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vendredi 19 avril 2024

Le tribunal annule l'autorisation de construire une route, terminée depuis un an : "il faut que l'on arrête ces constructions inutiles"


Le tribunal annule l'autorisation 

de construire une route, 

terminée depuis un an : 

"il faut que l'on arrête 

ces constructions inutiles"

 
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Cette route passe au cœur d'un bois qui abritait plus de 40 espèces protégées. La dérogation qui a permis sa construction a été annulée par le tribunal, mais la route est déjà là. © Julien GUERY / FTV

Le tribunal administratif d'Amiens a annulé la dérogation qui autorisait la construction d'une route à Pont-Sainte-Maxence. Problème : la route est déjà construite. Mais les associations de protection de la nature n'entendent pas en rester là.

"Ce n'est pas une victoire, car malheureusement, la route a été construite, la biodiversité ne reviendra jamais" souffle Grégory Brouilliard, chargé d'études biodiversité à la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) de l'Oise, en parcourant les 720 mètres de bitume de la rue de Felgueiras. En 2021, il se battait contre sa construction aux côtés d'habitants du quartier des Terriers à Pont-Sainte-Maxence.

La justice a finalement donné raison aux opposants au projet le 11 mars 2024. La dérogation préfectorale grâce à laquelle la route a pu être construite, au détriment d'un bois abritant plus de 45 espèces protégées, est annulée. Sauf que la route est là et que dans le bois, la biodiversité s'effondre déjà.

"Mettre la justice devant le fait accompli"

La route dessert le quartier des Terriers, qui, auparavant, était relié à la commune de Pont-Sainte-Maxence par une seule voie d'accès. En décembre 2021, le maire (LR) Arnaud Dumontier, défendait d'ailleurs le projet en ces termes : "Qui, aujourd'hui, en 2021, imagine en France une ville avec une seule voie d'accès ? Cette voie de Felgueiras, elle permettra de désengorger la circulation."

Désengorger le centre de Pont-Sainte-Maxence de ses éternels bouchons, désenclaver le quartier des Terriers avant une opération de rénovation, faciliter l'accès des secours : autant d'arguments présentés par la mairie pour justifier d'une "raison impérative d'intérêt public majeure" à construire cette rue de Felgueiras.

On est passés au tribunal, le juge a dit 'tout est rasé, continuez les travaux, on verra par la suite'.

Grégory Brouilliard

Chargé d'études biodiversité à la LPO

En effet, pour mener ces travaux, il faut détruire 2,4 hectares de bois préservé depuis cinquante ans, ce qui va à l'encontre du Code de l'environnement. Une dérogation de la préfecture de l'Oise est donc nécessaire. Cette dérogation a été accordée le 27 octobre 2021.

 

Immédiatement, la LPO tente d'empêcher les travaux en déposant une demande de référé-suspension au tribunal administratif d'Amiens. Cette procédure permet de suspendre l'exécution d'une décision administrative (ici, la dérogation de la préfecture), sur décision d'un juge. Sauf que la municipalité a pris la justice de vitesse.

"Lorsque la mairie a reçu la convocation au tribunal pour le référé suspension, le lundi, elle s'est dépêchée de faire déplacer les engins de travaux pour faire raser la portion de forêt pour construire la route, se souvient Grégory Brouilliard. On passait au tribunal le vendredi. On est passés au tribunal, le juge a dit 'tout est rasé, continuez les travaux, on verra par la suite'. Le but de la préfecture et de la mairie, c'était de mettre la justice devant le fait accompli."

Le tribunal souligne la légèreté du dossier

Il aura donc fallu trois ans pour que le tribunal administratif rende sa décision sur le fond du dossier. Le jugement est limpide : "aucune raison impérative d'intérêt public majeur (...) ne justifie la dérogation accordée à la commune de Pont-Sainte-Maxence". La dérogation préfectorale de 2021 est donc annulée.

