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lundi 26 mai 2014

Equilibre Production/Consommation de l'Electricité : Petite Réflexion Stratégique

Jean Monestier nous envoie le fruit de ses réflexions

A propos de 

Petite réflexion stratégique
sur l’équilibre production/consommation de l’électricité.

Jean Monestier


On sait probablement que, pour l’électricité, la production et la consommation des appareils reliés au réseau doivent, à chaque seconde, et même à chaque centième de seconde, être les plus égales possibles. Les déséquilibres, même minimes, compromettent le voltage du courant utilisé, et, dans le cas du courant alternatif, sa fréquence, la stabilité de ces deux paramètres constituant ce qu’on appelle la qualité du courant. Jusqu’à maintenant, EDF, opérateur national prédominant, livrait sa production au moyen d’un réseau constitué de grands canaux à gros débit, les lignes à haute tension, et de toute une arborescence de lignes réparties sur le territoire, dont le voltage est de plus en plus élevé en fonction de la consommation des clients : en général 220 volts dans l’habitat résidentiel, 380 pour certains artisans, puis 3000, 15000, et 25000 volts pour les industriels. On sait peut-être que, si les tramways et les chemins de fer locaux, dont les lignes sont courtes, utilisent souvent du 750 ou du 800 volts, les trains des grandes lignes, après avoir été longtemps alimentés en 1500 volts continus, fonctionnent maintenant souvent sous 25000 volts alternatifs, le courant industriel, plus avantageux pour la distribution de l’énergie sur de longues distances, au point que certaines locomotives, pour pouvoir tirer un train de bout en bout, sont équipées pour accepter diverses sortes de courant.
Pour s’adapter à ces demandes diverses et variables, au-delà de l’influence des différences tarifaires qui modifient le comportement des consommateurs à la marge, EDF fait appel à diverses sources plus ou moins réactives : les centrales nucléaires, plutôt longues à changer de régime, les centrales thermiques, un peu plus souples, notamment les turbines à gaz, et les centrales hydrauliques, très adaptables à la demande et à ses pointes quotidiennes, hebdomadaires ou saisonnières. On peut considérer que l’amplitude de cette souplesse quasi immédiate est accrue par l’usine marémotrice de la Rance, qui peut très bien laisser passer la marée sans l’utiliser, par les centrales hydrauliques, qui, en principe, ne perdent pas d’énergie quand elles ne fonctionnent pas, par les STEP (stations de transfert d’énergie par pompage), au nombre de six en France, qui stockent l’énergie quand elle est en excédent, et deviennent des centrales hydrauliques en cas de déficit, et enfin par les exportations et les importations, qui s’opèrent avec des tarifs très variables, parfois même négatifs, parait-il. A côté de cela, le petit hydraulique ou les turbines au fil de l’eau représentent une participation très faible à l’ensemble, ce qui fait que les ignorer est une simplification. J’ai même entendu sur une radio nationale un cadre de la production d’électricité expliquer que les énergies renouvelables elles-mêmes pouvaient être considérées comme négligeables, donc plutôt comme un surcoût de gestion imposé par l’Etat et non un appoint d’avenir à développer.
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Quand j’apprends par la revue Silence que, dans les contrats de rachat d’électricité aux particuliers, notamment d’origine photovoltaïque ou éolienne, EDF se réserve le droit de NE PAS acheter cette production, je me pose plusieurs questions :
Est-ce que cette suspension de contrat est comptabilisée séparément dans les bilans annuels et pluriannuels qui sont faits de ces installations très locales, afin d’évaluer la détérioration de leur amortissement pour l’investisseur ? On peut d’ailleurs considérer cette détérioration non seulement sur le plan financier, mais aussi sur le plan écologique.
En effet, de combien est allongé l’amortissement, par la production électrique, de l’énergie grise qui a servi à construire cet équipement ?
De combien sont alourdis les coûts écologiques par rapport à l’avantage à disposer de cette installation ?
