ça demande du travail.

« Quoi ? Ça existe encore ? » 

L’effort est, cela dit, de mise pour s’autoconvaincre de ce que le mouvement est, au choix, un épiphénomène (ça ne va pas durer), une redite (Occupy, etc. : ça ne va pas durer), téléguidé par un groupuscule (ça ne va pas durer), en train de s’éteindre (ça ne va pas durer et j’y aide, au cas où). Bref, j’annule l’événement puisque je le rate, je n’ai donc rien raté.

Un changement de gâteau

Je conçois qu’habitué à manifester pour quelque chose (et en général quelque chose de bien précis, un pourcentage, 2 heures ou 6 mois de moins), on puisse être désarçonné par une convergence des luttes sans revendication autre que le pourtant ferme « En finir avec la loi travail et son monde » –, soit l’idée que, cette fois-ci, ce n’est pas une part du gâteau qu’on demande, mais un changement de gâteau.

Cela dit, il faudra bien, à un moment, prendre conscience que réduire Nuit debout à un ultime soubresaut (avant la thatchérisation définitive – « Il n’y a pas d’alternative à gauche », François Hollande, 17 mai 2016), nier sa qualité d’événement (car il se passe, de fait, quelque chose), c’est le dire inadéquat, non pertinent, insignifiant, et se placer par conséquent du côté du pouvoir – un pouvoir dont on sait tous qu’il est parfaitement hypocrite.

Question à mes amis : êtes-vous sûrs d’être encore du bon côté du manche ?

Nathalie Quintane est l’auteure de Descente de médiums (P.O.L, 2014) et Les Années 10 (La Fabrique édition, 2014) (Ecrivaine et poétesse)

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