Le paragraphe suivant indique que l'administration n'a pas suffisamment étudié les solutions alternatives, une étape pourtant obligatoire : "la commune s'est bornée à aborder dans son dossier de demande les inconvénients (...) sans notamment étudier sérieusement les solutions évoquées lors de la consultation publique". Une consultation publique où 77 % des participants s'étaient exprimés contre le projet.

La LPO nationale étudie le dossier, on va faire en sorte de ne pas en rester là.

Grégory Brouilliard

Chargé d'études biodiversité pour la LPO

Avec la précision propre à la justice, le dossier auquel la préfecture de l'Oise s'est montrée favorable est remis en cause point par point. Notamment l'utilisation de faits divers pour justifier la nécessité de construire cette route, dont un incendie mortel en 2015.

"La préfète de l’Oise fait valoir que les services et de secours et la gendarmerie seront plus proches de la nouvelle voie d’accès que de la rue du 8 mai 1945, et si la commune a fait état dans son dossier de demande d’un incendie survenu le 12 février 2015 ayant causé le décès d’une personne au cours duquel les véhicules de secours auraient été bloqués dans l’unique voie d’accès au quartier, l’association requérante (ndlr : la LPO) produit un courrier du directeur adjoint du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) en date du 5 novembre 2021 attestant qu’aucune difficulté n’a fait obstacle à l’intervention du service ce jour-là", note le tribunal.

Le maire de la commune, Arnaud Dumontier, a refusé de répondre à nos questions. "Je n'ai pas de commentaires à faire sur une décision qui ne me vise pas puisque cela ne ressort pas de ma compétence mais bien celle de madame la préfète dont je ne suis pas le porte-parole", indiquait-il le 29 mars.

Le jugement précise pourtant que "La commune est intervenue volontairement dans la présente instance (...) elle doit être regardée comme présentant dans le cadre de l'instance des conclusions en tant que défendeur." La préfecture de l'Oise n'a quant à elle pas répondu à nos sollicitations.

"On ne peut plus continuer comme ça"

Le tribunal administratif condamne l'État à verser 1 500 € à la LPO. L'association attend de voir si l'État fait appel de la décision du tribunal avant de préciser sa stratégie, mais "la LPO nationale étudie le dossier, on va faire en sorte de ne pas en rester là" assure Grégory Brouilliard.

Pour la LPO, l'enjeu est de faire évoluer les mentalités. "Il ne faut pas oublier qu'en 40 ans, on a perdu 70% des espèces animales sur terre, rappelle Grégory Brouilliard. On parle d'effondrement de la biodiversité tous les jours aux actualités, c'est un sujet extrêmement important. On rase 2,5 hectares de forêt dans une zone d'intérêt faunistique, floristique, une zone natura 2000 et on devrait l'accepter ? Non, il faut que l'on arrête ces constructions inutiles. C'est un projet qui était dans les cartons depuis déjà 30 ans et qui aujourd'hui n'a aucune utilité, on l'a démontré au tribunal. Il faut changer les méthodes, aujourd'hui, on ne peut plus continuer comme ça."

Un avis partagé par les habitants du quartier qui s'étaient opposés à cette route. Toutes proportions gardées, ils ne peuvent pas s'empêcher de penser à la polémique de l'autoroute A69, déclarée d'utilité publique en 2018. "Ce qu'on espère vraiment, pour ce qu'on voit à travers la France, pour des situations identiques à la nôtre, c'est que ça fasse réagir les élus, les gens qui décident, espère Magali Violet, habitante du quartier les Terriers. (...) Il ne faut absolument pas lâcher. Il ne faut pas baisser les bras. On a notre voix au chapitre et il faut nous écouter. Il faut écouter tout le monde."

Des mesures compensatoires critiquées

"Chaque étape de ce dossier a été strictement analysée, critiquée, validée par tous les services de l'État concernés. Au début du chantier, nous devons abattre 2,2 hectares, nous devons reconstituer presque 10 hectares. Cela veut dire que pour un arbre abattu, cinq seront replantés" assurait Arnaud Dumontier en janvier 2021.

