CHIKUNGUNYA : UN INSECTICIDE INTERDIT EN EUROPE, AUTORISÉ EN GUYANE
Mobilisation en Outre-Mer contre le malathion, faible propagation de l'info en métropole
Attention, ça pique. L'épidémie du chikungunya, virus qui se transmet par les moustiques, a déjà touché plus de 135 000 personnes aux Antilles et dans les Caraïbes depuis le mois de février, selon l’Institut de Veille Sanitaire (InVS). Et pour stopper cette épidémie, le quotidien France-Guyane révèle que le gouvernement vient d'autoriser provisoirement l'utilisation d'un insecticide pourtant interdit en métropole. Toxique en Europe et inoffensif en Outre-Mer ? Le malathion, c'est son petit nom, suscite de nombreuses inquiétudes en Guyane (mais aussi en Nouvelle-Calédonie). Pétition, page Facebook : la mobilisation s'organise et la polémique enfle en Outre-Mer. En revanche, en métropole, pas d'inquiétude : à quelques rares exceptions près (France Info, FranceTV Info), le malathion n'a eu aucun effet médiatique notable en ce long week-end du 15 août.
Fortes fièves, douleurs articulaires intenses : tels sont les principaux symptômes du virus du chikungunya qui se transmet à l'homme par une espèce de moustiques (Aedes aegypti ou albopictus). Depuis le mois de février, l'épidémie se répand en Outre-Mer et dans les Caraïbes. Selon les derniers chiffres de l'InVS, relayés par l'AFP, 31 décès liés à ce virus ont été recensés dans les collectivités et départements français. Essentiellement des personnes âgées vulnérables, qui ne résistent pas au virus.
Fortes fièves, douleurs articulaires intenses : tels sont les principaux symptômes du virus du chikungunya qui se transmet à l'homme par une espèce de moustiques (Aedes aegypti ou albopictus). Depuis le mois de février, l'épidémie se répand en Outre-Mer et dans les Caraïbes. Selon les derniers chiffres de l'InVS, relayés par l'AFP, 31 décès liés à ce virus ont été recensés dans les collectivités et départements français. Essentiellement des personnes âgées vulnérables, qui ne résistent pas au virus.
Près de 135 000 personnes auraient déjà été touchées par le virus, dont 73 000 en Guadeloupe et aux îles alentours, 55 000 en Martinique et 1 665 cas en Guyane, département où le virus continue de progresser alors que l'épidémie ralentit aux Antilles. Pour stopper sa progression, le gouvernement vient d'autoriser en Guyane, pour une durée de six mois, l'utilisation d'un nouvel insecticide, le malathion, les moustiques résistant au produit habituellement utilisé, la deltaméthrine. Problème : l'Europe a interdit l'utilisation du malathion en 2007, décision appliquée en France l'année suivante. Pourtant, à la demande du préfet, la Guyane a bien obtenu une dérogation le 5 août pour utiliser de nouveau ce produit. L'arrêté, signé par les ministères de l'Écologie, des Affaires sociales et de la Santé, est paru le 13 août au Journal Officiel. Dès le lendemain, le journal France-Guyane s'étonnait de cette décision "approuvée par l'Agence nationale de sécurité sanitaire et de l'alimentation ainsi que par le Haut conseil de la santé publique". "Un consensus des plus surprenants, compte tenu de la haute toxicité du malathion", constate France-Guyane.
Interrogé par le journal, Christophe Duplais, chimiste du Centre national de la recherche scientifique, dénonce cette décision : "Il s'agit d'une molécule qui va se dégrader en quelque chose d'encore plus nuisible, affirme-t-il. Ça tue tout. Le problème est que les pulvérisations se font depuis la route, sur 5 à 10 mètres. Plus loin, on ne trouve que des traces du produit. Elles ne suffisent pas à tuer le moustique mais constituent des doses homéopathiques qui favorisent la résistance. Par ailleurs, pulvériser, ça veut dire que le produit va dans les jardins, les fruits, les légumes". Et le chimiste de s'emporter contre "des gens [qui] prennent des décisions et choisissent d'utiliser un produit mortel et toxique sans consulter ni les scientifiques ni la population. Quel niveau de risque doit-on atteindre pour se protéger contre le chik ?"
