Mortiers d’artifice, menaces...
Les zadistes terrorisés
par les agents de sécurité
de l’A69
Au cœur de l’été, l’arrivée de nouveaux vigiles, violents et habillés de noir, aurait chamboulé le quotidien des militants. - Document remis
Des militants opposés à l’A69 dénoncent la violence des agents de sécurité chargés de protéger le chantier. Tirs de mortiers d’artifice, coups de pied, insultes... Ces vigiles agresseraient les zadistes sans être ennuyés par la police.
« Nous avons affaire à de véritables mercenaires. » Activiste, Pierre [1] ne mâche pas ses mots à l’égard des agents de sécurité du chantier d’autoroute A69. Au cœur de l’été, l’arrivée de nouveaux vigiles aux « crocs acérés » ont transformé les échanges cordiaux en harcèlement physique et moral presque quotidien, d’après plusieurs militants interrogés par Reporterre. « Ces mecs se sentent invincibles et multiplient les entorses à la loi, sous la protection de Jupiter [surnom de M. Macron], dénonce Laurent Prost, du collectif La Voie est libre, opposé à la construction de cette autoroute écocidaire et antisociale. Tirs de mortier d’artifice, passage à tabac, pillage… Et ce, avec la complicité des forces de l’ordre. »
Six mois après la venue de Michel Forst, rapporteur spécial de l’ONU ayant dénoncé la violence des forces de l’ordre sur l’A69, celle des vigiles est désormais pointée du doigt. Le 8 septembre, sur la désormais disparue zad de la Cal’arbre, à Saïx, ont éclaté de violents affrontements. D’un côté, des militants déterminés à ravitailler l’ultime « écureuil » perché dans un chêne centenaire menacé d’être abattu. De l’autre, des agents de sécurité barricadés dans leur Algeco blanc et visiblement prêts à tout pour les en empêcher. Rétorquant aux jets de projectiles des activistes, ceux-ci leur ont tiré dessus à coups de mortiers d’artifice. « Ça pétaradait dans tous les sens, je n’en croyais pas mes yeux, détaille à Reporterre Châtaigne (un surnom), un militant-vidéaste. L’un des artifices a fini dans la cabane de l’écureuil, ç’aurait pu vraiment mal finir. »
Miliciens cagoulés
À en croire le Code de la sécurité intérieure, seul le port d’armes de catégorie D — telles que le tonfa, la matraque ou la lacrymo en aérosol — est autorisé pour les agents. « L’utilisation de mortiers d’artifices sort évidemment du cadre légal », assure à Reporterre Jean-Baptiste Pandzou, président honoraire du SNEPS, le syndicat national des employés de cette profession.
Adoptée sous Jean Castex en 2021, la loi dite de « Sécurité globale » a par ailleurs durci la législation concernant l’achat, la détention, l’utilisation et la vente de mortiers d’artifice à des non-professionnels. Celle-ci prévoit désormais des peines allant jusqu’à 7 500 euros d’amende et six mois d’emprisonnement. Des sanctions motivées par la dangerosité de ces engins pyrotechniques, propulsés à une centaine de kilomètres par heure et pouvant notamment provoquer des brûlures, arracher des doigts, fracturer des os ou abîmer les tympans.
Interrogée par Reporterre, une porte-parole d’Atosca déplore : « La vidéo ne montre pas l’attaque menée par une trentaine d’activistes ultraviolents, un instant plus tôt, à l’aide de cocktails Molotov. Les vigiles y ont riposté… Disons, un point partout. » À peine sa phrase finie, vraisemblablement mal à l’aise avec l’aveu tout juste formulé, elle corrige : « Les vigiles d’Atosca n’ont pas eu recours à ces artifices. Les activistes tentent de nous instrumentaliser, mais il n’y a pas la moindre preuve que nos agents soient à l’origine des tirs. »
Si la vidéo enregistrée (que Reporterre a visionnée) certifie
que ceux-ci émanaient du local des vigiles, la qualité des images
empêche bel et bien d’identifier formellement leurs auteurs. Il ne
s’agit pas là uniquement d’une question de pixels. Les hommes barricadés
dans l’Algeco portent des cagoules et des vêtements unis sans
inscription, leur identification est donc de toute manière impossible. « Les agents de sécurité ont l’obligation d’arborer un signe distinctif mentionnant la société les employant », précise pourtant Jean-Baptiste Pandzou.
Aux abords de la zad dite de la Cal’arbre, l’équipe de sécurité excellait dans l’art de l’anonymisation. Avachis dans leur fauteuil de camping, les hommes montant la garde avaient l’allure de miliciens. « Aucun de nos vigiles n’est cagoulé », ose pourtant affirmer Atosca. Alors qui sont ces individus ? « Vous savez, des activistes ultraviolents sèment un climat de terreur dans le territoire depuis dix-huit mois, poursuit la porte-parole. Alors, que des habitants aient envie de se protéger et de se cagouler... C’est possible. » En dépit de la loi, le concessionnaire a par ailleurs refusé de nous indiquer le nom du prestataire de sécurité, pour des questions « stratégiques ».