Au bord de la route, deux panneaux mettent aujourd'hui en valeur les mesures compensatoires, censées atténuer la destruction environnementale causée par cette route. Mais pour les défenseurs de l'environnement, ces mesures ont été mal exécutées. "On est plutôt dans l'ordre du catastrophisme, regrette Grégory Brouilliard. Sur les hectares de forêt qui devaient être replantés, ça n'a pas été fait. Le passage à écureuil n'est pas fonctionnel. Il y a des crapauducs, nous avons vérifié, qui ne sont pas empruntés par les crapauds."

On est passés de 50 nids et 27 écureuils par hectare à 15 nids dont on sait même pas s'ils sont encore habités, il y a un effondrement flagrant.

Bernard Bultel

Président de l'association SOS écureuils roux et espèces sauvages

Les crapauducs sont de petits tunnels installés sous la route pour permettre aux amphibiens de la traverser sans danger. Pour qu'ils soient empruntés, les crapauds et autres grenouilles doivent être guidés par la lumière naturelle à l'autre bout du tunnel. Plusieurs de ceux installés à Pont-Sainte-Maxence ont des angles qui empêchent la lumière d'y pénétrer, c'est pour cela qu'ils ne seraient pas empruntés.

L'effondrement en cours

Avant la construction de la route, cette petite forêt était particulièrement riche en écureuils roux, un animal qui figure sur la liste rouge des espèces en voie d'extinction et protégé par la convention de Berne. "Mais tout le monde s'en fout", constate avec amertume Bernard Bultel, président de l'association SOS Écureuils roux. La présence de l'animal dans le sous-bois s'est effondrée.

"On a refait un comptage il y a trois semaines, explique Bernard Bultel. On a trouvé une quinzaine de nids. On est passés de 50 nids et 27 écureuils par hectare à 15 nids dont on ne sait même pas s'ils sont encore habités, il y a un effondrement flagrant." En France, d'après Bernard Bultel, la moyenne est d'un écureuil roux tous les huit hectares. La densité de cette forêt était donc exceptionnelle, en raison de l'abondante présence de nourriture et de l'espace dont disposait le petit rongeur pour se reproduire.

 Ce spécialiste de l'écureuil confirme que les passages installés pour faciliter leur traversée de la route ne sont pas fonctionnels. Il ne peut que constater le recul de l'animal : "l'avenir de l'écureuil ici, je le vois mal. Il y aura peut-être une petite population, car ils trouvent encore de la nourriture, mais je suis sceptique sur son expansion."

D'autant que les arbres qui restent, essentiels à la survie des écureuils, souffrent de la nouvelle configuration des lieux. "Cet été, on a remarqué que tous les hêtres en bordure de route sont en train de dessécher, regrette Bernard Bultel. Le hêtre a besoin de vivre en forêt, ce n'est pas un arbre de bordure, le soleil lui est fatal. Ces arbres vont crever et s'ils crèvent, il va y avoir un enchaînement, les arbres derrières vont dessécher aussi, ça va faire un effet boule de neige. Cette route n'est pas une construction, c'est une destruction."

Dans un rapport publié en 2023, l'Observatoire national de biodiversité constate que "les principales pressions n’ont pas été réduites significativement en France, et se sont, pour certaines, intensifiées pendant la dernière décennie. Il s’agit de la destruction et la fragmentation des habitats naturels, menace la plus importante, qui concerne tous les milieux."

Au niveau national, la population d'oiseaux a diminué d'un quart depuis 1989, "17 % des espèces de faune et de flore de France sont actuellement éteintes ou menacées d’extinction. Leur risque d’extinction a augmenté de près de 14 % en moins de dix ans." À Pont-Sainte-Maxence comme ailleurs, les lois sur l'environnement adoptées ces dernières décennies ne suffisent pas encore à inverser cette tendance.


Source : https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/oise/le-tribunal-annule-l-autorisation-de-construire-une-route-terminee-depuis-un-an-il-faut-que-l-on-arrete-ces-constructions-inutiles-2949893.html

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