Une pétition en ligne, relayée par le site Guyaweb.com, demande d'ores et déjà "l'interdiction de pulvériser ce produit toxique en Guyane". "Le malathion est un insecticide et un neurotoxique, interdit en Europe depuis 2007 et en France depuis 2008 ! [Au moment de sa décomposition, le malathion dégage du] "malaoxon, composé 60 fois plus toxique ! (...) Ce produit hautement toxique va se retrouver dans les jardins, les cours, les écoles, les crèches, etc. L'impact d'un tel produit est mal connu et son efficacité pour lutter contre le chikungunya reste à prouver", indique le texte de la pétition.
Ce n'est pas la première fois que le malathion suscite une telle polémique. Au mois de février, le site de la chaîne Nouvelle-Calédonie 1ère indiquait que les épandages de malathion avaient repris pour lutter contre une autre épidémie, le Zika. Les autorités sanitaires de Nouvelle-Calédonie avaient ainsi donné cette autorisation bien que "sa toxicité pour l'homme et les mammifères (...) a été prouvée", écrivait 1ere.fr. Quelques mois plus tard, le même site expliquait que la mobilisation s'organisait à Nouméa. Un collectif "Non au malathion", présent sur Facebook, a mis en ligne une pétition qui a reccueilli 1200 signatures en une semaine.
Malgré tout, cette mobilisation en Nouvelle-Calédonie n'a pas empêché le gouvernement d'autoriser le malathion en Guyane. Et c'est peu dire que l'information de France-Guyane n'a pas eu un niveau de propagation épidémique en métropole. Selon nos constatations, à ce jour, seules France Info et FranceTV Info ont relayé l'information :
L'AFP a bien évoqué le Chikungunya et sa propagation en Guyane dans une dépêche en date du 15 août. Mais le texte a de quoi piquer les yeux : à aucun moment, l'AFP ne rappelle la toxicité supposée du malathion. Tout juste apprend-on, qu'"un arrêté interministériel permet depuis début août l’utilisation dérogatoire et pour 6 mois d’un insecticide". Christian Meurin, directeur général de l’Agence régionale de santé de Guyane, assure seulement à l'AFP qu'"au niveau européen, le malathion n’a pas d’autorisation pour la lutte antivectorielle, par contre il est recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et est utilisé au Canada et aux Etats-unis". Dormez tranquille (avec moustiquaire), l'OMS veille.
Mais qu'en est-il exactement de la toxicité réelle ou supposée du malathion ? En fonction des sources, le malathion est soit toxique (à des degrés inconnus), soit tellement inoffensif qu'on aurait presque envie de le mélanger à du rhum pour l'apéro. Dans le doute, avant de lire la suite, mettez des gants, un masque et une combinaison.
TOXIQUE OU PAS ? POUR L'OMS, C'EST "PEU DANGEREUX POUR L'HOMME"
Sur le site du gouvernement de la Polynésie française, le malathion est présenté comme un insecticide qui "agit par contact, ingestion et vapeur sur les insectes et dégage une odeur très désagréable". Classé dans la catégorie "produits dangereux", il est considéré comme "nocif en cas d'ingestion". Evitez de le mettre dans un cocktail donc. En revanche, si vous voulez vous rassurer, lisez plutôt les recommandations de l'OMS, relayées par l'institut de recherche pour le développement (IRD), pour qui le malathion est un insecticide de classe III, c'est-à-dire faisant partie des "insecticides peu dangereux pour l’homme dans les conditions normales d’utilisation". Traduction : visez plutôt les champs que votre verre et tout ira bien.
Pas de quoi s'inquiéter donc : un rapport de l'institut de recherche pour le développement (IRD), relayé par l'Observatoire des Résidus de Pesticides (créé en 2003 par le ministère de la Santé et de l'Agriculture), précise que le malathion est "fréquemment employé à Tahiti, en Guyane et en Guadeloupe", notamment parce qu'il est "le moins cher de tous les [pesticides] organophosphorés". En outre, "le malathion possède l’avantage de se dégrader rapidement dans l’environnement, ce qui limite dans le temps son impact sur l’environnement". Le rapport ajoute qu'il est "peu toxique sur les oiseaux et les mammifères". Finalement, la toxicité ne concerne que les poissons et les abeilles (fini le miel et la langouste).