« On va vous niquer ce soir »
Identifiables ou pas, une chose est sûre : le recours à la violence est une prérogative de l’État, et non du personnel de sécurité privée. « Si des agents font face à des actes violents en présence de [membres de] forces de l’ordre, alors leur mise en retrait est obligatoire », rappelle le président honoraire du SNEPS.
Le 8 septembre, après les affrontements de la journée, à la nuit tombée, une dizaine de véhicules ont débarqué, phares allumés, à l’entrée du camp où restaient quelques militants. Secouant brutalement le grillage le séparant des activistes, un homme s’est mis à hurler : « Qui a frappé notre collègue ? Qui est le fils de pute ? On va vous niquer ce soir. » Quelques heures plus tôt, l’un des vigiles aurait été légèrement blessé par l’un des projectiles lancés par un activiste.
Authentifiée par Reporterre, une vidéo confirme les propos tenus. On y perçoit aussi la voix nouée d’une militante, murmurant : « J’ai peur. »
Quelques gendarmes ont fini par approcher le groupe. S’est ensuivie une discussion, inaudible, et les individus ont quitté les lieux à bord de leurs voitures. L’un des militaires a alors apostrophé l’ultime écureuil encore perché dans un chêne, pour l’inviter à descendre avant que cela ne dégénère : « Écoutez, moi je vous aurais prévenus. On ne pourra pas vous protéger en permanence », a-t-il déclaré dans une conversation enregistrée par d’autres activistes, et consultée par Reporterre. Interloquée par ces propos, une femme a questionné le fonctionnaire : pourquoi les forces de l’ordre n’ont-elles opéré aucun contrôle ni aucune interpellation, en dépit des menaces proférées sous leurs yeux ?
Déjà plus tôt dans la journée, la complaisance des militaires interrogeait. La vidéo montre que, alertés par les détonations, quatre hommes du PSIG, un peloton d’intervention de la gendarmerie, avaient assisté aux tirs de mortiers d’artifice. Bien loin d’invectiver les agents de sécurité, les forces de l’ordre les ont au contraire appuyés en balançant quelques grenades lacrymogènes et de désencerclement en direction des militants. Sur les images, l’une d’elles atterrit et explose au pied d’un homme, manquant de vaciller.
À la première accalmie, l’un des gendarmes a rejoint le groupe de vigiles, une gazeuse à la main. Quelques minutes se sont écoulées puis les militaires ont lancé une offensive : « Les quatre mêmes hommes [du PSIG] ont commencé à prendre en chasse des militants non-violents, dans le jardin d’une propriété privée, témoigne Châtaigne. C’était hallucinant. » Le vidéaste amateur a enregistré la scène avec son téléphone. On y voit l’un des fonctionnaires, flashball dans l’alignement des yeux, le pointer avec son arme : « Ne vise pas la tête s’il te plaît, je ne fais que filmer », a lancé Châtaigne. Un autre fonctionnaire, à la dégaine de cowboy, s’est alors rué sur le militant en criant : « Viens ici, viens au contact ! Tu fais le malin, tu vas voir ! » En arrière-plan, les agents de sécurité patientaient paisiblement.
Quatre côtes fracturées
Des témoignages comme celui-ci, les militants anti-A69 en ont d’autres à conter. Le 25 août, aux abords de la Cal’arbre, Pierre marchait vers son arrêt de bus, se souvient-il. Selon son récit, en chemin, un agent de sécurité du chantier l’a invectivé et attrapé par le cou : « Il avait une force incroyable. Hulk ! » En une poignée de secondes, le chef de la sécurité débarque à son tour et le militant non-violent a essuyé des coups de poings dans le ventre : « J’ai été jeté au sol. Puis les deux m’ont roué de coups de pied. »
Les mains en l’air, se tordant de douleur, Pierre a obéi aux ordres de deux hommes et leur a tendu son permis de conduire. Au même instant, six véhicules de la gendarmerie ont débarqué en trombe. L’activiste décrit alors avoir été immédiatement traité en coupable. L’officier de police judiciaire se serait approché du vigile pour lui demander d’affirmer que Pierre était bel et bien la personne l’ayant « tabassé » le matin même. « L’agent de sécurité a marqué un temps d’arrêt tant il était interloqué par cette histoire montée de toutes pièces, poursuit Pierre. Seulement, face aux hochements de tête insistant de l’OPJ, il a fini par acquiescer. Puis un mec du PSIG s’est penché vers moi en se réjouissant de m’avoir bien niqué. »
« J’ai été jeté au sol. Puis les deux m’ont roué de coups »
Plaqué contre le véhicule puis placé en garde-à-vue, Pierre a alors été accusé de violence en réunion ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) inférieure à huit jours. Ce, avec la circonstance aggravante d’une arme par destination : « J’aurais frappé la victime avec un câble », se désole le militant, impuissant face à un tel scénario-fiction. Il dément avoir eu le moindre geste agressif envers le vigile. Les deux vigiles ont eux été convoqués pour enregistrer leur déposition, sans être inquiétés pour le passage à tabac.
