Delphine Batho :
«Les citoyens n’en peuvent plus des pesticides»
Des abeilles entrent et sortent des cadres de ruche le 31 mai 2012 à Pont de Claix (Isère) Photo Jean Pierre Clatot. AFP |
Après l'adoption en deuxième lecture à l'Assemblé nationale du projet de loi sur la biodiversité, la députée PS et ancienne ministre de l’Ecologie Delphine Batho revient sur les principaux enjeux du texte.
Le projet de loi «pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages», le premier sur ce sujet majeur depuis la loi de 1976,
vient d’être voté en deuxième lecture à l’Assemblée nationale. Il
prévoit toute une série de mesures. Parmi les principales, la création
d’une Agence française de la biodiversité (AFB), qui sera le deuxième
grand opérateur de l’État en matière d’environnement avec l’Agence de
l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe).
La loi prévoit par ailleurs d’inscrire dans le code civil le préjudice écologique – né de la jurisprudence Erika, du nom du pétrolier affrété par Total qui a provoqué une marée noire en Bretagne en 1999. Et ce, sans toucher au principe pollueur-payeur, qui avait été menacé début mars par un amendement du gouvernement déposé en catimini mais très vite retiré. L’Assemblée nationale a aussi voté l’interdiction sans dérogation, à compter du 1er septembre 2018, des insecticides néonicotinoïdes, jugés toxiques pour les abeilles mais aussi pour d’autres animaux et même le cerveau humain.
Les députés ont en revanche rejeté l’interdiction du chalutage en eaux profondes, qui menace pourtant des espèces fragiles, comme le grenadier de roche ou la lingue bleue. Et ils ont fortement réduit la surtaxation de l’huile de palme, surnommée «taxe Nutella» : alors que le Sénat l’avait fixée à 300 euros la tonne en 2017 (puis 500 euros en 2018, 700 en 2019 et 900 à partir de 2020), les députés ont décidé que celle-ci passera de 30 euros en 2017 à 90 euros en 2020.
La loi n’est pas encore définitivement adoptée, puisqu’elle doit encore repasser au Sénat avant de revenir une dernière fois à l’Assemblée, qui aura le dernier mot. En attendant, la députée (PS) des Deux-Sèvres et ancienne ministre de l’Ecologie Delphine Batho, très impliquée dans les débats en défendant notamment l’interdiction des pesticides néonicotinoïdes, revient pour Libération sur les principaux enjeux du texte.
La loi prévoit par ailleurs d’inscrire dans le code civil le préjudice écologique – né de la jurisprudence Erika, du nom du pétrolier affrété par Total qui a provoqué une marée noire en Bretagne en 1999. Et ce, sans toucher au principe pollueur-payeur, qui avait été menacé début mars par un amendement du gouvernement déposé en catimini mais très vite retiré. L’Assemblée nationale a aussi voté l’interdiction sans dérogation, à compter du 1er septembre 2018, des insecticides néonicotinoïdes, jugés toxiques pour les abeilles mais aussi pour d’autres animaux et même le cerveau humain.
Les députés ont en revanche rejeté l’interdiction du chalutage en eaux profondes, qui menace pourtant des espèces fragiles, comme le grenadier de roche ou la lingue bleue. Et ils ont fortement réduit la surtaxation de l’huile de palme, surnommée «taxe Nutella» : alors que le Sénat l’avait fixée à 300 euros la tonne en 2017 (puis 500 euros en 2018, 700 en 2019 et 900 à partir de 2020), les députés ont décidé que celle-ci passera de 30 euros en 2017 à 90 euros en 2020.
La loi n’est pas encore définitivement adoptée, puisqu’elle doit encore repasser au Sénat avant de revenir une dernière fois à l’Assemblée, qui aura le dernier mot. En attendant, la députée (PS) des Deux-Sèvres et ancienne ministre de l’Ecologie Delphine Batho, très impliquée dans les débats en défendant notamment l’interdiction des pesticides néonicotinoïdes, revient pour Libération sur les principaux enjeux du texte.
Parmi la panoplie de mesures prévues dans le texte que viennent de voter les députés, quelles sont, selon vous, les principales avancées?
Bien sûr, l’inscription du préjudice écologique et l’interdiction des néonicotinoïdes. Sur le préjudice écologique, la faute commise par l’amendement gouvernemental qui remettait en cause le principe pollueur-payeur a paradoxalement permis d’en finir avec trois ans d’atermoiements. Nous avons obtenu la reconnaissance du préjudice, la définition des obligations de réparation. C’est un acte important, seize ans après le naufrage de l’Erika. A mes yeux, cette avancée s’inscrit dans une continuité de combats pour la reconnaissance des biens communs, pour la responsabilité environnementale des entreprises et dans un mouvement planétaire pour la création d’un tribunal pénal international contre les «écocides», c’est-à-dire les crimes contre la nature.
Le texte comporte d’autres avancées moins remarquées, comme
la réforme de la gouvernance de la politique de l’eau, qui donnera plus
de pouvoir aux représentants des usagers, ou encore la levée de
l’interdiction de l’échange de semences entre agriculteurs. Quant à la
création de l’Agence française pour la biodiversité, la principale
question est celle des moyens dont elle sera dotée pour agir.