Dans ces conditions, on se demande bien pourquoi l'Europe et la France ont interdit son utilisation. Dans un article soufflant le chaud et le froid, Les nouvelles calédoniennes (accès payant) relativisaient en avril dernier cette interdiction qui n'aurait pas été prise "pour une raison de toxicité. Le motif est administratif, lié au non-renouvellement de la demande d’homologation du fabricant. Cet état de fait serait d’ordre économique, la marge réalisée ne répondant pas aux attentes", assure le journal. Dans ce même article, Kevin Lucien, directeur du Sipres, le Service d’inspection et de prévention des risques environnementaux et sanitaires, justifie l'utilisation de l'insecticide en reprenant la classification de l'OMS ("peu dangereux pour l'homme").
Tout de même prudent, le quotidien de Nouvelle-Calédonie donne aussi la parole à Ludmilla Guerassimoff, en charge du dossier "pesticides" à l'UFC Que choisir. Et que dit-elle ? "Le malathion est hypertoxique pour l'homme (...) puisque l’on sait aujourd’hui que ce n’est plus la dose qui fait le poison. Comme pour les perturbateurs endocriniens. On sait qu’une dose infinitésimale peut avoir une répercussion énorme pour un enfant en développement neurologique". Et la représentante d'UFC Que choisir d'affirmer que "le malathion est un perturbateur endocrinien", sous-entendant ainsi qu'il pourrait entraîner des anomalies physiologiques et de reproduction chez l'homme. Moins affirmatif, un rapport de l'Ineris (Institut national de l'environnement industriel et des risques) précise que le malathion est "classé catégorie 2 (potentiel perturbateur endocrinien) pour l’homme et la faune sauvage" dans un rapport d'étude de la direction générale de l'environnement de la commission européenne. Difficile de s'y retrouver donc.
TOXIQUE OU PAS ? POUR L'OMS, C'EST "PEU DANGEREUX POUR L'HOMME"
Sur le site du gouvernement de la Polynésie française, le malathion est présenté comme un insecticide qui "agit par contact, ingestion et vapeur sur les insectes et dégage une odeur très désagréable". Classé dans la catégorie "produits dangereux", il est considéré comme "nocif en cas d'ingestion". Evitez de le mettre dans un cocktail donc. En revanche, si vous voulez vous rassurer, lisez plutôt les recommandations de l'OMS, relayées par l'institut de recherche pour le développement (IRD), pour qui le malathion est un insecticide de classe III, c'est-à-dire faisant partie des "insecticides peu dangereux pour l’homme dans les conditions normales d’utilisation". Traduction : visez plutôt les champs que votre verre et tout ira bien.
Pas de quoi s'inquiéter donc : un rapport de l'institut de recherche pour le développement (IRD), relayé par l'Observatoire des Résidus de Pesticides (créé en 2003 par le ministère de la Santé et de l'Agriculture), précise que le malathion est "fréquemment employé à Tahiti, en Guyane et en Guadeloupe", notamment parce qu'il est "le moins cher de tous les [pesticides] organophosphorés". En outre, "le malathion possède l’avantage de se dégrader rapidement dans l’environnement, ce qui limite dans le temps son impact sur l’environnement". Le rapport ajoute qu'il est "peu toxique sur les oiseaux et les mammifères". Finalement, la toxicité ne concerne que les poissons et les abeilles (fini le miel et la langouste).
Dans ces conditions, on se demande bien pourquoi l'Europe et la France ont interdit son utilisation. Dans un article soufflant le chaud et le froid, Les nouvelles calédoniennes (accès payant) relativisaient en avril dernier cette interdiction qui n'aurait pas été prise "pour une raison de toxicité. Le motif est administratif, lié au non-renouvellement de la demande d’homologation du fabricant. Cet état de fait serait d’ordre économique, la marge réalisée ne répondant pas aux attentes", assure le journal. Dans ce même article, Kevin Lucien, directeur du Sipres, le Service d’inspection et de prévention des risques environnementaux et sanitaires, justifie l'utilisation de l'insecticide en reprenant la classification de l'OMS ("peu dangereux pour l'homme").
