Le jeu trouble de Stéphane Le Foll
sur les pesticides
Le Monde | 15.03.2016 à 10h49 • Mis à jour le 15.03.2016 à 16h51 | Par Audrey Garric et Martine Valo
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Mais à la différence de la quinzaine d’organisations d’apiculteurs et de défenseurs de la biodiversité qui ont appelé à un rassemblement devant le Palais-Bourbon mardi matin, ce n’est pas pour convaincre les parlementaires d’en finir avec ces « insecticides tueurs d’abeilles », comme les qualifient les ONG. Au contraire, le ministre s’est adressé aux députés lundi, dans une lettre argumentée, pour les inciter à ne pas se prononcer en faveur d’une interdiction simple et totale. La missive, datée du 11 mars et que Le Monde s’est procurée, s’apparente à un procédé pour le moins inhabituel.
Débats et tensions
La disposition sur les néonicotinoïdes, qui s’inscrit dans l’article 51 du projet de loi, a connu nombre de tribulations avant d’être finalement réintroduite par la commission du développement durable de l’Assemblée le 9 mars, à l’initiative d’une soixantaine de députés écologistes et socialistes. Le texte indique que l’utilisation de l’ensemble de cette famille d’insecticides sera interdite à partir du 1er janvier 2017, pour tous les usages et toutes les cultures, y compris les semences enrobées avec ces produits.
C’est peu dire que cette version du texte suscite débats et tensions entre les parlementaires et au sein du gouvernement. Pas moins de 45 amendements ont été déposés depuis une semaine en faveur de la suppression ou de la modification de l’article. Le vote en séance plénière est loin d’être acquis.
Si l’Assemblée avait déjà adopté en première lecture, en mars 2015, une interdiction des néonicotinoïdes, l’amendement avait été introduit à la surprise générale, de sorte que tous les députés n’étaient pas présents. Les sénateurs sont ensuite revenus sur cette mesure, en janvier. Ils lui ont préféré une proposition bien plus floue : ils souhaitaient s’en remettre au ministère de l’agriculture pour déterminer, plus tard, leurs « conditions d’utilisation » en tenant compte des « conséquences sur la production agricole ». Depuis, 224 députés et 64 sénateurs ont rallié l’appel en faveur d’une interdiction totale, déposé en juin 2015 par trois députés socialistes, Delphine Batho, Gérard Bapt et Jean-Paul Chanteguet.
« Distorsions entre agriculteurs »
Dans sa lettre de près de quatre pages, Stéphane Le Foll défend longuement sa propre « action volontariste » contre les néonicotinoïdes. Il reconnaît la neurotoxicité, prouvée, des sept molécules de cette catégorie de pesticides qui donnent lieu à la commercialisation d’une centaine de produits aux appellations différentes, largement utilisés dans l’Union européenne (UE). Mais s’empresse de donner des gages : « Je suis favorable à réduire encore le risque d’exposition des colonies [d’abeilles] », écrit-il.
Pour autant, l’action de son ministère vis-à-vis de ces produits chimiques « ne peut se faire en créant des distorsions entre les agriculteurs français et le reste des agriculteurs européens », assure-t-il. La position des représentants du monde agricole transparaît là jusque dans le vocabulaire employé par le ministre, soucieux de préserver les paysans, particulièrement en cette nouvelle période de crise. Conclusion : la politique française « doit se conduire au bon niveau, au niveau européen ».
Interdiction partielle
En mai 2013, M. Le Foll avait demandé et obtenu une suspension des néonicotinoïdes durant deux ans, le temps que l’UE en évalue à nouveau les effets sur la biodiversité. Mais cette interdiction n’est que très partielle : non seulement elle ne porte que sur trois substances – le thiaméthoxame, la clothianidine et l’imidaclopride –, mais elle ne concerne que certaines cultures. Des céréales d’hiver, des arbres fruitiers, des légumes, de la vigne, des rosiers et plantes d’intérieur continuent à être traités… Il existe bien certaines limites, en fonction des périodes de floraison, seulement les études scientifiques ont désormais montré à quel point les néonicotinoïdes persistent longtemps dans l’environnement. Ils peuvent se retrouver dans les sols, voire dans les fleurs sauvages autour des parcelles cultivées, deux ans après leur première utilisation.
