Bayrou
attrapé au filet
par le lobby nucléaire
C'est à pleurer, mais à rire quand même. Bayrou, le grand couillon qui se croit si malin, règne sur le Haut-Commissariat au plan que Macron lui a refilé pour qu'il fasse joujou. Dans une note publiée aujourd'hui, il reprend toute la pauvre argumentation du lobby CEA-EDF-Orano en faveur de l'électricité nucléaire, la seule, la vraie.
Aussi bizarre que cela paraisse, Bayrou a été jeune. Du moins laisse-t-il écrire qu’il a été proche, il y a cinquante ans, de Lanza del Vasto, un philosophe italien défenseur vrai de la non-violence. Décrire sa vie serait périr d’ennui, car l’homme, qui prétend aimer la campagne et les chevaux, aura passé sa vie à Paris, swinguant de l’Assemblée Nationale – quand il en était le député – à divers postes ministériels auprès de grands personnages comme Pierre Méhaignerie, Alain Poher, Édouard Balladur, Alain Juppé. Il a même failli battre un record de vitesse en étant éjecté du ministère de la Justice en juin 2017, un mois après son arrivée. On lui reprochait, mais tout le monde s’en fout, d’avoir mélangé l’argent du parlement européen et la caisse de son parti, le Modem.
Devenu Haut-commissaire au plan à l’arrache – il a tordu le bras à Macron, qui n’a plus de majorité sans lui –, il a l’air de prendre la fonction au sérieux. À quoi sert cet énième bastringue ? Il faut aller sur son site pour comprendre, c’est-à-dire se marrer : « Le Haut-Commissaire au Plan est chargé d’animer et de coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective conduits pour le compte de l’État et d’éclairer les choix des pouvoirs publics au regard des enjeux démographiques, économiques, sociaux, environnementaux, sanitaires, technologiques et culturels ». On sent la présence de gens qui n’oublient aucun des mots destinés à impressionner le péquenaud.
La lucidité selon Bayrou sera rayonnante ou ne sera pas
Et là-dessus, publication ce 24 mars d’une note de notre grand monsieur intitulée en toute simplicité : « Électricité, le devoir de lucidité ». C’est ainsi qu’on cloue le bec à tous les pauvres commentateurs. Le truc est vieux comme le monde : on représente l’État, on a accès à des tas de sources discrètes, pour ne pas dire secrètes, et l’on voit donc plus clair que les pauvres tarés qui doivent se contenter de voter.
Que dit Bayrou l’extralucide ? Sans surprise, que la consommation d’électricité va flamber. Et de citer l’exemple de la bagnole électrique, qui n’entend pas rouler à la limonade. Rudement bien vu. Or, c’est-y ballot, la France s’est mollement engagée à faire passer la part d’électricité nucléaire – aujourd’hui, plus de 70 % – à 50 % d’ici 2035. Ce qui impliquerait des fermetures de centrales, 19 à ce jour, et en tout cas de réacteurs, qui sont 56.
Et c’est là que ça ne va plus, pardi. Bayrou sort l’artillerie lourde et utilise à nouveau un argument d’autorité qui a cours chez tous les aigrefins de son genre : « tous les spécialistes », assure-t-il, jugent impossible que les énergies renouvelables prennent la place. Présenté comme cela, il n’y a plus rien à dire, sauf ceci : c’est faux. Bien entendu, « tous les spécialistes » n’ont pas été interrogés, car cela aurait dérangé le propos général. On s’est contenté de piocher dans la longue liste des spécialistes officiels du nucléaire, ceux qui sont dans le système et n’en imaginent aucun autre.
Son idée lumineuse ? Investir dans le nucléaire bien sûr !
La conclusion d’un Bayrou s’impose : non seulement il ne faut pas respecter la loi que sa propre majorité a voté en 2019, mais en outre, il faut investir massivement dans le nucléaire. Repartir, comme en 14 ! On laissera le lecteur se rendre malade à la lecture du texte complet, mais on peut déjà insister sur cette évidence : Bayrou s’est fait bourrer le mou par le lobby, qui a attrapé d’autres politiciens dans ses filets depuis les origines. L’origine de tout s’appelle Commission Péon – pour Production d’électricité d’origine nucléaire – créée en 1955 et qui disparaîtra dans les années 70 après avoir convaincu des héros de Bayrou comme Pierre Messmer qu’il fallait lancer l’aventure nucléaire. Informelle, ne rendant aucun compte à personne, dirigée par le corps des Mines – ingénieurs d’État indestructibles – comprenant bien sûr des représentants d’EDF et du CEA, sans compter les industriels, elle est la clé du dossier. Les pontes du nucléaire ont historiquement montré leur pouvoir de manipulation sur des politiciens incultes, et Bayrou ne sera pas le dernier.
Une vraie note d’un vrai Haut-Commissariat au plan aurait insisté pour commencer sur la nécessité de diviser par deux au moins la consommation électrique – et c’est possible –, mais il est vrai que l’électricité nucléaire est du pouvoir concentré. Un travail sérieux aurait nécessairement fait le bilan d’une industrie qui promettait la Lune et le cul de la crémière, mais qui est en vérité, quarante-cinq ans après son lancement en fanfare, en faillite.
Retards géants, coûts explosifs, déchets radioactifs et risques d’accidents, pourquoi parler des choses qui fâchent ?
Areva – devenue Orano – a sombré corps et biens, engloutissant des milliards d’euros d’un argent pourtant public. EDF est endettée à hauteur de 42 milliards d’euros, sans compter les dépenses de sécurité nouvelles imposées par l’Autorité de sûreté. Et ne parlons pas des réacteurs EPR de Flamanville et de Finlande, qui accumulent des retards géants et des augmentations du coût qui se chiffrent à chaque fois en milliards d’euros. Ne parlons pas du démantèlement – Superphénix, arrêté en 1997, n’en est qu’à ses débuts –, ne parlons pas de l’enfouissement, et ne parlons surtout pas d’un accident qui pourrait vitrifier tout ou partie de la France.
Le plus facile serait d’écrire que Bayrou est un con. Mais non, même pas con. Seulement marabouté comme tous ses petits copains par une pensée industrielle à sens unique. Paul Ricoeur, fêté comme un prince de la pensée par Macron, en 1991 : « On se dessaisit, aujourd’hui, au profit des experts, de décisions concernant les problèmes économiques, financiers, fiscaux, etc. Ces domaines sont devenus si compliqués, nous dit-on, qu’il faut nous en remettre au jugement de ceux qui savent. Il y a là, en réalité, une sorte d’expropriation du citoyen. La discussion publique se trouve ainsi captée et monopolisée par les experts. Il ne s’agit pas de nier l’existence de domaines où des compétences juridiques, financières ou socio-économiques très spécialisées sont nécessaires pour saisir les problèmes. Mais il s’agit de rappeler aussi, et très fermement, que, sur le choix des enjeux globaux, les experts n’en savent pas plus que chacun d’entre nous. Il faut retrouver la simplicité des choix fondamentaux derrière ces faux mystères ».
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