Notre-Dame-des-Landes :
« Ce référendum relève
de l’aberration écologique »
Le Monde
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Par Luc Semal, maître de conférences en science politique au Muséum national d’histoire naturelle.
L’annonce par François Hollande d’un référendum local pour décider de l’avenir du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) est une nouvelle preuve qu’il n’y a jamais eu de virage écologique au sein de l’exécutif. Ce choix marque son refus persistant de tirer les conséquences des liens désormais évidents entre le local et le global. C’est le choix d’une procédure étriquée qui tente de réduire à un banal conflit local ce qui est aussi la cristallisation d’un enjeu global. C’est encore manquer l’occasion d’expérimenter des procédures plus ambitieuses, qui contribueraient à l’invention d’une démocratie écologique.
Contre ce projet, les opposants ont souvent dénoncé la destruction de l’environnement local qu’impliquerait l’emprise au sol de l’aéroport. Dans le même temps, ils n’ont eu de cesse de dénoncer la contribution de cette destruction locale à l’érosion globale de la biodiversité. De même, ils n’ont cessé de dénoncer la contribution du développement du trafic aérien au réchauffement global. C’est l’un des traits les plus particuliers de la pensée écologiste que de toujours s’efforcer de mettre au jour les interactions entre le local et le global.
Chercher ce que serait une démocratie écologique, c’est accepter l’idée que l’irruption de la crise écologique globale nous contraint à réévaluer nos théories, pratiques et routines démocratiques à la lumière des bouleversements. Dans les années 2000, la politologue australienne Robyn Eckersley a tracé les grands traits de ce que serait une « démocratie pour les affectés » : une démocratie qui, par des institutions et des procédures décisionnelles innovantes, prêterait attention aux intérêts de toutes les parties potentiellement affectées par la décision. Or, dans une perspective écologiste, ces affectés sont nombreux.
Générations futures
Dans le cas de Notre-Dame-des-Landes, le peuple des affectés dépasse le nombre des individus qui seraient autorisés à s’exprimer à l’occasion d’un référendum local. Les habitants, les riverains, les agriculteurs locaux doivent aussi avoir voix au chapitre, mais ils ne devraient pas être les seuls. Au moins trois catégories d’affectés se trouvent, de fait, exclus par le choix du président Hollande.
L’ensemble des humains vivant aujourd’hui sur cette Terre commencent d’ores et déjà à subir les effets très concrets du réchauffement global. Rappelons que plusieurs milliards de personnes sur Terre n’ont jamais pris l’avion et ne mettront jamais les pieds à Notre-Dame-des-Landes. Ils n’en subissent pas moins les canicules, sécheresses, ouragans, inondations et autres phénomènes extrêmes que le projet d’aéroport se propose d’accentuer. Faire le choix du référendum local, c’est oublier sciemment la dimension globale des conséquences de l’aéroport, en excluant du processus décisionnel tous ceux qui subissent les effets du réchauffement sans tirer aucun bénéfice du transport aérien.
Il y a aussi les générations futures, qui subiront plus encore les conséquences de la folie aéroportuaire. Le réchauffement global n’est pas qu’un démultiplicateur de phénomènes météorologiques extrêmes. Il est aussi l’amorce d’un processus qui, en l’espace de quelques décennies, va altérer les conditions de vie de l’humanité sur cette planète. Faire le choix du référendum local, c’est oublier la dimension transgénérationnelle du bouleversement en cours, sans souci des générations qui vivront les effets monstrueux du transport aérien longtemps encore après l’épuisement des énergies fossiles.
Enfin, il y a les non-humains. Difficile de les évoquer sans être renvoyé à la caricature de l’écologiste se souciant des fleurs et des oiseaux. C’est bien dommage, car l’éthologie et l’éthique environnementale montrent pourtant que la distance entre eux et nous n’est peut-être pas aussi grande que nous le pensions, et que les bases scientifiques de l’anthropocentrisme absolu s’effritent au fil des découvertes. Or les sociétés thermo-industrielles, mues par l’utilisation massive des énergies fossiles, se sont engagées sur la voie d’une nouvelle extinction de masse à l’échelle planétaire, dont les causes comptent à la fois la dégradation des habitats et le réchauffement global. Faire le choix du référendum local, c’est oublier la dimension éco-centrique des dégâts globaux que ce nouvel aéroport accentuerait.
Proposition bâclée
En quatre ans, il aurait été possible d’innover, et d’expérimenter à Notre-Dame-des-Landes de nouvelles formes délibératives tenant compte des intérêts de tous les êtres affectés par le projet. Au lieu de cela, quatre ans de tergiversations accouchent d’une proposition bâclée, celle d’un référendum local dont le corps électoral n’est pas encore connu, et assorti d’une échéance si proche – octobre 2016 – qu’elle hypothèque la possibilité même d’une campagne à la hauteur des enjeux.
En faisant ce choix, l’exécutif témoigne à nouveau de son incapacité à saisir la rupture paradigmatique que constitue la crise écologique globale. C’est une énième tentative d’endiguer un conflit qui déborde les frontières du local. C’est enfin un refus de laisser émerger à cette occasion certaines questions inconfortables : pour vraiment lutter contre le réchauffement global et les pertes de biodiversité, ne serait-il pas nécessaire de choisir la décroissance du transport aérien plutôt que son développement ?
Si ce référendum local est organisé, peut-être débouchera-t-il sur un abandon du projet. Mais ce ne serait qu’une victoire à la Pyrrhus pour l’écologie politique, car le risque qui se profile ensuite est de voir le recours au référendum local se banaliser pour désamorcer les conflits écologiques qui accompagnent petits, moyens et grands projets d’aménagement. Or le référendum local n’est pas un dispositif suffisant pour donner corps à une démocratie écologique. Se contenter de référendums locaux pour décider de telles infrastructures reviendrait à vendre la démocratie écologique à la découpe, pour mieux l’enterrer.
Luc Semal
En
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