284 députés et 64 sénateurs ont rallié l’appel en faveur d’une interdiction totale
Vis-à-vis de Bruxelles, Paris alterne exigences fortes et manque de soutien sur ce dossier. Stéphane Le Foll continue de demander publiquement à la Commission européenne de faire procéder à des évaluations supplémentaires sur la toxicité de ces substances qui déstabilisent les abeilles, les privant notamment de leurs points de repère. Mais contrairement à Ségolène Royal, son homologue à l’environnement, qui veut élargir les restrictions européennes, et à la Commission, qui voudrait elle-même édicter des règles plus sévères pour l’homologation de ces produits, le ministre ne se montre pas pressé de prendre des décisions radicales dans les campagnes françaises tant que les Vingt-Huit ne seront pas prêts à basculer tous ensemble dans l’après-néonicotinoïdes.
En attendant, rien n’est dit des quantités de néonicotinoïdes vendues en France. M. Le Foll indique simplement qu’elles ont baissées de « 3 % à 4 % en moyenne » entre 2011 et 2014. Quels sont les tonnages ? Qu’en est-il de l’évolution entre 2013 et 2014, une année où l’usage des pesticides a fait un bond inédit de plus de 9 % en France ? Ces données continuent de relever du secret absolu.
En attendant, rien n’est dit des quantités de néonicotinoïdes vendues en France. M. Le Foll indique simplement qu’elles ont baissées de « 3 % à 4 % en moyenne » entre 2011 et 2014. Quels sont les tonnages ? Qu’en est-il de l’évolution entre 2013 et 2014, une année où l’usage des pesticides a fait un bond inédit de plus de 9 % en France ? Ces données continuent de relever du secret absolu.
Les alternatives en question
Malgré l’échec reconnu du plan Ecophyto, destiné à réduire de 50 % d’ici à 2025 l’utilisation des produits phytosanitaires, Stéphane Le Foll se veut convaincant. « La solution qui consisterait à interdire tous les usages de produits contenant des néonicotinoïdes en France pourrait se traduire, en fait, par un recul dans la politique que mène le gouvernement pour protéger pollinisateurs, domestiques et sauvages », argumente-t-il. Car il faudrait alors avoir recours à « des voies alternatives qui ne présentent aucune garantie supplémentaire pour les pollinisateurs, bien au contraire ».
La coalition d’apiculteurs et d’ONG qui manifestait devant l’Assemblée nationale s’inscrit en faux contre cet argument issu des rangs de l’agriculture. « Il n’existe pas de famille de pesticides plus toxiques pour les abeilles en exposition chronique que les néonicotinoïdes », rétorquent en chœur les opposants aux néonicotinoïdes.
Lire aussi : Pesticides : l’échec accablant de la « ferme France »
« Je ne peux pas me résoudre à reporter l’interdiction des pesticides néonicotinoïdes dont on connaît les effets dévastateurs, abonde la députée écologiste Laurence Abeille (EELV, Val-de-Marne). Le ministre se dit convaincu de la nécessité de transformer l’agriculture ; l’action parlementaire sur ce sujet peut, à mon avis, lui manifester un soutien déterminant pour contrebalancer le poids du lobby de l’agrochimie. »
« Où est passée l’ambition de Stéphane Le Foll pour l’agroécologie ?, interroge de son côté Denis Voisin, porte-parole de la Fondation Nicolas-Hulot. Le statut quo sur les néonicotinoïdes, alors que les études scientifiques s’accumulent, ne permettra pas de résoudre la crise agricole. On attend que les députés prennent leurs responsabilités, qu’ils changent de modèle et mettent fin à l’empoisonnement. »
Qu’est-ce que les néonicotinoïdes ?
Imidaclopride, clothianidine, thiaméthoxame… Ces insecticides à large spectre ont une toxicité des milliers de fois supérieure aux précédentes générations. Ils sont souvent utilisés en enrobage de semences (les graines sont gainées du produit avant d’être semées) ou en traitement des sols. Dans les champs traités, les plantes sont ainsi imprégnées tout au long de leur vie. Ces usages, préventifs et systématiques, sont les plus controversés, d’autant plus que ces molécules persistent plusieurs années dans l’environnement.
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Audrey Garric
Chef adjointe du service Planète/Sciences du Monde Suivre Aller sur la page de ce journaliste Suivre ce journaliste sur twitter
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