Il y a tout à parier que, loin d’être pris en compte au nom de l’intérêt général à long terme, ces éléments soient logiquement externalisés par l’opérateur national, qui inclut d’ailleurs dans ses factures des surtaxes pour les surcoûts des renouvelables qu’il ne peut pas externaliser, par exemple les tarifs d’achat imposés au-delà du prix du marché pour soutenir le développement des filières. Notons au passage qu’il est hautement probable que le démantèlement des centrales nucléaires, dont le budget est tellement élevé qu’on ne peut le connaître aujourd’hui de façon fiable, donnera lieu à des tours de passe-passe semblables, à défaut d’une prise en charge pure et simple par le contribuable, qui n’est pas à ça près en matière de nucléaire.
C’est ce modèle, hautement centralisé, largement organisé de façon verticale autour de grosses unités de production, et notamment des centrales nucléaire dont la production est peu modulable, que viennent bousculer les énergies renouvelables, très diversifiées, très décentralisées, très réparties horizontalement. Moins rentables dans la phase de mise au point, malgré de troublants efforts pour approcher, par des champs d’éoliennes énormes ou des hectares de panneaux photovoltaïques, la puissance des centrales fossiles, elles nécessiteront en outre, si leur participation devient significative, une réorganisation du réseau et de sa gestion, en clair une augmentation des coûts techniques et administratifs de la distribution.
Quand on annonce qu’on veut produire, pour certains bâtiments, pour certains quartiers, pour certaines villes, autant d’électricité qu’il en est consommé sur place, il est probable qu’on va en produire plus, surtout si l’on veut assumer (et sinon qui l’assumera et à partir de quelles sources ?) l’énergie grise consommée par le territoire en question pour la construction des bâtiments et la fabrication des divers équipements non importés : électroménager, ordinateurs, machines-outils, réseaux divers, automobiles, etc. Cette évolution va remettre en cause le réseau existant puisque, même si le courant alternatif se prête mal à cette comparaison, l’électricité, sur certaines sections de moyenne tension, va circuler en quelque sorte en sens inverse de ce qui est observé actuellement : depuis des zones rurales bien ventées et bien ensoleillées vers des zones urbaines et industrielles qui ont de gros besoins en énergie.
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 Il faut donc envisager de nouveaux investissements dans le réseau, dont les lignes à haute tension resteront utiles en cas de transport sur de longues distances ou en cas d’export-import d’électricité. Le transport de celle-ci coûtera donc de deux façons : par les pertes en lignes qu’on peut évaluer à 10%, même si ce chiffre n’est qu’une moyenne, et donc faux dans la plupart des cas, et par de nouveaux investissements en uros, mais aussi en ressources naturelles, en travail et en énergie grise. Il importe donc de les minimiser le plus possible, même s’ils sont irremplaçables pour lisser production et consommation vers une correspondance parfaite.
Rappelons ici que les trois axes du scénario Négawatt sont le passage aux énergies renouvelables, qui est un objectif à long terme, la sobriété, très en faveur auprès des objecteurs de croissance, et qui peut techniquement être mise en œuvre assez rapidement (ne pas laisser ses appareils en veille), et l’efficacité, qui exige, par exemple, à moyen terme, d’améliorer l’isolation des bâtiments anciens ou de changer fondamentalement de système de transport.
            Or les défenseurs du système ancien, pour semer le doute, laissent croire que le passage intégral aux renouvelables pourrait augmenter, en cas de météo défavorable sur 15 jours, le risque de pannes d’électricité géantes. Et de dire (voir par exemple La Croix du 10 février 2014) que les centrales à énergie fossile (auriez-vous dit nucléaires ?) restent indispensables. Par ailleurs, certains partisans des renouvelables soutiennent que le réseau permet de pallier à leur intermittence éventuelle, le vent qui souffle en Bretagne à dix heures du soir permettant d’éclairer le Languedoc-Roussillon qui n’en aurait pas ce soir là, sachant que le photovoltaïque ne produit pas durant la nuit. Le réseau permet donc, pour les uns de conserver une sécurité verticale de la production, et pour les autres de construire une sécurité horizontale de cette dernière. Mais il n’y a qu’un seul réseau, et il est géré par un opérateur unique qui appartient au groupe EDF, EDF, qui veut pouvoir ne pas acheter le courant issu des renouvelables, qui se vante que, tel ou tel jour, toutes les éoliennes de France tournaient à vide, qui laisse entendre que six STEP suffisent à ses besoins, et qui, ce n’est pas un mystère, fera tout pour garder en fonctionnement ses centrales nucléaires.
