Matthieu Ricard -
"La souffrance d'un animal
est plus importante
que le goût d'un aliment"
Le moine bouddhiste soutient le manifeste de 26 ONG pour imposer la cause animale dans le débat politique. Ce combat sert aussi la cause des hommes, explique-t-il.
Par Matthieu Ricard
Publié le | Le Point.fr
Nous sommes tout, ils ne sont rien. La valeur de la vie humaine est, à
juste titre, infinie. La valeur de la vie animale est-elle pour autant
nulle ? Chaque heure dans le monde nous tuons 120 millions d'animaux
terrestres et marins. Cela fait beaucoup : en une seule semaine,
davantage d'animaux tués que toutes les victimes humaines de toutes les
guerres !
Nous avons fait d'immenses progrès de civilisation. Nous n'acceptons plus ce qui a pourtant longtemps semblé normal : l'esclavage ou la torture. Nous avons adopté la Déclaration universelle des droits de l'homme. Nous continuons d'améliorer le statut des femmes et des enfants. Nous réduisons la pauvreté dans le monde. Mais quand nous en venons aux animaux, le massacre en masse reste la règle.
Les 8 millions d'espèces qui peuplent encore notre planète sont nos concitoyens. Ils aspirent à vivre, à éviter la souffrance. Nous aimons les chiens, mais mangeons les porcs et nous nous vêtissons des vaches. Il y a là une incohérence fondamentale. La valeur des vies innocentes est non négociable.
Il n'y a aucun excès de sentimentalisme à être choqué par les horreurs révélées par les vidéos tournées dans les abattoirs.
Certains affirment que la production de viande est un mal nécessaire. Aujourd'hui, n'étant plus nécessaire, c'est un mal tout court. De fait, tout le monde y perd : la production industrielle de viande est la deuxième cause d'émission de gaz à effet de serre (15 %), après les habitations et avant les transports. Elle entretient la pauvreté dans le monde : 750 millions de tonnes de céréales, qui pourraient nourrir localement un milliard de personnes, sont expédiées d'Amérique latine et d'Afrique vers les pays du Nord, pour nourrir nos animaux destinés à devenir de la viande. Cerise sur le gâteau, plusieurs centaines d'études épidémiologiques montrent que la consommation régulière de viande est nocive pour la santé (source OMS 2015).
Il m'est arrivé de demander à une assemblée : « Êtes-vous en faveur de la justice et de la morale ? » Tout le monde a levé la main. J'ai demandé ensuite : « Est-il juste et moral d'infliger des souffrances non nécessaires à des êtres sensibles ? » Personne n'a levé la main. En vérité, aucun argument moral ne permet de justifier nos comportements à l'égard des animaux.
Vingt millions de Français se promènent dans les bois.
Il ne reste plus que 1,2 million de chasseurs. Pourtant, ce sont ces
derniers qui font la loi. Sont-ils, comme ils l'affirment, les meilleurs
protecteurs de l'équilibre biologique ? En 1974, l'interdiction de la
chasse dans le canton de Genève fut approuvée par référendum par 72 % de
la population. Malgré les cris d'alarme des chasseurs, tout s'est bien
passé : la faune du canton a retrouvé sa richesse et sa diversité – fort
appréciées par les promeneurs – et son équilibre naturel. Les sangliers
et cervidés n'ont pas envahi les forêts et les champs cultivés.
Cette transition vers une alimentation non-violente
est possible et économiquement viable.
Considérez votre envie d'un steak saignant : elle aboutit à la production industrielle de viande. À l'inverse, une pensée de compassion pour les animaux conduit à un monde meilleur et à une économie qui emploie tout autant de personnes, occupées à produire des aliments sans souffrance animale et préférables pour la santé humaine.
Nous sommes à court d'excuses. La souffrance d'un animal est plus importante que le goût d'un aliment. La façon dont nous traitons ceux qui sont, comme nous, des êtres sensibles porte dans le monde un message d'obscurité et de mort ou un message de lumière et de vie.
