« Nuit
Debout, ça existe
encore ? »
Manigestation Nuit debout à Toulouse, le 19 mai. PASCAL PAVANI / AFP |
Par Nathalie
Quintane, écrivaine et poétesse
Une enquête récente, réalisée par un
collectif de chercheurs
et parue dans Le Monde, proposait une
sociologie des Nuit debout, et
concluait par ces mots : « Une limite à l’extension du
mouvement
réside probablement dans la perception qu’en ont ceux qui se
suffisent de
descriptions univoques. Voulant clore la question de ce
qu’il est, ils
s’interdisent la possibilité d’être surpris par le
mouvement. »
Le fait
qu’une partie non négligeable de mes amis de gauche soient
absents du
mouvement, que ce soit à Paris ou en province (où je vis), n’a
pas laissé de
m’interroger dès le début. Si l’on écarte celles et ceux qui
sont malades, trop
âgés, qui travaillent de jour comme de nuit, qui viennent
d’avoir un enfant ou
qui en ont beaucoup, il en reste tout de même un certain
nombre qui préfèrent
rester chez eux. Comme je les croisais à une occasion ou à une
autre, j’en
venais à aborder le sujet. De ce qu’ils m’ont dit, j’ai gardé
ces trois
phrases :
« C’est
des réunions Télérama, quoi ! »
Au-delà de la sociologie
rudimentaire des médias,
qu’on colporte par paresse et par indifférence, et qui réduit
les Nuit debout à
un rassemblement bobo, il y a chez mes amis de gauche la
crainte de la
ringardise, du retour à l’époque des militants moustachus en
sabots, d’avoir à
côtoyer les activistes locaux, telle l’« asso pour la
sauvegarde des
marmottes » ou, pire, les « teuffeurs du coin », qui vont à
coup
sûr débarquer plein de bière passé 20 heures.
S’ils se
décident à venir tout de même y jeter un œil, c’est assortis
d’une protection
ad hoc, la participation dandy, qui permet d’y goûter
à distance
convenable, sans se mouiller, toujours dans le souci principal
de ce qu’il
convient de faire, dire et être.
Je conçois
qu’habitué à manifester pour quelque chose, on puisse
être désarçonné
par une convergence des luttes sans revendication autre que le
pourtant ferme
« En finir avec la loi travail et son monde »
« Ah
non, je peux pas, je vais déjà à l’AG de l’association X ! »
Débordés
parce qu’actifs, mes amis
n’ont pas toujours le temps de réaliser qu’il y a une
différence entre Nuit
debout, l’association pour la sauvegarde des marmottes, la
piscine et le
yoga : « Aussitôt que plusieurs personnes se rassemblent
et
agissent de concert, le pouvoir est manifeste, mais il tire
sa légitimité du
fait initial du rassemblement plutôt que de l’action qui est
susceptible de le
suivre », écrit Hannah Arendt.
Accoutumés à
cette forme de puissance paradoxale qu’est l’inertie (ne
parle-t-on pas de
« force d’inertie » ?) ; préparés depuis trois décennies à
ce que les barbares passent ; bien calfeutrés, voire en pleine
résistance
passive (sait-on de quelle imagination on se console ?), mes
amis de
gauche, dans un pessimisme a minima qu’ils n’ignorent pas –
pour les plus
lucides –, en pleine débandade, n’ont pas spécialement envie
de
s’organiser : ça demande du travail.
« Quoi ?
Ça existe encore ? »
L’effort est, cela dit, de mise pour
s’autoconvaincre
de ce que le mouvement est, au choix, un épiphénomène (ça ne
va pas durer), une
redite (Occupy, etc. : ça ne va pas durer), téléguidé par un
groupuscule
(ça ne va pas durer), en train de s’éteindre (ça ne va pas
durer et j’y aide,
au cas où). Bref, j’annule l’événement puisque je le rate, je
n’ai donc rien
raté.
Un changement de gâteau
Je conçois
qu’habitué à manifester pour quelque chose (et en
général quelque chose
de bien précis, un pourcentage, 2 heures ou 6 mois de moins),
on puisse
être désarçonné par une convergence des luttes sans
revendication autre que le
pourtant ferme « En finir avec la loi travail et son monde »
–, soit
l’idée que, cette fois-ci, ce n’est pas une part du gâteau
qu’on demande, mais
un changement de gâteau.
Cela dit, il
faudra bien, à un moment, prendre conscience que réduire Nuit
debout à un
ultime soubresaut (avant la thatchérisation définitive – « Il
n’y a pas
d’alternative à gauche », François Hollande, 17 mai
2016), nier
sa qualité d’événement (car il se passe, de fait, quelque
chose), c’est le dire
inadéquat, non pertinent, insignifiant, et se placer par
conséquent du côté du
pouvoir – un pouvoir dont on sait tous qu’il est parfaitement
hypocrite.
Question à
mes amis : êtes-vous sûrs d’être encore du bon côté du
manche ?
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