Vu du côté des renouvelables, le réseau est donc un outil à double tranchant. Oui, il permet d’échanger convivialement l’électricité en temps réel d’une région à l’autre. Mais il permet aussi à EDF de maintenir contre vents et marées une priorité aux grosses centrales. Que se passe-t-il réellement à l’heure où tous les chats sont gris, et où le réseau distribue aux clients d’EDF un courant nommé poétiquement « de nuit » ? La production des éoliennes est-elle automatiquement introduite ? A mon avis non, et j’attends qu’on me démontre le contraire. Celle des centrales nucléaires, non modulable, est-elle prioritaire ? A mon avis oui, justement parce qu’elle n’est pas modulable, et j’attends également qu’on me démontre le contraire. Le réseau est donc à la fois un outil et un piège.
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Et ici deux stratégies sont possibles :
Obliger EDF à sortir du nucléaire par en haut, par la voie politique. Certains s’y emploient depuis 40 ans, mais on peut craindre que cette activité humaine n’aille jusqu’au bout de ce qui est physiquement possible : l’épuisement total des ressources d’uranium exploitables. Je ne parle donc pas de celui qui est présent dans l’eau de mer, qui est sans doute au-delà du mur énergétique, la limite physique au-delà de laquelle il faut plus d’un joule pour récolter un joule.
L’autre stratégie est la défection.
Elle peut prendre la forme d’opérateurs dédiés aux renouvelables, qui vont cantonner une production soutenable, et, par le réseau, en servir leurs clients attitrés. Mais leur propre électricité d’origine hydraulique, forme très accaparée par EDF pour répondre aux pointes de consommation en temps réel, et la seule énergie d’origine renouvelable qui le permette à la seconde près, leur suffira-t-elle à soutenir l’augmentation du nombre de ces clients-adhérents aux heures scabreuses du réseau. Je me permets d’avoir quelques craintes à ce sujet.
La défection peut aussi s’opérer par la mise en place de régies locales d’électricité, au niveau d’un groupe de ruraux, d’une collectivité locale, d’une région. Les opérateurs dédiés aux renouvelables dans le cadre du pays entier, à qui je ne reproche rien de particulier, au contraire, peuvent d’ailleurs y apporter leur expertise, et peut-être le font-ils déjà. Bien sûr, la question de l’énergie nécessaire à l’industrie, parfois énorme pour certaines usines (travail des métaux) ne sera pas résolue pour autant, mais celle destinée à l’habitat et aux petites activités peut entrer totalement dans ce cadre.  Produire et mutualiser la production d’électricité dans un périmètre régional permet d’acquérir une véritable autonomie vis-à-vis du nucléaire, des énergies fossiles et du réseau de distribution vertical qui va avec. Car le réseau, je le crains, ne peut être la solution unique à l’intermittence des énergies renouvelables et reste incapable de l’être. Il faut envisager localement le stockage de celles-ci dans la durée. La Nature nous donne d’ailleurs l’exemple avec l’eau descendant des montagnes et le bois de feu, qui sont de l’énergie solaire accumulée.
Je passe sur les batteries, catastrophiques au niveau de l’empreinte écologique, qui sont utilisables ponctuellement mais surtout pas généralisables, ni dans les voitures électriques, ni dans l’habitat.
Admettons que les STEP soient lourds à concevoir, à faire accepter, à financer, à insérer dans les paysages, sauf à petite échelle dans des cas exceptionnels. Par exemple, dans les Pyrénées Orientales, département assez montagneux, un tel système pourrait être envisagé entre le lac de Vinça et celui de Caramany. Reste à savoir si, le coût de la conduite forcée, déterminé en grande partie par sa longueur, et celui des pompes de refoulement pour le stockage, formant l’essentiel de l’investissement puisque les deux barrages vont être équipés de turbines génératrices par le Département, ainsi que le dénivelé entre les deux sites et les masses d’eau pouvant être mises en jeu, qui contribuent à déterminer la durée de l’autonomie ainsi créée, seraient compatibles avec un équilibre financier à comparer à celui des solutions alternatives.