Nous avons fait d'immenses progrès de civilisation. Nous n'acceptons plus ce qui a pourtant longtemps semblé normal : l'esclavage ou la torture. Nous avons adopté la Déclaration universelle des droits de l'homme. Nous continuons d'améliorer le statut des femmes et des enfants. Nous réduisons la pauvreté dans le monde. Mais quand nous en venons aux animaux, le massacre en masse reste la règle.
Les 8 millions d'espèces qui peuplent encore notre planète sont nos concitoyens. Ils aspirent à vivre, à éviter la souffrance. Nous aimons les chiens, mais mangeons les porcs et nous nous vêtissons des vaches. Il y a là une incohérence fondamentale. La valeur des vies innocentes est non négociable.
Il n'y a aucun excès de sentimentalisme à être choqué par les horreurs révélées par les vidéos tournées dans les abattoirs.
Certains affirment que la production de viande est un mal nécessaire. Aujourd'hui, n'étant plus nécessaire, c'est un mal tout court. De fait, tout le monde y perd : la production industrielle de viande est la deuxième cause d'émission de gaz à effet de serre (15 %), après les habitations et avant les transports. Elle entretient la pauvreté dans le monde : 750 millions de tonnes de céréales, qui pourraient nourrir localement un milliard de personnes, sont expédiées d'Amérique latine et d'Afrique vers les pays du Nord, pour nourrir nos animaux destinés à devenir de la viande. Cerise sur le gâteau, plusieurs centaines d'études épidémiologiques montrent que la consommation régulière de viande est nocive pour la santé (source OMS 2015).
Il m'est arrivé de demander à une assemblée : « Êtes-vous en faveur de la justice et de la morale ? » Tout le monde a levé la main. J'ai demandé ensuite : « Est-il juste et moral d'infliger des souffrances non nécessaires à des êtres sensibles ? » Personne n'a levé la main. En vérité, aucun argument moral ne permet de justifier nos comportements à l'égard des animaux.
Ôter la vie par plaisir
Récemment, un dimanche matin un groupe de chasseurs fusil à l'épaule s'était rassemblé sur la place de l'église d'un petit village du sud de la France. Un enfant, fils d'amis, s'arrêta devant eux et leur demanda ingénument : « Vous allez tuer ? » Il n'eut droit qu'à un silence gêné, des sourires de connivence et des regards en coin. Tuer par plaisir, c'est préférer la mort à la vie. Est-ce là ce que l'humanité peut offrir de mieux ?
Mieux aimer l'ensemble des êtres
En incluant tous les êtres sensibles dans le cercle de la bienveillance, nous n'aimons pas moins les humains, nous les aimons mieux, car notre bienveillance est plus vaste. L'association humanitaire que j'ai cofondée, Karuna-Shechen, aide chaque année 300 000 personnes en Inde, au Népal et au Tibet dans le domaine de la santé, de l'éducation et des services sociaux. Le fait de m'occuper aussi des souffrances infligées aux animaux ne diminue en rien ma détermination à soulager les souffrances humaines. Bien au contraire. Et ne pas se soucier des animaux n'améliorerait en rien le sort terrible des victimes d'Alep en Syrie ou du Darfour.
Les bonnes nouvelles
La bonne nouvelle est que le végétarisme et le véganisme sont en plein essor parmi les jeunes. J'ai récemment déjeuné à la cantine de la grande université de Princeton : les 50 premiers mètres du self-service étaient surmontés de panneaux « Végan ». Près de 20 % des étudiants américains sont végans.
Considérez votre envie d'un steak saignant : elle aboutit à la production industrielle de viande. À l'inverse, une pensée de compassion pour les animaux conduit à un monde meilleur et à une économie qui emploie tout autant de personnes, occupées à produire des aliments sans souffrance animale et préférables pour la santé humaine.
Nous sommes à court d'excuses. La souffrance d'un animal est plus importante que le goût d'un aliment. La façon dont nous traitons ceux qui sont, comme nous, des êtres sensibles porte dans le monde un message d'obscurité et de mort ou un message de lumière et de vie.
Source : https://www.lepoint.fr/societe/matthieu-ricard-la-souffrance-d-un-animal-est-plus-importante-que-le-gout-d-un-aliment-21-11-2016-2084512_23.php#xtor=CS2-238
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