Remplaçons «droits de l’homme»
par «droits humains» !
— 13 juillet 2015 à 17:56
Si elle veut enfin inclure pleinement les femmes dans l’humanité, la République française doit rompre avec une expression issue d’une vision idéalisée de la Déclaration de 1789. Ses voisins l’ont déjà fait.
Il est permis de s’étonner que les institutions françaises continuent d’utiliser l’expression «droits de l’homme» pour désigner les droits humains. Loin de s’imposer à la langue comme une évidence, l’emploi de cette formule résulte en effet d’une série de choix contestables.
D’abord, elle est historiquement impropre. Les droits fondamentaux qu’elle désigne ne sont pas ceux qu’énonce la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 mais ceux qui figurent dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) de 1948. Seule la langue française a choisi de conserver la même expression d’une déclaration à l’autre. Les autres langues ont explicitement distingué les deux textes en procédant à un changement de nomenclature, soit en anglais «human rights» au lieu de «rights of man», en italien «diritti umani» au lieu de «diritti dell’uomo», en espagnol «derechos humanos» au lieu de «derechos del hombre». Ces modifications n’ont rien d’une coquetterie inutile : les textes en question diffèrent en effet sur des points essentiels. En particulier, la Déclaration de 1789 ne s’appliquait pas aux femmes : dans ce document, le terme «homme» a été retenu non pas en raison de sa valeur générique supposée mais spécifiquement pour désigner les personnes de genre masculin à l’exclusion des personnes de genre féminin. Au contraire, la déclaration de 1948 érige dès son préambule la protection contre la discrimination de genre au rang de droit universel. La confusion entre les deux déclarations entretenue par l’emploi d’une expression identique minimise donc l’importance du droit énoncé en 1948, pourtant essentiel à l’universalité de la DUDH puisqu’il assure l’inclusion des femmes au sein de l’humanité. Le texte de la déclaration de 1948 témoigne ainsi du caractère artificiel de son intitulé. Comme le note Amnesty International dans un rapport de 1998, déjà rédigé pour demander ce changement de terminologie, «les rédacteurs de la DUDH en français ont eu à cœur de marquer la non-discrimination sexuelle en recourant le plus souvent à des termes autres que "hommes" pour énumérer les divers droits contenus dans la Déclaration universelle». L’article premier de la DUDH débute notamment par ces mots : «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en droit.» Les rédacteurs ont donc cherché à mettre la lettre du texte en accord avec son esprit, sans toutefois aller jusqu’au bout de leur entreprise : le terme homme a continué d’être retenu 8 fois sur 54 mentions possibles. L’attachement aux termes «droits de l’homme» s’enracine ainsi dans une vision idéalisée de la déclaration de 1789 qui néglige l’aspect discriminatoire du document.
Ensuite, aucun principe linguistique ne justifie d’accorder en français une valeur générique aux formes masculines pour désigner les membres de l’espèce humaine. Ce privilège a en réalité été progressivement imposé à partir du XVIIe siècle et constitue une exception à ce que l’Institut national de la langue française appelle «une tendance massive et indo-européenne : le genre, pour les animés humains, suit globalement le sexe». C’est une logique politique qui motive ce choix linguistique : Benoîte Groult souligne ainsi que pour les noms de métiers, «l’acceptation des formes féminines est inversement proportionnelle au prestige de la profession» (1). Les résistances autour de la modification de l’expression «droits de l’homme» s’expliquent aussi par le désir de conserver au seul genre masculin le prestige de la valeur générique.
Car, pour finir, cette expression obscurcit la vérité simple que le féminisme est un humanisme. Elle délégitime les luttes féministes, qu’elle désigne en creux comme des revendications catégorielles portées par un groupe d’intérêt particulier. Or, la lutte pour les droits des femmes n’est rien d’autre qu’une lutte pour les droits humains ; le mouvement féministe ne réclame pas un traitement préférentiel pour les femmes mais, au contraire, l’égalité entre tous les êtres humains, c’est-à-dire, l’abolition des privilèges masculins. Les termes employés par les pouvoirs publics bénéficient d’un poids tout particulier. Dans la continuité des efforts déjà engagés pour démasculiniser la langue française, il est donc temps que les instances officielles de la République abandonnent l’expression «droits de l’homme». La charge de la preuve pèse désormais sur celles et ceux qui s’obstinent à vouloir conserver cette terminologie dépassée et discriminatoire.
(1) «Cachez ce féminin», le Monde du 11 juin 1991.
Par le collectif Droits humains pour tou-te-s
Source : http://www.liberation.fr/societe/2015/07/13/remplacons-droits-de-l-homme-par-droits-humains_1347376
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