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Admettons que le stockage hydropneumatique, qui a les gros avantages d’être indépendant de la pluviométrie et de supporter un investissement étalé dans le temps permettant d’augmenter progressivement la durée de l’autonomie en fonction des moyens disponibles, soit plutôt adapté à de petites collectivités.
La méthanisation, déjà pratiquée à l’échelle de villes entières, est avant tout un moyen de production d’énergie renouvelable, qui inclut ses propres moyens de stockage spécifiques. Par contre, la méthanation, sans doute techniquement plus délicate, est déjà utilisée en Allemagne comme authentique outil de stockage de l’énergie. Elle consiste, avec l’électricité en excédent, à faire l’électrolyse de l’eau, puis à combiner l’hydrogène qui en est issu à du carbone extrait du gaz carbonique de l’air. Cela donne du méthane, CH4, combien plus facile à stocker et à gérer que l’hydrogène, puisque ce méthane peut-être mis en réserve dans des gazomètres existants, transporté par des tuyaux, livré par des bouteilles et des citernes, utilisé dans des véhicules ou des moteurs thermiques, ou brûlé tout simplement dans des turbines à gaz pour produire de l’électricité au moment opportun, avec si possible cogénération de chaleur, toutes techniques parfaitement au point et pratiquées depuis des années.
Or on entend assez peu parler du stockage de l’électricité issue des énergies renouvelables, que ce soit par les opérateurs nationaux spécialisés ou par les régies locales naissantes. Il le faudrait pourtant pour répondre sérieusement aux menaces des tenants de l’ancien système. Il est sûr que cela nécessite un investissement substantiel dont l’utilité à du mal à s’imposer. Mais cet investissement sera par nature mutualisé, puisqu’il sert justement à mutualiser la synchronisation entre les productions et les consommations d’électricité du périmètre concerné. C’est à la fois un avantage et un inconvénient. La production, c’est spectaculaire, c’est visible et c’est pédagogique, tout en ressortant d’initiatives éventuellement dispersées. Le stockage, c’est statique dans le temps, c’est beaucoup moins visible puisqu’il n’y a plus à capter l’énergie, et ce doit être pris en charge par une réflexion collective visant à construire un projet de transition énergétique. Or notre individualisme est encore très fort.
J’espère avoir démontré que c’est pourtant indispensable si l’on veut sortir des énergies fossiles, et notamment du nucléaire. Rappelons que dans les westerns, à côté de l’éolienne qui pompe l’eau pour abreuver le bétail, souvent en grinçant un peu, il y a un réservoir également construit en hauteur, que les méchants prennent plaisir à percer de balles quand ils veulent ruiner l’éleveur. Il n’y a plus guère de méchants de ce genre, mais il y a notre propre tendance culturelle à privilégier le visible, l’immédiat, l’actif, et à y consacrer exclusivement nos attentions et nos moyens. Nous devons lutter contre cela, ce que les Allemands semblent avoir déjà compris.
Si vous trouvez que je suis dans l’erreur, que celui qui a déjà vu son régulateur lui couper la lumière parce qu’il avait fait fonctionner sa radio trop longtemps me jette la première pierre.
                                    Jean Monestier.                                                   Le 22.05.2014.
Titulaire d’une maîtrise d’économie auprès de l’Université de Toulouse.
                Artiste-Auteur-Indépendant.
               Objecteur de croissance,
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Amorce de bibliographie.

« Le stockage de l’énergie », coordonné par Pierre Odru, Editions Dunod - 2010.
« Le Manifeste Négawatt », par l’association Négawatt,
rédigé par Thierry Salomon, Marc Jedliczka, et Yves Marignac,
édité par Domaine du possible – Actes Sud 2012.

L’âge des LOW TECH », par Philippe Bihouix, édité par le Seuil – 2014.
Vers une civilisation techniquement soutenable.
L’Indépendant du 13 février 2013, en pièce jointe, sur l’équipement des barrages de Vinça et Caramany.
La Croix du 10 février 2014, en pièce jointe, sur les propos des défenseurs des énergies fossiles.


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