Jackie Herrou :
« Le pouvoir condamne Cédric
par vengeance »
Entretien réalisé par Émilien Urbach
Mercredi, 9 Août, 2017
L'Humanité
Cédric
Herrou a écopé, hier en appel, de quatre mois de prison avec sursis,
pour « délit de solidarité » avec les exilés. Sa mère réagit.
Sa
grand-mère, italienne, est passée par les vallées transfrontalières
pour immigrer en France. Sa mère, elle, a connu les geôles nazies.
Jackie Herrou se dit « écœurée » par la condamnation de son fils,
Cédric, pour être venu en aide à ceux qui fuient les guerres et la
pauvreté. L’agriculteur est condamné à quatre mois de prison avec sursis
et doit payer, à la SNCF, 1 000 euros de réparation pour avoir tenté
d’héberger, dans des locaux abandonnés appartenant à l’entreprise, des
exilés africains. Ce verdict, qualifié d’« insupportable dérive
politique de la justice » par la Ligue des droits de l’homme, suscite
l’indignation. Europe Écologie-les Verts appelle à « amplifier le
mouvement de solidarité » tandis que pour le Parti communiste français
« c’est l’État qui doit être condamné, pas Cédric Herrou ». Celle qu’on
surnomme « Mama Herrou » fustige, pour sa part, l’aberration d’un tel
jugement, assurant qu’il n’entame en rien la détermination des habitants
de la Roya.
Votre fils a été condamné hier à une peine de prison. Comment réagissez-vous ?
JACKIE HERROU En tant que mère, je suis soulagée, j’avais
peur que ce soit pire, mais la réaction de la citoyenne est
l’écœurement. J’ai l’impression que la justice a voulu contenter les
dirigeants politiques en leur donnant un petit os à ronger. Cédric
héberge encore de nombreux exilés chez lui. Ce sont pour beaucoup de
jeunes mineurs qui doivent être pris en charge par l’État et qui ne le
sont pas. La situation est aberrante. Le voilà condamné alors que les
services de l’État lui demandent directement de pallier leur
défaillance.
C’est-à-dire ?
JACKIE HERROU L’Aide sociale à l’enfance lui demande de
prendre en charge les mineurs isolés qui arrivent chez lui. On demande à
mon fils de les nommer, de faire des recherches sur leur identité, de
les garder chez lui le temps que leurs services puissent monter dans la
vallée pour les récupérer. Certains restent pendant plusieurs semaines.
Il les nourrit, les loge, les soigne. Ils sont entièrement pris en
charge par Cédric à la demande des services de l’État. Et le préfet le
fait condamner en appel. C’est incompréhensible.
Le tribunal accuse Cédric d’agir de façon intéressée parce qu’il y aurait un caractère politique à sa démarche solidaire…
JACKIE HERROU Bien sûr que Cédric fait un acte politique.
Mais ce n’est pas un politicien. Il fait de la politique au sens le plus
noble du terme. Comment faire autrement ?
Un humaniste…
JACKIE HERROU Cédric est un garçon qui a toujours été très
ouvert aux autres. Il a grandi dans le quartier populaire de l’Ariane, à
Nice. Ses copains de jeux étaient des enfants de toutes origines. Je
l’ai élevé comme ça. Cela ne m’étonne pas qu’ils viennent en aide aux
gamins qu’ils croisent sur la route. Il faut voir dans quel état ils
arrivent. Certains ont été torturés. C’est normal que Cédric en ait pris
dans sa voiture pour les mettre à l’abri. Il ne le fait plus,
d’ailleurs. Maintenant, ils viennent tout seuls. Ils savent qu’ils
peuvent compter sur lui et sur les habitants de la Roya. Quand Cédric se
lève le matin, il compte les nouveaux arrivants.
Pourtant, la police et l’armée quadrillent le secteur.
JACKIE HERROU Oui, et j’imagine l’agacement des autorités.
Le déploiement de force dans la vallée de la Roya est impressionnant.