Dix-huit jours plus tard, Pierre témoigne à Reporterre souffrir encore énormément : « J’ai eu deux jours d’ITT et quatre côtes fracturées. Rien que respirer m’est douloureux. » Une enquête a été ouverte à son encontre, et placée sous la direction d’un juge d’instruction. L’ensemble de son matériel informatique — un drone, un ordinateur, quatre téléphones, cinq clefs-USB et des cartes SIM — a été mis sous scellé. « Sûrement pour tenter d’obtenir des preuves dans d’autres affaires », suppose-t-il.
À droite des gendarmes, un vigile décrit par les militants comme donneur d’ordres.Réaction des militaires : des ricanements
Une autre militante, Jeanne* [2], aurait aussi subi les foudres du même « mercenaire ». Dans la nuit du 6 au 7 septembre, l’activiste se baladait sur un terrain privé, en veillant à ne pas pénétrer sur la parcelle appartenant à Atosca. « À aucun moment, je n’ai mis un pied sur le chantier… Et pourtant. » Un vigile aurait alors commencé à l’insulter et la menacer. Un autre, tout de noir vêtu, aurait dévalé la butte en sa direction.
À cet instant, Jeanne témoigne à Reporterre avoir pris la fuite avant d’être interceptée par l’agent : « En m’attrapant le col, il m’a coupé la respiration. Puis il a collé une barre en fer à mon visage et m’a hurlé qu’il allait me casser la tête. » L’un de ses supérieurs lui aurait intimé l’ordre de ne pas « abîmer » la zadiste, avant d’appeler la gendarmerie. « En attendant l’arrivée du PSIG, les vigiles m’ont parlé d’un autre militant, en m’assurant que s’ils finissaient par le trouver, ils le tueraient. »
Aux alentours de 2 heures, les militaires ont débarqué sur les lieux. Jeanne leur a détaillé le déroulement de la scène, la menace et la barre de fer. Elle a reçu en retour une flopée de ricanements : « Vous avez de la chance, si ç’avait été en Russie, vous auriez pris bien cher », lui a rétorqué le major. Le même gendarme a refusé quelques instants plus tard que la militante aille aux toilettes : « Tous ses collègues m’ont entourée pendant plusieurs minutes en imitant un bruit de robinet… et en me disant de pisser devant eux. » Une enquête a aussi été ouverte à l’encontre de Jeanne, nous assure-t-elle. Contactée, la préfecture du Tarn n’a pas répondu à nos sollicitations.
« Plus aucun arbre à couper »
Dans l’histoire des luttes, de telles scènes ont au moins un précédent. Les 16 et 17 juillet 2016, des agents de sécurité – armés de gourdins et de bâtons – avaient frappé plusieurs activistes pacifistes, à Bure (Meuse). Lors de cette marche d’opposition au projet Cigéo d’enfouissement de déchets nucléaires, forces de l’ordre et vigiles de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) partageaient les mêmes rangs. Casque, jambières, bouclier… Les deux corps étaient à peine différentiables, et agissaient comme un seul homme – en dépit de leurs prérogatives dissemblables.
Déjà à l’époque, le porte-parole du syndicat national des entreprises
de sécurité, Olivier Duran, avait déploré sur France 3 l’absence de
signes d’identification des vigiles, un manquement à une obligation
légale. Le directeur général adjoint de l’Andra avait lui félicité ces
agents d’avoir « très bien fait leur travail ». Quelques jours plus tard, son départ anticipé avait été annoncé par la direction. Et les journalistes de la télévision locale lorraine d’ajouter : « La
question est évidemment tentante de se demander si cette décision fait
suite, ou pas, aux événements survenus les 16 et 17 juillet 2016. »
Le 9 septembre, félicitant « l’action décisive des policiers et des gendarmes », la préfecture du Tarn a déclaré dans un communiqué qu’il n’y avait désormais « plus aucun arbre à couper [...] pour la construction de l’autoroute A69. » Quelques minutes plus tôt, psychologiquement affecté par les menaces à répétition, l’ultime écureuil avait pris la décision de descendre du chêne centenaire qu’il occupait. « Désormais, seule la zad du Verger reste debout, précise Laurent Prost, du collectif La Voie est libre. Or, la propriétaire s’apprêtant à quitter les lieux, le lieu pourrait être expulsé dès lundi [16 septembre]. » Si ce rempart à l’avancée des travaux tombe, la lutte de l’A69 devra revêtir un nouveau visage.
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