Quand les cochons
donnent du fric aux flics
En Bretagne, où il devient dangereux de parler d'agriculture industrielle, une coopérative d'éleveurs de cochons – près de mille élevages – donne au monde une belle leçon d'instruction civique. Elle vient d'adhérer en bloc à l'Amicale de la gendarmerie. Derrière cette loufoquerie, la très flippante cellule Demeter.
Qui aura le pompon ? Difficile à dire, car on se presse, car chacun veut paraître le plus nul, le plus dingue, le plus crétin. Une mention en tout cas pour la coopérative Evel’up, basée à Landivisiau, qui regroupe en Bretagne et aux alentours presque un millier d’éleveurs de porcs. Comme de juste, ce beau métier industriel est engagé. On lit sur son site internet ces fortes paroles : « La compétitivité économique des éleveurs est le fil conducteur de nos défis. S’y ajoutent deux axes forts pour rendre durable notre modèle : la bien-traitance animale, l’harmonie avec l’environnement naturel. » Ont gentiment disparu du tableau l’élevage concentrationnaire ou les marées vertes. Ce n’est pas eux.
Depuis des années, Evel’up fait des mamours aux gendarmes et organise avec les pandores des « réunions d’information », notamment à propos des vols de matériel agricole. Jusque-là, rien que de très banal. Mais voilà qu’on apprend tout autre chose : la coop vient d’adhérer au comité de Morlaix (Côtes-d’Armor) des Amis de la gendarmerie, qui, nous apprend Le Télégramme, « contribue au prestige de la gendarmerie et compte parmi ses adhérents des élus, chefs d’entreprises et particuliers admis par parrainage ». En clair, les éleveurs de cochons vont donner du fric aux gendarmes pour (mieux) faire leur travail.
Mais quel travail ? Le 13 décembre 2019, Christophe Castaner, alors piteux ministre de l’Intérieur, se rend dans le Finistère en compagnie de la cheffe de la FNSEA, Christiane Lambert. Ce n’est déjà pas mal, mais encore rien. Car le ministre a signé une convention qui engage la flicaille de France auprès de la FNSEA. Notons : la FNSEA, pas les paysans. Principale annonce faite au cours du voyage : la création d’une cellule Demeter dans la gendarmerie, chargée de lutter contre un supposé « agribashing ». Le terme est une pure invention des communicants de la FNSEA, qui prétend établir une terrible menace sans en apporter aucune preuve. Castaner jure sur la tête de sa grand-mère : « Depuis quelques années, un phénomène grandit, inacceptable. De plus en plus, nos agriculteurs sont visés par des intimidations, des dégradations, des insultes. »
Est-ce que c’est vrai ? Ben non. Le balourd n’a pas même lu les chiffres qui figurent pourtant dans le même communiqué : en 2019, sur la base de 440 000 exploitations agricoles, la gendarmerie a noté 314 tracteurs volés, 24 vols avec violence, 657 voitures dérobées. Et les vols avec violence ont diminué en un an de… 31,4%. Mais ce n’est pas tout, car Castaner – et Darmanin ne ferait pas mieux – mélange volontairement la délinquance vile – cambriolages, vols de matériel, incendies, dégradations –, les occupations de terres agricoles par des gens du voyage, les actions anti-fourrure ou anti-chasse. C’est mettre sur le même plan criminel le vol, le droit des populations nomades, et celui de la critique sociale et politique.
C’est tout ? Pas encore. Demeter entend pourfendre les « actions de nature idéologique, qu’il s’agisse de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole ou d’actions dures ayant des répercussions matérielles ou physiques ». Les flics sont donc là pour réprimer ceux qui mettent en cause l’agriculture industrielle. On s’en serait un peu douté. Le bilan de Demeter ? C’est la gendarmerie qui en parle le mieux : « « On a souhaité mettre en place un plan qu’on a appelé une patrouille, une exploitation » indique le colonel Gonzague Montmorency, commandant du GGD22. Cette formule résume bien l’esprit de cette collaboration. Chaque patrouille de gendarmerie garde un œil sur une exploitation lors de sa tournée. Depuis décembre dernier, elles ont été 671 à prendre la route. C’est l’équivalent de 1 300 heures de présence et de 1 161 militaires concernés par ce dispositif. « On a aussi réalisé 22 réunions croisées et établi 54 consultations dans les exploitations pour prévenir de cette délinquance. Au total, ce sont 640 personnes qui ont été sensibilisées », énumère le colonel Gonzague Montmorency, en guise de premier bilan. »
À qui le pompon ? Question difficile. ●
Source : https://charliehebdo.fr/2021/05/ecologie/bretagne-quand-cochons-donnent-du-fric-aux-flics/
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