Et ça leur coûte de l’argent... On parle de 60 000 euros par jour pour
barrer la route des exilés. Il en arrive, malgré tout, tous les jours.
220 personnes sont encore hébergées chez Cédric. On peut comprendre que
nos dirigeants soient un peu vexés. Ils essaient de faire passer mon
fils pour un voyou ou un profiteur par vengeance.
Quelle conséquence pourrait avoir cette condamnation sur la population de la vallée ?
JACKIE HERROU Certaines personnes vont se réjouir. Les
solidaires subissent régulièrement le harcèlement de quelques
groupuscules hostiles à l’accueil des exilés. Ce week-end, le pare-brise
de la voiture d’une bénévole a été cassé et ses pneus crevés, devant le
domicile de Cédric. Mais, dans leur majorité, les gens sont
accueillants et, même si les plus actifs commencent à fatiguer, la
solidarité va continuer.
Source : https://www.humanite.fr/jackie-herrou-le-pouvoir-condamne-cedric-par-vengeance-640229
Second article :
Cédric Herrou réagit à sa condamnation
Cédric Herrou
Mardi, 8 Août, 2017
Humanite.fr
Aujourd’hui, en cour d’appel d’Aix, j’ai été condamné à 4 mois avec sursis et à verser 1000€ de dommages et intérêt à la SNCF.
Pour
rappel, j’avais été arrêté en octobre 2016 pour « aide à l’entrée et au
séjour de personnes en situation irrégulière ». Il n’y a eu aucune
flagrance, et aucun passage de frontière d’octobre à ce jour. Nous nous
étions installés dans des locaux de la SNCF, abandonnés depuis plus de
20 ans, avec un collectif d’associations dont Médecins du Monde et
Amnesty International ainsi qu’une soixantaine de demandeurs d’asile.
Notre revendication : la prise en charge des mineurs isolés par la
protection de l’enfance, et permettre aux demandeurs d’asile d’accéder à
leurs droits. A aucun moment il ne s’agissait de « cacher » ou de «
dissimuler » ces personnes, mais bien au contraire de les montrer pour
tirer la sonnette d’alarme.
Force est de constater qu’un an plus tard, la situation n’a pas
changé et a même empiré. J’ai actuellement chez moi de nombreux mineurs
isolés qui attendent en vain d’être pris en charge par l’Etat français,
et des demandeurs d’asile coincés sur mon terrain, qu’on empêche
systématiquement d’accéder à leurs droits. S’ils sortent de chez moi,
ils sont sûrs d’être arrêtés et d’être reconduits directement en Italie,
sans autre forme de procès. Il est grave que le département des Alpes
Maritimes, pourtant frontalier à l’Italie, ne dispose d’aucune
infrastructure destinée à l’accueil des migrants.
Tous ceux qui veulent me faire passer pour un militant d’extrême
gauche, un activiste no border, n’ont rien compris à la situation ici.
Il ne s’agit pas d’être pro ou anti-migrants. Les empêcher de passer la
frontière est utopique, et tout simplement impossible : tous passent.
C’est justement pour cela que nous demandons un contrôle de ces flux,
d’éviter la clandestinité des demandeurs d’asile. Notre combat juridique
est respectueux des lois de la République française. C’est une lutte
légale et juste, à l’image de la France, nation des droits de l’Homme.
Mais ma condamnation ce matin montre bien les limites de
l’indépendance de la justice française, et la manipulation politique qui
se joue dans les tribunaux. Tandis qu’à l’heure actuelle des bateaux
d’extrême droite naviguent sur la Méditerranée pour couler les bateaux
des ONG, on incrimine un paysan qui se substitue à la carence de
l’Etat.
Nous alertons Monsieur le président de la République sur les
dérives actuelles face au non-respect du droit d’asile dans le
département.
Je n’ai pas le choix de continuer car je considère que c’est mon
devoir de citoyen de protéger des personnes en danger. La menace
d’emprisonnement ne saurait entraver la liberté que je défends.
Source : https://www.humanite.fr/cedric-herrou-reagit-sa-condamnation-640248
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