Tout de même prudent, le quotidien de Nouvelle-Calédonie donne aussi la parole à Ludmilla Guerassimoff, en charge du dossier "pesticides" à l'UFC Que choisir. Et que dit-elle ? "Le malathion est hypertoxique pour l'homme (...) puisque l’on sait aujourd’hui que ce n’est plus la dose qui fait le poison. Comme pour les perturbateurs endocriniens. On sait qu’une dose infinitésimale peut avoir une répercussion énorme pour un enfant en développement neurologique". Et la représentante d'UFC Que choisir d'affirmer que "le malathion est un perturbateur endocrinien", sous-entendant ainsi qu'il pourrait entraîner des anomalies physiologiques et de reproduction chez l'homme. Moins affirmatif, un rapport de l'Ineris (Institut national de l'environnement industriel et des risques) précise que le malathion est "classé catégorie 2 (potentiel perturbateur endocrinien) pour l’homme et la faune sauvage" dans un rapport d'étude de la direction générale de l'environnement de la commission européenne. Difficile de s'y retrouver donc.
"LES RISQUES NE PEUVENT PAS ÊTRE ÉCARTÉS" (ANSES)
A mi-chemin entre les pro et anti-malathion, on trouve l'ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation). Dans un avis rendu le 18 mars 2014 sur plusieurs insecticides"pouvant être utilisées dans le cadre de la prévention d’une épidémie de chikungunya en Guyane", l'ANSES tente une synthèse sur la dangerosité, entre autres, du malathion, pour les opérateurs (ceux qui l'épandent) et les habitants. "Les usages jugés acceptables (...) pour l’opérateur sont des applications en tracteur avec pulvérisation basse (pour les cultures de fraises) et des applications avec un pulvérisateur manuel en extérieur (pour les pommiers), sous réserve de port d’EPI adéquat (gants et combinaison de travail) par les opérateurs", indique l'ANSES (document PDF). Il suffirait donc pour les opérateurs de prendre leurs précautions. Sauf qu'à la page 41 du rapport, c'est la douche froide : "Au regard du manque d’informations sur les expositions au malathion (...) lors d’application par nébulisation à froid sur véhicule et par atomiseurs à dos, les risques ne peuvent pas être écartés pour les opérateurs malgré le port d’EPI (gants, masque, combinaison)", précise l'ANSES, qui a tout de même donné un avis favorable pour son utilisation.
Pour les habitants, l'ANSES est également prudente. Si vous ne marchez que cinq minutes près d'un champ en train d'être traité, l'exposition est faible. En revanche, pour "une personne présente dans la rue ou dans sa maison avec fenêtres et portes ouvertes" à proximité d'un espace en train d'être traité, l'ANSES écrit qu'il"ne peut être démontré une absence de risque pour les résidents dans la zone traitée avec du malathion".
LE PRÉCÉDENT GUADELOUPÉEN : LE PESTICIDE "CHLORDÉCONE"
Avec de telles interrogations, on comprend mieux la mobilisation de la population en Guyane. Et ce d'autant plus que le cocktail à base de produits chimiques est bien connu en Outre-Mer. En avril 2013, Le Monde évoquait le cas de la Guadeloupe, devenu "un monstre chimique" à cause d'un pesticide, le chlordécone, répandu de 1972 à 1993 pour lutter contre un charançon (espèce d'insectes) amateur de bananes alors que les Etats-Unis avaient interdit l'usage de ce pesticide dès 1976. Aujourd'hui, on sait que que ce produit est un perturbateur endocrinien (qui a des conséquences sur les hormones) et un neurotoxique classé cancérogène possible. Problème : la durée de vie du produit est estimé à 7 siècles. Et vingt ans après l'arrêt de l'utilisation de ce pesticide en Guadeloupe, "produits de la pêche, gibiers ou légumes sont contaminés".
Aujourd'hui encore, ce pesticide fait des ravages en mer. C'est "une catastrophe écologique qui prend la dimension d'un désastre économique aux Antilles françaises", écrivait Le Monde. Car la Martinique est également touchée : "la contamination due au chlordécone a rendu les langoustes impropres à la consommation" par exemple. En 2013, le gouvernement avait débloqué 2 millions d'euros d'aides pour les pêcheurs.
En revanche, s'agissant des conséquences sanitaires sur la population, on commence à peine à en prendre conscience : en 2012, une étude effectuée sur une cohorte de 1 042 femmes et leurs enfants exposés au pesticide in utero montrait un "retard du développement psychomoteur, une moindre appétence visuelle pour la nouveauté, une réduction de la vitesse d'acquisition de la mémoire visuelle".
Certes, on n'en est pas là avec le malathion. Mais quand un produit interdit en métropole est autorisé provisoirement en Outre-Mer, le spectre d'un nouveau monstre chimique est dans toutes les têtes. Sauf dans les médias en métropole.
Par Sébastien Rochat le 16/08/2014
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