A l’inverse, quels sont les reculs à déplorer par rapport à la version issue du Sénat (chalutage profond, «taxe Nutella»…)? Et d’éventuels manques criants?
Vous venez d’en citer un certain nombre, qui sont notables.
Il y en a d’autres, notamment un qui est passé complètement inaperçu :
la suppression de l’action de groupe en matière environnementale. C’est
le Sénat qui avait à juste titre introduit cette disposition que
l’Assemblée nationale a supprimée. L’action de groupe est pourtant
fondamentale. Dans l’affaire Volkswagen, de triche aux normes
d’émissions polluantes, elle serait appropriée !
Vous dénoncez souvent l’influence des lobbies. L’industrie des pesticides, la FNSEA ou les gros céréaliers dénoncent déjà une interdiction «absurde et dramatique» des néonicotinoïdes… On a vu que Stéphane Le Foll est très à leur écoute, comme beaucoup de responsables politiques. Comment faire en sorte que la mesure ne soit pas torpillée et qu’elle soit réellement appliquée un jour?
Ce qui est frappant dans le déluge de réactions, de Bayer
et autres lobbies de l’agrochimie, c’est que toutes ces réactions nient
de façon radicale la toxicité aiguë des néonicotinoïdes. Pourtant, s’il
faut retenir, outre le résultat du vote, un moment de vérité du débat à
l’Assemblée nationale, c’est celui où le groupe Les Républicains a
retiré son amendement de suppression de l’article sur les
néonicotinoïdes. C’est un acquis de ce débat : presque plus aucun
parlementaire ne nie la réalité du problème et l’impact sur les abeilles
et les pollinisateurs.
Les réactions des lobbies ont donc un temps de retard sur
la démocratie et au moins dix ans de retard sur la science. Reste qu’ils
sont puissants. La loi doit retourner au Sénat, puis il y aura
l’adoption finale. Les occasions de torpiller l’interdiction des
néonicotinoïdes vont être nombreuses. Elles peuvent être subtiles, en
détricotant la mesure, pour garder un affichage en la vidant de son
efficacité. C’est clairement l’enjeu du débat sur la date d’entrée en
vigueur et la raison pour laquelle j’ai défendu une application en 2017.
Je me méfie de la technique qui consiste à repasser la patate chaude à
la majorité suivante. Qui sera au pouvoir en 2018 ? Y aura-t-il une
volonté de respecter la loi d’interdiction des néonicotinoïdes ? J’ai
l’expérience de ces mesures votées avec des dates d’application
différées et qui finissent ensuite, de reports en reports, dans les
sables mouvants, comme la taxe poids lourds.
Comment faire le poids, face à ces lobbies? La vigilance citoyenne, les pétitions suffisent-elles?
Le vote de l’Assemblée nationale pour l’interdiction des
néonicotinoïdes était loin d’être gagné d’avance au regard des pressions
et des manœuvres incroyables dont il a fait l’objet. Le résultat
symbolise la résistance de la démocratie face aux lobbies des
pesticides. Ce résultat a été possible par la résonance entre le travail
collectif de députés déterminés - avec Jean-Paul Chanteguet et Gérard
Bapt [tous deux députés PS, ndlr], nous avons travaillé de façon
constante sur ce sujet depuis un an – et une mobilisation de la société
civile de plus en plus importante. Les citoyens n’en peuvent plus des
pesticides et ils attendent des actes. Au moins 650 000 personnes ont
signé des pétitions, les apiculteurs, les ONG ont porté l’exigence de
l’interdiction des néonicotinoïdes. Ça pèse. Il faut continuer,
amplifier les actions, être engagés et attentifs jusqu’à l’adoption
finale de la loi.
Relativement peu de députés étaient présents dans l’hémicycle. Pourtant, la biodiversité est un sujet majeur, au moins aussi vital que le climat pour l’humanité. Comment expliquez-vous qu’elle soit autant négligée, y compris par les «élites» politico-médiatiques ?
L’amour de la nature est largement partagé, mais dans les
élites la conscience de la disparition massive des écosystèmes n’est pas
là. Il n’y a pas eu sur la biodiversité la même prise de conscience que
sur le dérèglement climatique. C’est aussi ce qui explique, sur le
fond, que certains ne comprennent pas en quoi détruire de façon
irréversible une zone humide remarquable à Sivens, à Roybon ou à
Notre-Dame-des-Landes n’est plus possible alors que 70% des zones
humides de France ont déjà été détruites au cours des quarante dernières
années et que ces milieux sont des réservoirs de biodiversité pour de
nombreuses espèces de la faune et de la flore.
Plus profondément, la compréhension que la planète n’est
pas seulement confrontée au dérèglement climatique, mais à un changement
global dans lequel s’additionnent la question du climat, celle de
l’effondrement de la biodiversité, de l’épuisement des ressources
naturelles et de la crise sanitaire liée aux substances chimiques, n’est
pas là. D’où l’importance de nommer cette nouvelle ère, l’anthropocène,
et d’entrer une bonne fois pour toutes dans les enjeux du XXIe siècle. Le succès du film Demain montre
qu’il y a une soif d’espoir, de solutions modernes pour construire une
civilisation plus harmonieuse. Il ne manque plus qu’une offre politique
capable de porter cette espérance au plus haut niveau.
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